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Qui gouverne à Téhéran (et comment) ? Le mystère majeur de demain : le prochain faqih
©Reuters

Bonnes feuilles

Etat des lieux de l'économie et de la politique iranienne actuelle, mentionnant également les personnes responsables, les grandes entités politico-religieuses, les élections et les cinq étapes de la révolution islamique. Extrait de "Iran 2015 : qui gouverne Téhéran, et comment ?", de Camille Verleuw, publié chez MA éditions (1/2).

Camille  Verleuw

Camille Verleuw

Camille Verleuw a étudié à l'Université Libre de Bruxelles et à l'Institut de philogie et d'histoire orientale. A vécu 40 ans en milieu chiite iranien, au Moyen-Orient, en Asie centrale, etc... Auteur ou co-auteur d'études et d'ouvrages, sous nom ou pseudonyles, dont "Atlas de l'Islam radical", CNRS Editions, 2007 ; "Trafics et crimes en Asie Centrale et au Caucase", PUF, 1999 ; "Atlas Mondial de l'Islam activiste", Paris La Table Ronde, 1991, etc.

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Soulignons encore que le concept de « gouvernement islamique sous la direction suprême d’un faqih » n’a pas la faveur d’une majorité des religieux du domaine chiite. Khomeyni, dont l’idée d’un gouvernement islamique avait évolué depuis son premier opuscule de 1944. Alors qu’il sentait approcher sa fin, en 1988, il était revenu sur les qualités qu’il avait d’abord prônées pour le futur faqih. Cela faisait déjà neuf ans que d’importants religieux, comme Muhammad-Javâd Mughniyye (1904-79) au Liban, Seyyed Mohammad Hoseyni-Ruhâni (1920-97) à Najaf, Seyyed Mehdi Hoseyni-Ruhâni (1933-2000)299 à Paris ou Mohammad Shirâzi (1926-2001) à Kerbelâ, s’étaient publiquement opposés à ses lectures des textes de droit chiites300. Ces grands-ayatollahs étaient même majoritairement opposés à une idéologie aboutissant à leur disparition, ou à leur subordination à un « super-ayatollah » détenteur du pouvoir politique.

Le régime iranien utilisa alors ses forces de police, son Tribunal du clergé, et l’AGRI pour neutraliser ces voix discordantes: Seyyed Mohammed-Sâdeq Hoseyni-Ruhâni (1926-ev) en résidence surveillée à Qom dès 1982, Seyyed Hasan Tabâtabâ’i-Qomi (1911-ev) assigné à résidence à Mashhad dès 1984, Seyyed ’Ali Beheshti, un des leaders les plus respectés des Hazaras chiites d’Afghanistan, eut à souffrir des sabotages de l’AGRI. Le grand-ayatollah ’Abolqâsem Khoyi (19/11/1899-8/8/1992), le plus grand de son époque, alors installé à Najaf, rejetait aussi les idées de Khomeyni. Plusieurs ayatollahs irakiens ou libanais, comme Mohammad Bahr ul-’Ulum (17/12/1927-ev), Mohammad-Hoseyn Fazlollah (1935-2010) ou Mohammad-Mehdi Shams ud-Din (1936-2001) allant même plus loin dans l’élaboration d’une vraie démocratie islamique.

Face à ces opposants, la majorité des partisans de Khomeyni se recrutaient parmi les hojjatoleslâm ou religieux de rang moyen qui avaient souvent été ses élèves comme Hoseyn-’Ali Montazeri, Ne’matollah Sâlehi-Najafâbâdi ou Ja’far Sobhâni qui ont écrit sur le sujet, ou comme Mohammad-Hoseyn Hoseyni-Beheshti, les trois frères Hoseyni-Khâmene’i, ’Ali-Akbar Hâshemi-Rafsenjâni, Mohammad-Rezâ Mahdavi-Kani ou ’Abdolkârim Musavi-Ardebili qui participèrent activement à la fondation du régime après février 1979. Il y a donc des religieux de toutes tendances, sur l’étendue du concept du « gouvernement islamique » et de sa portée économico- sociale, semblable au panorama des idées, allant de l’extrême droite à l’extrême gauche dans les démocraties occidentales. En effet, quand il s’est agi de régler des problèmes étrangers au droit musulman traditionnel, les opinions ont été d’une grande richesse.

