Sommet de l’ONU, retour vers le futur ? Le machin de 1945 qui ne semble connaître ni l’Etat islamique ni Google<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Sommet de l’ONU, retour vers le futur ? Le machin de 1945 qui ne semble connaître ni l’Etat islamique ni Google
©REUTERS/Adrees Latif

Sommet de la dernière chance

Le sommet de l'ONU sur le développement durable a commencé vendredi 25 septembre, mais les chefs d'états n'entreront en jeu que le dimanche. Si l'on doit la notion de développement durable à l'organisation, l'ONU semble stagner sur bien d'autres sujets.

Chloé Maurel

Chloé Maurel

Chloé Maurel est historienne, spécialiste des Nations unies, auteur d' "Histoire des idées des Nations unies" et l' "Histoire de l'Unesco".

Voir la bio »
Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

Voir la bio »

Atlantico : L'ONU ne paraît plus vraiment adaptée au monde d'aujourd'hui. Qu'elle était la philosophie derrière sa création en 1945 ? Quelle était la situation géopolitique à l'époque ?

Alexandre Del Valle :La situation géopolitique de 1945 était celle de la victoire contre le nazisme et de l'émergence du bloc soviétique. L'ONU traduisait à l'époque les rapports de force en place, à savoir la traduction politique de la victoire militaire contre les forces nazies : l'URSS communiste d'un côté ; la France, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis de l'autre représentant quant à eux le monde libre capitaliste et occidental.

Ceci veut dire que bien que l'ONU ait été pensée par des occidentaux adeptes de la démocratie libérale et de l'idée d'une gouvernance mondiale, il a fallu tenir compte de la puissance géopolitique émergente de deux puissances hostiles à la philosophie même des concepteurs de l'ONU. 

Dès lors l'ONU était condamnée à être tiraillée entre d'une part des beaux idéaux et un droit international difficilement applicables, de l'autre la Realpolitik cynique  d'Etats totalitaires représentés par la Chine et l'URSS entre autres car à ces deux derniers pays s'ajoutent de nombreux alliés dans le tiers-monde, encouragés dans leur anti-occidentalisme et dans leur rejet des principes onusiens fondateurs dans le cadre d’une décolonisation revancharde et révolutionnaire.

Concrètement, cela se traduit par une Assemblée générale des Nations Unies qui représente l'organe le plus démocratique de l'ONU mais dont la majorité des membres est soit anti-occidentale soit bafoue les valeurs démocratiques et en plus n'a pas vraiment de pouvoir décisionnaire concernant l’emploi de la force et la capacité de contraindre d’autres Etats. Et de l'autre, un organe non démocratique représenté par les vainqueurs de la seconde guerre mondiale c'est-à-dire la Russie, la France, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis qui composent le Conseil de sécurité permanent des Nations Unies, lequel peut déclencher quant à lui les opérations militaires au nom du chapitre VII de la charte de l'ONU (autorisant des mesures coercitives dont l’emploi de la Force militaire avec notamment les Casques Bleus). Rappelons que Conseil de sécurité réunit 10 membres tournants et 5 membres permanents : 4 membres permanents depuis de 1945 (États-Unis, URSS/Russie, Royaume-Uni, France) plus la Chine, ajoutée depuis en raison de sa puissance. Le Conseil peut sanctionner des États « fautifs » et même autoriser une action militaire comme ce fut le cas en 1991 suite à l'invasion du Koweït par l'Irak, mais sa capacité d'action demeure limitée par le droit de veto des cinq membres permanents, ce qui fait que seuls les Etats faibles sont réellement « punis »…

Chloé Maurel : L'ONU a été créée en 1945 au lendemain de la catastrophe de la Seconde Guerre mondiale: plus de 50 millions de morts et des destructions massives. La philosophie qui a présidé à la création de l'ONU était une volonté de refonder le monde sur des bases plus justes, et pacifistes. Il s'agissait de faire dialoguer les cultures entre elles (grâce à l'UNESCO, la branche culturelle de l'ONU) et de rendre les guerres et affrontements armés impossibles ou du moins en réduire le nombre et l'ampleur.

