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Nouveau programme économique des travaillistes britanniques : les corbynomics signent-elles l’apparition d’une nouvelle pensée unique au sein des gauches radicales européennes ?
©Reuters

Travailleurs, travailleuses

Dimanche dernier, le nouveau leader du Labour, Jeremy Corbyn a annoncé la constitution de son comité consultatif pour les questions économiques. Parmi eux, l'économiste français Thomas Piketty, auteur de Le Capital au XXIème siècle, et le prix Nobel d’économie l’américain Joseph Stiglitz, pourfendeurs de l'austérité.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Dimanche dernier, le nouveau leader du Labour, Jeremy Corbyn a annoncé la constitution de son comité consultatif pour les questions économiques. Parmi eux, l'économiste français Thomas Piketty, auteur de  Le Capital au XXIème siècle, et le prix Nobel d’économie l’américain Joseph Stiglitz. Tous deux sont qualifiés de pourfendeurs de la politique d'austérité lors du feuilleton grec de cet été. Début septembre, c'était à Yanis Varoufakis, l'ancien ministre des Finances d'Alexis Tsipras, de rejoindre Jean-Luc Mélenchon pour la "Fête de l'Huma". La lutte contre l'austérité fait-elle apparaître un front commun entre les gauches européennes sur les questions économiques ?

Christophe BouillaudIl faut distinguer les propos de campagne et les actes des partis de gauche lorsqu’ils se trouvent au pouvoir, qu’ils soient seuls ou en coalition. Comme la campagne des élections européennes de 2014 l’a montrée, toute la gauche se déclare d’accord pour être « contre l’austérité » afin de rameuter des électeurs traumatisés par la crise économique en cours. Martin Schulz, qui était le candidat du Parti socialiste européen (PSE) à la Présidence de la Commission européenne, était sur cette ligne, et vos lecteurs se souviennent peut-être des affiches avec son slogan « Non à l’austérité ». Alexis Tsipras, qui était le candidat du Parti de la Gauche Européenne (PGE), voulait une « autre Europe » bien sûr sans austérité.

En revanche, la distance se trouve être abyssale entre ces mêmes gauches si l’on regarde les comportements : la gauche social-démocrate et socialiste a depuis 2010, quand elle était au pouvoir, joué  à 100% le jeu de l’austérité budgétaire promue par la BCE et la Commission européenne comme solution aux maux de l’Union européenne. C’est bien sûr le cas en France sous la présidence de François Hollande depuis 2012. La ratification du TSCG par la France au début de sa Présidence n’a échappé à personne d’un peu attentif à la politique française. C’est aussi le cas au niveau européen, où l’Eurogroupe, haut-lieu de la pensée et de l’action austéritaires s’il en est depuis 2010, est présidé par un social-démocrate néerlandais, Jeroen Dijsselbloem. Le moins que l’on puisse dire, c’est que la ligne de conduite de ce social-démocrate n’est en rien différente de celle du conservateur allemand Wolfgang Schäuble, le parangon européen de cette ligne.

 Parfois, comme en Italie avec Matteo Renzi, la gauche modérée tente de sortir un peu de l’austérité dont elle ne peut que constater les ravages économiques, et critique fortement le dogme bruxello-francfortois, mais globalement, depuis 2010, la gauche social-démocrate a entièrement été fidèle à l’idée que l’Etat dépense trop actuellement et que ce serait là le drame principal de notre temps. Le Labour britannique est d’ailleurs allé à la dernière élection sur cette même ligne de défense de l’austérité, et il a perdu. Cette ligne austéritaire, qui fait, pour la résumer, des dépenses publiques la source de tous les problèmes de nos pays,  se trouve être antithétique avec l’histoire longue de la gauche européenne, qui a défendu le rôle central de l’Etat dans la promotion du bien-être des individus. Et, quand elle est mise en œuvre, elle déçoit fortement les électeurs de gauche les plus attachés aux valeurs de progrès social. De fait, il faut bien souligner que l’austérité, celle qu’on pratique quand on est au pouvoir lorsqu’on est un socialiste ou un social-démocrate proeuropéen, devient une ligne de fracture entre les gauches socialistes et sociales-démocrates, et les autres gauches qui restent fidèles à l’idée qu’il existe bel et bien des dépenses publiques justifiées pour éduquer, soigner, préparer l’avenir, etc. et pas seulement une hystérie fiscale de l’Etat contemporain. Ces autres gauches sont par ailleurs convaincues que l’austérité budgétaire en période de récession est en plus particulièrement contre-productive pour soutenir la croissance.

Que ce soit la SPD en Allemagne, ou encore une grande partie du PS français, voire le PASOK en Grèce, la crise économique semble avoir divisé les gauches en deux : l'une convertie à la ligne européenne officielle, par "réalisme", et l'autre renforcée dans la conviction d'une alternative au libéralisme. Renationalisation, politique de l'offre vs politique de la demande... Au-delà d'une vision commune sur l'Europe, ces dissidents se retrouvent-ils ailleurs ? Assiste-t-on davantage à une convergence d'intérêts sur la question précise de l'austérité ou à un véritable socle programmatique commun pour les questions économiques ?

Il me semble que, pour l’instant, tous ces dissidents sont surtout d’accord pour refuser l’austérité. Cela correspond d’ailleurs aussi à la position qui vient d’être réaffirmée par la Confédération européenne des syndicats, lors de son récent Congrès qui s’est tenu à Paris. Par contre, des divergences existent sur le degré de transformation du capitalisme qu’il faut viser, soit à travers le financement de ces dépenses publiques à mener (en clair sur le niveau et la nature des impôts, ou bien sur le danger lié à l’endettement public), soit sur les réformes de structure à opérer par ailleurs. Il existe par exemple toute une aile qui voudrait en profiter pour créer une relance de l’économie autour de la conversion écologique de nos économies.