Quelques grands-ayatollahs de Qom avaient plus ou moins approuvé le type de « République islamique » instituée en Iran, comme Seyyed Shahâbeddin Hoseyni-Mar’ashi-Najafi (1897- 1991), Mohammad-Rezâ Golpayegâni (1899-09/12/1993) ou Mohammad-’Ali Arâki (oct. 1894-24/11/1994). Comme ce dernier avait approuvé le choix de Khâmene’i comme faqih à l’été 1989, certains ont cru le moment venu de le faire reconnaître comme marja’- e taqlid. Or ce fut un tollé général dans la majorité des écoles religieuses et Khâmene’i annonça diplomatiquement, le 14 décembre, qu’il renonçait à cette reconnaissance. Néanmoins, ses sites, leader.ir et khamenei.ir, ne laissent pas de doutes : les réponses aux questions sont celles d’une « source d’imitation ».

Souvenons-nous aussi que celui qui fut désigné en 1982 comme le successeur de Khomeyni, fut débarqué le 28 mars 1989 après avoir critiqué l’exécution de plus de 1500 partisans de l’OMPI alors en prison, ou réincarcérés après avoir purgé leurs peines. Huit ans plus tard, quand il devint marja’-e taqlid en novembre 1997, l’ayatollah Hoseyn-’Ali Montazeri analysera avec un esprit plus critique encore ce qu’il écrivait de 1988 à 1992.

Depuis 1979, les religieux au pouvoir ont multiplié les agences pour contrôler leurs collègues de tous niveaux. Ils ont ainsi créé l’Association des professeurs de l’école théologique de Qom303 pour administrer la « howze » sans les grands-ayatollahs. Le régime crée aussi une administration des « imam-e jom’e », religieux qui président aux grandes prières du vendredi, afin d’unifier le message dans les milliers de mosquées du pays. Le régime a aussi enrôlé des milliers de religieux dans l’administration, faisant d’eux de purs fonctionnaires. Or jusqu’alors, le clergé chiite avait toujours préservé son indépendance face aux souverains et aux gouvernements, même si les chahs safavides avaient créé la fonction et titre de « sheykh-ol eslâm », offert à Nureddin Karaki (1465-1533)304.

Récemment, de « vieux » et influents ayatollahs sont décédés : Mirzâ Javâd Tabrizi (en 2006), Mohammad Fâzel Lankerâni (1931- 2007), ‘Ali Sâfi Golpayegâni (1913-2010), donnant ainsi plus d’espace au régime. Ce dernier reste certes discret sur les actuelles « sources d’imitation » en Iran, se bornant à citer certains ayatollahs - piliers du régime, certes parfois critiques, comme Lotfollah Sâfi-Golpayegâni (1919-ev)305, Hoseyn Vahid-Khorâsâni (1921- ev)306, Nâser Makârem-Shirâzi (1924-ev)307, Seyyed Hoseyn Nuri- Hamedâni (1925-ev)308, Seyyed Musâ Shobeyri Zenjâni (1928- ev)309, Seyyed Kâzem Hâ’eri (1938-ev)310, et Seyyed Mahmud Hâshemi-Shâhrudi (1948-ev)311.

Les grands-ayatollahs avides d’indépendance préfèrent désormais les villes saintes d’Irak, d’abord Najaf : ‘Ali Huseyni-Sistâni (1930-ev)312, Mohammad-Eshâq Fayyâz (1930-ev), Mohammad- Sa’id Tabâtabâ’i-Hakim (1934-ev)313, Bashir-Hoseyn Lâhuri-Najafi (1942-ev)314. Face à eux, la question du « gouvernement islamique » intéresse les nouveaux théologiens du Chiisme : les hoj. Mohammad Mojtahed-Shabestari (1936-ev)315, Hasan Yusofi-Eshkevâri (1949- ev)316, Mohsen Kadivar (1959-ev), Mostafâ Malekiyân (1956-ev) ou des philosophes laïcs : ‘Abdolkarim Sorush (1945-ev). Peu accessibles aux masses iraniennes, ces études théoriques paraissent dans des revues spécialisées comme « Critique et regard »317 ou « Les sept cieux »318 à l’École théologique de Qom.

Extrait de "Iran 2015 : qui gouverne Téhéran, et comment ?", de Camille Verleuw, publié chez MA éditions, 2015. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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