Loi sur le numérique : une bonne première mouture sur les données personnelles… Mais qui laisse un goût amer sur le financement des entreprises <!-- --> | Atlantico.fr
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L'essentiel du projet de loi porte sur l'encadrement des données personnelles des utilisateurs.
L'essentiel du projet de loi porte sur l'encadrement des données personnelles des utilisateurs.
©Artsper - Miguel Chevalier

Première brique

Axelle Lemaire et Manuel Valls ont mis en ligne samedi 26 septembre leur projet de loi pour une "République numérique". Si les dispositions sur la gestion des données personnelles paraissent pour le moment pertinentes, la partie sur l'économie a été écartée par rapport aux annonces faites en février.

Christophe Benavent

Christophe Benavent

Professeur à Paris Ouest, Christophe Benavent enseigne la stratégie et le marketing. Il dirige le Master Marketing opérationnel international.

Il est directeur du pôle digital de l'ObSoCo.

Il dirige l'Ecole doctorale Economie, Organisation et Société de Nanterre, ainsi que le Master Management des organisations et des politiques publiques.

 

Le dernier ouvrage de Christophe Benavent, Plateformes - Sites collaboratifs, marketplaces, réseaux sociaux : comment ils influencent nos Choix, est paru en mai  2016 (FYP editions). 

 
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Atlantico : Comment appréhendez-vous les propositions du projet de loi numérique, sa démarche va-t-elle dans le bon sens ?

Christophe Benavent : C'est un oui, et on peut espérer que cette expérience, et les enseignements qu'on en tirera, pourront servir à d'autres projets législatifs. Cela va pleinement dans le sens d'une démocratie participative et délibérative. Dans le détail pratique on soulignera la qualité de l'interface que je viens de tester au cours du weekend, et qui au moment où j'écris accueille déjà plus d'un millier de contribution (dimanche 18h) et il reste encore 21 jours. Je suis frappé par l'intelligence de certaines propositions (par exemple le soutien au logiciel libre). 

>>> Lire également : Manuel Valls et Axelle Lemaire font de la loi sur le Numérique une réforme participative

On rappellera que le texte proposé est lui-même le fruit d'une concertation réussie par le Comité National du Numérique et qui a suivi les même modalités. Sur le fond une telle procédure semble parfaitement adaptée pour recueillir ce que certains appellent l'intelligence des foules et on ne peut qu'être satisfait que des idées développée depuis de nombreuses années, expérimentées dans de multiples contextes, étudiées par de nombreux chercheurs, soient mises en œuvre pour améliorer la loi. C'est clairement un moyen pour échapper en partie aux pressions des lobbies qui dans ce domaine sont pressants, et d'apporter de la transparence dans l'élaboration de la loi. Naturellement ce type d'approches présentent des limites, seuls les citoyens les plus motivés vont s'exprimer, la participation demande un réel effort, et on peut s'interroger sur la manière dont les contributions seront prises en compte. J'avoue cependant qu'en me baladant qu'un article à l'autre, d'un argument à l'autre, j'ai eu le sentiment qu'enfin l'Etat devient moderne et va dans le bon sens.

L'essentiel du projet de loi porte sur l'encadrement des données personnelles des utilisateurs. Mercredi dernier, Yves Bot, l'un des 9 avocats généraux de la Cour de justice de l'union européenne s'est attaqué aux géants du web américains pour assurer la protection des données des citoyens européens. Vous paraît-il judicieux de faire doublon, l'UE pouvant probablement compter sur un poids plus important pour s'imposer auprès des géants de la Silicon Valley que la France seule ?

Il y a plutôt complémentarité. Ce que le Juge Bot met en cause est la sphère de sécurité dont le principe acquis en 1998, autrement dit dans un autre siècle, n'a pas reçu les garanties nécessaires de l'Etat américain. Si nous allions vers un principe européen de localisation des données des citoyens européens sur le territoire européen, cela renforcerait l'impact de la loi République numérique. Quant au poids des Gafa, c'est celui de l'argent, jusqu'à ce jour il ne sont pas souverains. Notons d'ailleurs qu'avec la baisse des coûts de stockage (moins d'un cent le giga), qu'ils localisent les données en Europe où aux Etats-unis est indifférent. Et s'il veulent améliorer la qualité de service, réalisée par la rapidité des traitement qui se compte désormais  en centième de seconde, il vaut mieux être proche des clients !

S'ils refusent de le faire c'est simplement que sur le territoire américain il sont libre de mélanger et de mixer des données provenant de différentes sources. C'est ce modèle justement qu'il faut combattre, un modèle où on se résigne sur les pratiques qui consistent à ce que les données de sécurité sociale, d'activité bancaire, de santé, d'affinités amicales, de consommation soient compilées dans des bases uniques et centralisée à la manière de ce que fait Axciom. Le modèle alternatif est un modèle européen où le rapprochement de ces données se fait à l'échelle individuelle, dans des clouds personnels, comme les expérimentations de la Fing on démontré non seulement la faisabilité mais aussi la créativité.