Cela correspond au fait que ce camp de la gauche critique au sens large rassemble désormais des socio-démocrates  jusqu’ici très modérés avec des gens traditionnellement bien plus à gauche. De fait, si l’on regarde le comité des experts choisis par Jeremy Corbyn pour le conseiller, on ne peut qu’être frappé par le caractère au fond fort modéré des personnalités choisies. Thomas Piketty, comme il le dit lui-même, n’est dans le fond qu’un social-démocrate proeuropéen qui croit à l’économie de marché, mais la radicalité des choix opérés par la droite conservatrice britannique l’a en quelque sorte poussé vers la gauche. C’est un constat plus général : sont en train de se retrouver dans ce camp de la gauche de la gauche des gens qui veulent simplement qu’on respecte le strict minimum de justice sociale ou les droits humains les plus élémentaires, ou plus banalement encore un minimum de respect des mécanismes macroéconomiques en matière de croissance. Il faut dire qu’au Royaume-Uni, les gouvernements Cameron mènent sous des dehors doucereux des politiques qui visent à revenir à la situation de l’Angleterre victorienne et qui vont bien au-delà de ce que Margareth Thatcher avait osé en son temps. C’est à une volonté de retour à 1940, pour ne pas dire à 1890, que l’on assiste.

Comment ces gauches travaillent-elles au sein des institutions européennes ?

Clairement, il existe une division majeure entre le camp du Parti socialiste européen et celui du Parti de la Gauche européenne. Ils disposent chacun de leurs fondations pour affiner leurs idées. Les groupes parlementaires correspondant à ces deux partis n’ont pas les mêmes votes au Parlement européen : la majorité du PSE tend à s’aligner sur le consensus européen, alors que le PGE, très minoritaire au Parlement européen, tend à s’y opposer. En revanche, les partis du PGE ou leurs associés dans le groupe du PGE  au Parlement européen tendent à se coordonner dans la mesure du possible.

Le fait que le Labour change son orientation pourrait cependant favoriser  à terme un rapprochement. En effet, il est clair que le Royaume-Uni est le pays où le virage néo-libéral a commencé dès 1979 avec l’arrivée au pouvoir de Margareth Thatcher. Si d’aventure le Labour de Jeremy Corbyn arrivait à conquérir le pouvoir dans ce pays, et à y appliquer une autre politique économique, tout changerait dans les rapports de force en Europe. Je parierais que bien des gens dans le monde sont conscients du rôle central joué par le cas britannique, et que c’est la raison pour laquelle Jeremy Corbyn déclenche un tel torrent de haine contre lui dans les médias conservateurs, y compris les plus raisonnables par ailleurs comme The Economist.  Il a pris une option sur un des lieux symboliques de la planète pour définir la bonne politique économique à mener au XXIème siècle.

Enfin, quel est le potentiel politique de ces formations à la gauche du PSE ?

Pour l’instant, dans la plupart des pays européens, tous ces partis situés à la gauche du PSE sont des partis de petite taille. Certains sont en déclin depuis de longues années, comme le PCF en France ou le KSCM en République tchèque. D’autres comme « die Linke » en Allemagne stagnent électoralement alors même qu’ils sont pratiquement seuls dans l’opposition à gauche à une grande coalition entre conservateurs et sociaux-démocrates. Les cas où ces partis dépassent le quart de l’électorat – ce qui était le score ordinaire des deux grands partis communistes de l’ouest de l’Europe avant 1970 – sont rarissimes : en fait, le seul exemple important n’est autre que celui de Syriza, cette coalition des gauches alternatives a réussi à atteindre les 35% des suffrages à deux reprises cette année.

Pour arriver à ce résultat, qui a propulsé en quelques années une force tout à fait marginale en tête des forces politiques grecques, il a fallu l’extraordinaire récession qu’a connu la Grèce (plus de 25% depuis 2009), la trahison de toutes ses promesses par un PASOK revenu au pouvoir en 2009 allié au très haut niveau de corruption de la part de ce parti tel que ressenti par la population grecque, et trois élections décisives (deux en 2012, puis celle de janvier 2015). La radicalisation à gauche de l’électorat suppose un degré de crise économique, politique et sociale qu’aucun Etat européen n’a connu sur une échelle comparable à celle de la Grèce.  Ces partis ont parfois bénéficié de bons sondages avant les élections, qu’ils ne confirment pas dans les urnes. Cela a été le cas il y a quelques années aux Pays-Bas. Il est possible que la même mésaventure arrive à « Podemos » en Espagne, qui a été mesuré il y a quelques temps par les sondages comme le premier parti d’Espagne, et qui fera sans doute finalement un score décevant aux prochaines élections générales espagnoles comme le laisse présager le score très en retrait de ce parti aux élections régionales catalanes. Le cas du Labour est encore à part, puisqu’il s’agit de savoir si un grand parti de gauche, radicalisé, peut séduire les électeurs. Malgré tout le bruit qui peut être fait autour d’eux, ces partis de la gauche de la gauche sont  en fait loin d’être dans une dynamique excellente, surtout elle ne s’appuie pas comme celle qu’on connait à l’extrême droite de l’échiquier politique sur une dynamique de longue durée qui remonte aux années 1970. 

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