Barbara Pompili enfonce un dernier clou dans le cercueil d’Europe Écologie Les Verts : mais au fait, quel bilan concret pour le mouvement ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Barbara Pompili quitte les Verts.
Barbara Pompili quitte les Verts.
©Reuters

Oraison

Barbara Pompili a quitté Europe Écologie Les Verts mercredi 30 septembre. En cause : les accords avec le Front de gauche en vue des élections régionales. Cette défection s'inscrit dans une séquence difficile pour EELV, que Jean-Vincent Placé et François de Rugy ont aussi déserté il y a peu.

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : Jean-Vincent Placé, Barbara Pompili... les départs se succèdent chez EELV. Quel bilan peut-on faire de leur fonction politique ?

Jean Petaux : Vous citez Jean-Vincent Placé qui a quitté EELV mais il ne faut pas oublier l’autre co-président du groupe parlementaire écologiste à l’Assemblée nationale, celui qui partageait cette fonction avec Barbara Pompili, François de Rugy qui a quitté ce parti en même temps que Placé. Antérieurement c’est Daniel Cohn-Bendit, la figure la plus emblématique de ce parti, celui qui avait apporté aux Européennes de 2009 la dimension « transnationale » aux « Verts » français, qui avait claqué la porte arguant du caractère désormais totalement « clanique » et « endogamique » du parti longtemps dirigé par Cécile Duflot. On pourrait aussi citer Noël Mamère, autre figure connue de l’écologie politique en France (seul « Vert » qui a franchi la barre des 5% aux présidentielles, celles de 2002). Cette succession de départs (encore ne s’agit-il ici que des plus emblématiques) prouve abondamment que le parti EELV est en crise profonde. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que sa fonction politique soit, elle aussi, en crise. Ce qui est en cause dans la crise actuelle d’Europe Ecologie Les Verts c’est véritablement le statut d’un parti comme celui-ci dans la vie politique française. Parti formellement minoritaire ; très réduit en nombre d’adhérents (moins de 10.000 pour toute la France, sans doute beaucoup moins) ; incapable de gagner une élection par scrutin uninominal  (obligation de passer un accord électoral avec le PS pour avoir quelques députés en 2012) ; condamné à passer des alliances électorales pour pouvoir avoir des élus et siéger dans des « exécutifs » ; forcément inscrit dans une fonction tribunitienne (celle d’un parti qui sert de tribune et s’auto-limite au « ministère de la parole »), EELV est cantonné dans une forme de ghetto partisan et montre une réelle incapacité à en sortir.

Au plan organisationnel et strictement partisan EELV n’existe que marginalement. Au plan des idées il en va tout autrement puisque, fondamentalement, nombre de thèmes défendus par les Ecologistes ont littéralement « infusé » dans tous les partis politiques français.

Qu'est-ce que EELV a obtenu dans le domaines environnemental ?

Sur les grands dossiers médiatiquement inscrits à l’agenda politique, relevant plus de la conjoncture que des questions structurelles, EELV n’a pas accumulé les succès, c’est le moins que le puisse dire. Construction de l’aéroport de Notre Dame-des-Landes ; fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim ; réalisation du centre d’enfouissement de Bur ; écotaxe ; ligne TGV Lyon-Turin ou, très récemment, la DUP pour l’extension de la LGV au sud de Bordeaux (Bordeaux-Toulouse et Bordeaux-Dax) à laquelle les écologistes du sud-ouest sont très opposés : la liste des échecs est assez éloquente. Pour aucun de ces dossiers, EELV en tant que parti politique n’est parvenu à enrayer une mécanique politico-administrative d’envergure. En réalité c’est au plan local que les élus d’EELV réussissent beaucoup mieux, quand ils sont en prise sur la décision politique et qu’ils cogèrent en coalition des collectivités territoriales. A ce niveau infra-étatique (régional, départemental, communal ou inter-communical) ils sont en mesure de peser sur l’incrémentation de telle ou telle politique publique (la limitation de l’usage de la voiture en zone urbaine, les diagnostics sur l’isolation thermique de parcs immobiliers, les transports en commun, l’économie circulaire, la culture des circuits courts, le bio dans les cantines scolaires ou encore l’aménagement de zones vertes protégées). Pour faire simple on peut dire que là où les Ecologistes revendiquent d’agir tant au plan global qu’au niveau local, c’est sans doute dans le « local-localisé » qu’ils ont emmagasiné le plus de succès. C’est d’ailleurs là le paradoxe profond d’un parti politique qui prétend changer le monde entier et qui ne parvient qu’à influencer le cours de la proximité.

Qu'est-ce qui a changé concrètement en France grâce à eux ? Y a-t-il des mesures (réglementaires, législatives) particulières à souligner ?

Celles et ceux qui sont hostiles aux idées prônées par les Ecologistes politiques (il faudrait dire pour être plus précis : les « Ecologistes partisans ») diront que les changements portés par eux ont été essentiellement des « mesures punitives » supplémentaires. Pour ces adversaires des « Verts », l’écologie rime avec la complexification des procédures synonyme de ralentissement de toute l’action publique. Entre 1997 et 2002, sous Jospin à Matignon (troisième cohabitation de la Vème République), la « gauche plurielle » dans laquelle siégeaient les « Verts » a ainsi adopté plusieurs lois structurelles portées par Dominique Voynet, ministre de l’Ecologie : la loi sur l’eau, la loi portant création des « pays », la déclinaison nationale des directives européennes autour de « Natura 2000 », etc. Plus récemment, la seule véritable grande loi que EELV est parvenue à faire adopter depuis 2012 a été la loi ALUR (Accès au Logement et Urbanisme Rénové) promulguée au printemps 2013. Cette loi, portée par la ministre Cécile Duflot, a été lourdement critiquée pour sa complexité (on a parlé d’usine à gaz) au point que le gouvernement Valls a détricoté quelque peu son contenu, au grand dam (fort légitime au demeurant) de l’auteur de la loi.