La situation géopolitique était la situation prééminente des pays considérés comme les vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale: Etats-Unis, URSS, Royaume-Uni, France, Chine, qui se sont taillés la part du lion à l'ONU en obtenant le statut de membres permanents du conseil de sécurité, ce qui leur donne le droit de veto, privilège important. Mais cette situation ne correspond plus à la situation géopolitique actuelle, où nous assistons à l'émergence de pays comme le Brésil ou l'Afrique du Sud et où l'Europe est dominée par l'Allemagne, des pays qui réclament une place plus importante à l'ONU et un siège de membre permanent du conseil de sécurité.
Mais les valeurs sur lesquelles l'ONU a été bâtie restent toujours d'actualité aujourd'hui: la paix, la volonté de progrès social, le dialogue des cultures, tous ces objectifs restent plus que jamais nécessaires et donc l'ONU reste utile.

La philosophie de l'organisation semble en perte de vitesse. Elle commet un certain nombre d'erreurs comme la récente nomination d'un ambassadeur saoudien au poste de Président du Conseil des droits de l'Homme. Comment expliquer son inadaptation ?

Alexandre Del Valle : Ce n'est pas la première fois qu'un tel paradoxe se produit. Dans les années 2000 déjà, un état anti-démocratique qui avait parrainé le terrorisme international, la Lybie de Kadhafi, avait présidé le Conseil des droits de l'Homme de l'ONU basé à Genève et qui est depuis 2006 l'organe intergouvernemental principal des NU sur toutes ces questions relatives aux Droits de l’Homme. Ce Conseil des Droits de l’Homme est composé de plusieurs pays totalitaires comme l’Arabie saoudite, et s’il a été conçu entre 2005 et 2006 pour améliorer et remplacer l’ancienne Commission des Droits de l’Homme, force est de constater qu’il ne vaut pas mieux et n’est pas plus défenseur des droits humains que l’ancienne Commission onusienne. D’une manière générale, les instances onusiennes chargées des droits de l’Homme, tout comme l’Assemblée générale des Nations Unies, demeurent des organes qui subissent un intense lobbying de pays à la fois anti-démocratiques et anti-occidentaux très orientés et majoritaires. Les groupes les plus influents dans ces instances sont les 120 pays du Sud issus du Mouvement des « Non Alignés » (MNA); les 57 Etats musulmans membres de l’Organisation de la Conférence islamique (OCI) qui promeut une « Déclaration islamique Universelle des Droits de l’Homme et qui conditionne les Droits humains à la loi islamique), la Ligue arabe et d’autres groupes dont l’Inde et ses amis, les pays de l’OCS (Organisation de la Conférence de Shanghai), puis bien sûr les Etats occidentaux, en réalité minoritaires en dehors du Conseil de Sécurité Permanent qui reste un temple bien gardé. Notons que selon Freedom House, le Conseil des Droits de l’Homme n'a condamné que très peu de pays (République démocratique du Congo, Israël, la Somalie ou la Corée du Nord) et que l’Etat d’Israël est « resté la cible d'un nombre excessif de résolutions la condamnant : 10 résolutions sur 18 de 2007 à 2009 et 19 sur 31 depuis la première session du Conseil, comme si des Etats islamiques totalitaires comme l’Arabie saoudite, le Pakistan, le Soudan, ou des Etats communistes comme la Chine, Cuba, ou la Corée du Nord n’en méritait pas encore plus… Autre phénomène incroyable totalement contraire à l’esprit de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme que le Conseil devrait défendre, on observe au sein du Conseil et de l’Assemblée générale depuis les années 1990-2000 un puissant mouvement qui s'efforce de promouvoir l’inscription de la diffamation des religions et de l’islamophobie comme une nouvelle forme de « racisme » ceci afin de remettre en question les principes de liberté d’expression, de laïcité et d’universalité des droits de l’Homme. Ces tentatives, promues essentiellement les 57 membres de l’OCI, montrent bien que des organes des Nations Unies sont tellement gangrénés par ceux qui ne partagent pas les valeurs onusiennes fondatrices qu’ils sont servent des buts souvent opposés à celui des Nations Unies… Bref, le vers est dans le fruit, et cela explique pourquoi l’Arabie saoudite championne des lapidations, de la persécution des minorités et du financement des jihadistes du monde entier préside le Conseil des Droits de l’Homme des NU…  