L'ambition du texte est d'assurer la transition digitale la société. Pourtant, il semble avoir été allégé de la partie de l'aide aux start-ups et à l'économie numérique par rapport aux annonces faites au mois de février...

Naturellement, on attend l'Etat sur le volet économique. Les start-up ont d'abord besoin de financement, et il y a en Europe a renforcer, voire à construire un système de financement des nouvelles entreprises, au risque de les voir comme celà se produit maintenant systématiquement à voir leur capital être dominé par les intérêts des fonds d'investissement américain. Mais c'est un autre enjeu. Sans doute il faudra sur ce plan réviser les politique de CIR et de CICE qui comme de nombreux commentateurs le notent apparaissent plus comme des mécanismes de défiscalisation plutôt que d'encouragement à l'innovation. Il vaudrait mieux verser ces sommes considérables directement à la recherche publique où à des fonds souverain d'investissement en capital risque. La BPI seule n'est pas suffisante. Pour le reste rappelons que le métier de l'entrepreneur c'est la prise de risque, et que les entreprises ont en la matière à prendre leurs responsabilités.

L’allégement n'est pas une mauvaise chose d'autant plus que le texte est plutôt bien "architecturé". La simplicité doit aussi être un attribut de la modernité. Ici il s'agit très clairement de définir les conditions d'une citoyenneté numérique. Et il y a là des propositions fondamentales, celles sur l'open access, c'est à dire le droit pour les chercheurs de publier librement les textes qu'ils ont produit avec des fonds public et qui sont édités de manière privée est essentiel pour la préservation de la connaissance dans l'espace commun.  De même les dispositifs relatifs à la portabilité des données personnelles et à leur restitution (le fait que les entreprises qui collectent des données doivent être en mesure de les restituer aux internautes) sont fondamentales. Elles éviteront l'accaparement systématique et l'appropriation des données personnelles dont rappelons que pour lesquelles ils n'existe pas de droit de propriété. 

Les conséquences économiques de ces disposition seront très importantes, elles permettront le développement d'entreprise innovantes qui pourront développer un modèle européen de ce qui devient bien plus que l'internet, mais une architecture sociale à base de flux de données. N'oubliez pas que l'enjeu ce ne sont plus les réseaux sociaux, mais le flux de l'internet des objets : nos voitures, nos frigos, nos chaudières, nos vélos, nos balances qui vont bientôt entretenir un dialogues extrêmement bavard entre eux! Et au passage les objets connectés sont un des domaines dans lequel nous ne sommes pas mauvais du tout.

Ce modèle plus décentralisé et plus respectueux des citoyens, des consommateurs et des travailleurs, trouve ici ses fondements. Il s'oppose au modèle centralisé des plateforme à la Uber ou à la AirBnb, sans parler des gafa, qui s'ils apportent de nombreux bienfaits montrent depuis plusieurs mois, voire années, qu'ils peut aussi être destructeur d'emploi et de libertés. Il était urgent que les bases d'un monde digital alternatif soient proposées, un monde qui s'inscrit dans la tradition sociale démocrate et libérale de l'Europe.  C'est à mon sens le moyen de ne pas se résigner à la domination des modèles monopolistes des plateformes qui fleurissent dans la Silicon Valley. Il y a là les fondements pour reprendre la main sur les questions de souveraineté numérique et stimuler une innovation originale. 

Par ailleurs, plusieurs propositions, qui seront soumises au vote des internautes, semblent prolonger la loi de 1978 sur les données personnelles. Quels seront les défis à relever pour qu'elles soient appliquées ?

La localisation des données des citoyens européens sur le territoire européen en est un élément essentiel. L'éducation des citoyens en est un autre, il est nécessaire que nous apprenions à contrôler la diffusion et la dispersion de nos données, il y a des besoin considérable de ce qu'on appelle dans les milieux spécialisée la litteracie digitale. Un autre élément est absent dans la loi, et je jouerais le jeu de la participation en le proposant si ce n'est pas encore fait. C'est d'inscrire un principe de redevabilité algorithmique. Autrement dit que les entreprises qui utilisent des algorithmes plus ou moins complexes, rendent compte de ceux-ci de la même manière qu'elle rende compte désormais de leurs effets environnementaux. Sans donner les paramètres précis qui relève de la confidentialité commerciale, nous devons savoir ce que les algorithme font et quels effets non désirés ils produisent. Le cas de volkswagen est emblématique : le secret des algorithmes mène au mensonge.

Il faut bien comprendre que dans le nouvel internet qui se dessine si les données sont essentielles, le monde du big data est aussi celui des algorithmes. Pour le comprendre simplement rappelons qu'aujourd'hui les techniques du deep learning permettent de reconnaitre des personnes dans les photo tout autant que des objets. Pour reprendre le titre de l'ouvrage de Frank Pasquale ( Harvard) nous entrons non seulement dans un monde de données mais aussi dans la société de la boite noire (blax box society).

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