J’aurais tendance à dire que le changement qui impacte la France en matière d’écologie est plus de nature sociétale que politico-partisan. D’une certaine façon on peut considérer ici (si l’on veut faire preuve d’optimisme du côté des Ecologistes eux-mêmes, qu’ils soient ou non adhérents des « Verts ») que ce constat leur donne raison au fond. Adeptes d’une démarche « bottom-up » (la société civile existe, il faut l’écouter et la valoriser), les Ecologistes ne peuvent que se féliciter de voir leurs idées, leurs thématiques favorites, structurer désormais la société. Même si cela ne provient pas « d’en-haut » et ne suit pas un schéma « top-down » plus classique, plus réglementaire voire plus « régalien ».

Dans quelle mesure leurs idées ont pu nourrir le débat public et les programmes des partis politiques sur les questions environnementales et au-delà ?

Il ne faut pas tout mélanger. L’affaire Leonarda est une pure anecdote, sans aucune espèce d’influence à long terme. On pourrait aussi évoquer des faits divers circonstantiellement tragiques comme le décès de ce jeune militant écologiste sur le chantier du futur barrage de Sivens. Bien peu aujourd’hui sont ceux qui sont capables de citer le nom du militant écologiste tué lors d’une manifestation (Vital Michalon) ; quand ? (en 1977) ;  où ? à Creys-Malville ou bien encore de Sébastien Briat, militant écologiste écrasé par un train de déchets nucléaires à Avricourt (Moselle) le 7 novembre 2004. Lorsqu’ils surgissent ces décès tragiques font la « une » des médias pendant quelques jours et les questions écologiques qui « montent » à la « une » à cette occasion s’en échappent quelques jours après. Loi du genre. Cécile Duflot, comme d’autres militants écologistes, ont bien essayé de s’emparer du dossier des migrants-réfugiés pour en faire une levier politique. Avec un assez faible succès. D’une part parce qu’elle n’a pas montré sur ce dossier une spécificité et une originalité particulières, d’autre part parce que les électeurs français ont encore beaucoup de mal à « créditer » les « Verts » d’une compétence et d’une expertise forte sur des dossiers non-limités au seul domaine environnemental. Pascal Canfin par exemple, bon technicien des questions financières, ayant acquis quand il a été parlementaire européen un vrai savoir-expert sur les flux financiers à l’échelle de la planète et sur le dossier noir de la corruption financière mondialisée, a eu beaucoup de mal à traduire cette réelle expertise dans quelques dossiers particuliers quand il fut ministre délégué à la Coopération de 2012 à 2014. Cela tient sans doute au fait qu’il n’était pas dans le premier cercle des ministres écoutés à l’Elysée et/ou à Matignon, qu’il n’avait pas d’administration sur laquelle il pouvait s’appuyer en termes de techno-structure et que, sur son territoire ministériel, Bercy exerçait une tutelle jalouse et incapacitante.

Il n’en reste pas moins vrai que les « Ecologistes » sont de formidables « prospecteurs d’idées » et « prescripteurs de sens » au sein même du débat politique français. On pourrait, filant la métaphore écolo justement, dire qu’ils sont de vraies machines à recycler les débats portant par exemple sur la gestion des déchets, la politique de gestion de la ressource aquatique, la protection des sites sensibles, etc. Même si cela n’est pas uniquement du au rôle des « Verts » dans la construction de la norme réglementaire publique depuis un quart de siècle, même si la Commission européenne, le Parlement européen ou le Conseil de l’Europe par exemple (qui n’a rien à voir avec l’Europe des 28) y ont énormément contribué, on peut vraiment dire qu’il y a désormais une « écologisation » du débat politique français. Que ce soit pour adhérer aux thèses écologistes ou pour les dénoncer. Que ce soit pour faire successivement et alternativement ce qu’a fait Nicolas Sarkozy pendant son quinquennat : mettre en place le Grenelle de l’Environnement, avec Alain Juppé, en mai-juin 2007, dès son arrivée à l’Elysée, et dire au Salon de l’Agriculture, quatre ans plus tard, au milieu d’un aéropage d’agriculteurs : « J’ai envie de dire, vous me comprenez n’est-ce pas hein ?... j’ai envie de dire « L’écologie ça suffit maintenant hein ?... ». Faisant d’ailleurs, ni plus ni moins, ce qu’une grande majorité de Français a pu faire dans leur propre vision de l’écologie sociétale et partisane : osciller entre une réelle adhésion aux thématiques défendues et un réel agacement envers celles et ceux qui les portent (les dirigeants et les militants d’EELV notamment). Ce qui ne les a pas empêchés, parfois, au hasard des élections, de les préférer à d’autres candidats, socialistes par exemple. C’est dire combien ces derniers ont pu décevoir une partie de leur électorat traditionnel !

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