Victoire des séparatistes en Catalogne : quel contrecoup pour le reste de l'Europe ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Un militant séparatiste lors du vote.
Un militant séparatiste lors du vote.
©Reuters

"A l'Etat espagnol, sans rancoeur, adieu"

Après dépouillement de 99% des bulletins, les séparatistes ont remporté les élections régionales organisées dimanche 27 septembre en Catalogne. Avec 72 sièges sur 135, les partis pro-indépendance vont prendre le contrôle du parlement régional.

Alain Wallon

Alain Wallon

Alain Wallon a été chef d'unité à la DG Traduction de la Commission européenne, après avoir créé et dirigé le secteur des drogues synthétiques à l'Observatoire européen des drogues et des toxicomanies, agence de l'UE sise à Lisbonne. C'est aussi un ancien journaliste, chef dans les années 1980 du desk Etranger du quotidien Libération. Alain Wallon est diplômé en anthropologie sociale de l'Ecole Pratique des Hautes Etudes, VIème section devenue ultérieurement l'Ehess.

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Atlantico : Quel contrecoup cette victoire présage-t-elle pour le reste de l'Europe ?

Alain Wallon : Le résultat du scrutin catalan est la résultante d’un long processus qui a démarré bien avant et indépendamment de la montée en puissance de "Podemos", même si certaines causes de leur progression peuvent être communes, comme la perte de crédibilité des appareils politiques successivement au pouvoir à Madrid et le mépris affiché de ces mêmes appareils pour les revendications qui ne cadrent pas avec leur conception de l’Etat centralisateur.

Sans parler de la victoire de Syriza, laquelle, si elle vient renforcer l’idée que les réponses politiques qui ont failli, non seulement doivent mais peuvent finir par céder la place à des alternatives indépendantes, n’explique pas pourquoi la question de l’indépendance de la Catalogne, longtemps minoritaire, est devenue désormais fédératrice pour une majorité de Catalans.

La cause de ce changement est à chercher dans le refus en 2010 de la Cour constitutionnelle espagnole de valider le nouveau statut de la région adopté par les parlements espagnol et catalan. La Catalogne a ensuite cristallisé sa rancœur, due à cette profonde déception, sur le déficit fiscal dû, affirme-t-on à Barcelone, à un retour insuffisant vers la Catalogne des sommes versées à Madrid par la région, un différentiel chiffré à 15 milliards d’euros, selon le journal les Echos. A cela s’ajoute la polarisation très forte du débat entre indépendantistes et anti-indépendantistes qui ne laisse presqu’aucun espace aux partisans de la voie médiane que serait une autonomie et un fédéralisme accrus sans rupture avec l’Espagne.

La victoire ce dimanche des partisans de l’indépendance va poser de nombreux problèmes à l’Europe si elle débouche effectivement sur une rupture avec l’Espagne. Il faudra aux institutions de Bruxelles, Conseil, Parlement et Commission, beaucoup d’efforts pour gérer cette situation inédite. La Catalogne devra, si elle se sépare de Madrid, faire comme tous les pays candidats à l’adhésion à l’UE : suivre les procédures, remplir les conditions fixées… Mais la Catalogne n’est pas l’Albanie ! Elle répondrait déjà à la majeure partie des réquisits de l’Union dans la plupart des domaines. Ayant adopté l’euro comme monnaie unique en même temps que tous les membres de la zone euro, elle pourrait avoir de forts arguments pour l’intégrer à court délai au moins en tant qu’observateur. Mais c’est la situation d’une Espagne, antérieurement quatrième économie européenne, soudain amputée d’une de ses locomotives économiques et culturelles, réduite à une Etat affaibli et de seconde importance, que devrait gérer l’Europe. Un défi particulièrement redoutable et "non prévu au programme"…

Dans des propos tenus la semaine dernière, Guy Verhofstadt, chef du groupe démocrate et libéral du Parlement européen, a déclaré que "la réaction d’Orbán [le Premier ministre hongrois ndlr] n’est pas conforme aux valeurs européennes" (voir ici). Si l'on ajoute la crise grecque de cet été, dans quelle mesure peut-on dire que l'Europe est actuellement testée sur son identité ?

L’Union européenne est en effet confrontée, en l’espace de moins d’un an, à une série de défis inédits dans la période antérieure et qui font office de test, tant pour les institutions qui la structurent et la dirigent que pour les citoyens qui la composent et, bien au-delà, pour tous ses partenaires extérieurs dans le monde : les marchés financiers, toujours prompts à réagir et à opérer leurs propres tests, et bien sûr tous les pays, organisations et entreprises avec lesquels l’Europe entretient des rapports de court, moyen et long terme.

Test, tout d’abord, de la capacité de l’édifice européen à tenir le choc de ces défis successifs sans se fissurer gravement, ce qui pourrait amener à douter de ses moyens à empêcher un éclatement de cette construction unique au monde qui tient bon depuis soixante ans. Test, ensuite, de ce qui unit officiellement les pays européens au sein de l’Union, à savoir un ensemble de valeurs et d’objectifs communs. Il ne s’agit pas à proprement parler d’une "identité européenne" car celle-ci reste à naître – on voit bien avec la crise dite des migrants que l’on en est encore aux balbutiements. Test enfin de la volonté politique de ceux et celles qui dirigent ce navire entré dans une zone agitée et pavée d’écueils :  leurs déclarations, les moyens mis en œuvre, leurs réponses concrètes seront regardées à la loupe par tous les partenaires – et adversaires – de l’Europe, ainsi qu’elles l’ont été pendant les récents chapitres de la crise de la dette grecque. Analystes financiers, agences de notation, spéculateurs de tout poil seront à l’affut.  La meilleure réponse aux inquiétudes sera de fournir des réponses, institutionnellement comme pratiquement, conçues pour le long terme. L’Europe des peuples, c’est aussi l’Europe des régions, une dimension à taille humaine qu’il faudra bien réhabiliter…

Dans quelle mesure peut-on y voir une remise en cause de la vision allemande selon laquelle l'identité européenne peut se satisfaire d'institution et du respect des règles qui en découlent ?

Ladite remise en cause n’est pas le fait des Catalans, qui ne se sont pas posé la question, du moins dans ces termes. Mais c’est l’amorce d’une remise en cause de fait, qui obligera les institutions européennes à prendre à bras le corps des questions qui jusqu’à présent relevaient du domaine des scénarios envisagés mais sans l’obligation de leur trouver des réponses concrètes.

L’Allemagne, mais aussi la France et l’ensemble des Etats membres sont concernés au même titre. Certes, l’Allemagne de Mme Merkel et la vision étroite, hypocritement moraliste car fondamentalement matérialiste, de l’alliance CSU-CDU au pouvoir a de la bile à se faire. Ses tentations hégémoniques, déjà mises à mal par le long épisode grec et l’échec cuisant de la tentative de faire disparaître Tsipras de la scène, puis par le désamour avec les "ex-amis" d’Europe centrale – le groupe de Visegrad – sur le dossier crucial des réfugiés, vont devoir se rendre plus discrètes. Sans parler de l’image dégradée du grand pays exportateur après l’affaire Volkswagen… On peut imaginer que certains mettront le pied dans la brèche pour éviter qu’elle se referme et pour en profiter. Pas tant la France, pays centraliste que l’envol catalan, s’il se confirme d’ici 2017, risque plutôt de crisper sur un tel sujet, même si François Hollande ne souhaitera volontiers pas se porter au secours de la droite néo-franquiste de M. Rajoy et de ses alliés conservateurs en Europe, mais plutôt d’autres pays comme l’Italie ou la Grèce qui y verront une chance de réduire l’influence de Berlin sur d’autres dossiers, au premier chef celui des politiques d’austérité dont ils cherchent à desserrer le carcan.

Le respect des règles est autre chose. Aucune entité rassemblant en son sein des partenaires aussi nombreux que différents, 28 en l’occurrence, ne peut espérer fonctionner sans des règles précises et des moyens de le faire respecter, une fois acceptées par tous. Ce sont les règles qui devront évoluer, de nouveaux dispositifs qui devront être mis en place. Et cela suppose un travail d’ampleur. Le bricolage institutionnel dans le cadre des Traités ne suffira pas. Il faudra être créatif et mettre sur la table les nouvelles règles qui permettront à l’Europe d’absorber les changements qui s’annoncent et de consolider à nouveau l’édifice, aujourd’hui menacé de fissures qui pourraient mettre sérieusement en jeu sa pérennité.  Mais, pour en revenir aux propos de Guy Verhofstadt, sans s’appuyer sur une défense intransigeante des valeurs fondatrices de l’Union, se lancer dans une telle aventure serait pour le moins… aventureux.

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