Mais cela est en fait assez logique et n’est pas la faute de l’ONU en tant que tel mais vient du fait que les organes des Nations Unies n'ont jamais été en mesure d’obliger les Etats puissants à respecter leurs valeurs universelles fondatrices pour la simple raison que ce qui caractérise les relations internationales est donc l'ONU demeure la puissance des Etats qui créent les organisations internationales, lesquelles ne font que refléter les volontés souveraines les plus puissances qui les font naître et vivre… Ainsi, la Chine, la Russie, les Etats-Unis, la France, la Grande-Bretagne, l’Inde, la Corée du Nord, Israël, le Pakistan, voire la Corée du Nord, puissances nucléaires ne sont jamais bombardées lorsqu'ils violent le droit international à tort ou à raison, tandis que la faible Serbie-ex-Yougoslavie des années 1990, l'Irak de Saddam Hussein à la même période et en 2003 ou la Lybie en 2011 ou encore le Mali plus récemment n’ont été bombardés dans le cadre d'opérations soit Onusiennes soit unilatérales que parce que ces Etats étaient faibles et dépourvus du feu atomique...

Morale de l'histoire, ce n'est pas uniquement l'ONU qui est défaillante dans ses principes et organes, mais les Etats souverains, à qui l'on ne peut pas imposer grand-chose s'ils ne l'acceptent pas puisqu’ils sont à l’origine de ces organisations. Or, plus ils sont forts, moins on n'a la possibilité de leur imposer quoi que ce soit.  C'est pour ça qu'on n'a jamais obligé les Etats puissants à respecter leurs minorités ou autre principes de sauvegarde des droits de l’Homme inscrits dans la Charte des Nations Unies ou de la Déclaration Universelle des droits de l'homme. En termes clairs, le droit international ne s'applique qu'aux faibles... d’où le fait que la Cour Pénale internationale n’a jamais condamné que des chefs d’Etat africains et que les Tribunaux pénaux internationaux n’ont traduit en justice aucun chef d’Etat de grands Etats ou d’Etats dotés de forte capacité de nuisance comme le Pakistan, la Chine, la Russie, la Corée du Nord, ou même les Etats Unis eux-mêmes qui sont à l’origine u chaos moyen et proche oriental et balkanique. C'est pour cela selon moi que l'on assiste à un discrédit général de l'ONU et mêmes des valeurs comme les droits de l'homme qui sont bien trop souvent invoquées (« droit d’ingérence et « responsabilité de protéger ») pour justifier des opérations néo-impériales militaires qui violent l’intégrité  d’Etats souverains mais faibles comme l'ex Yougoslavie de Milosevic, l'Irak de Saddam Hussein, la Libye de Kaddhafi. 

Chloé Maurel : L'ONU est effectivement en perte de vitesse, elle est concurrencée par d'autres instances, comme, sur le plan militaire, par l'OTAN (comme le règlement de la guerre civile en ex-Yougoslavie dans les années 1990 l'a montré), ou, sur le plan économique et social, par l'OCDE ou le G7/G8/G20.

Elle peut être critiquée, pour des choix peu judicieux effectivement, et qui ne datent pas d'aujourd'hui: par exemple déjà dans les années 1970, le fait d'avoir nommé l'Autrichien Kurt Waldheim comme secrétaire général de l'ONU (il a exercé ce mandat de 1972 à 1981) apparaît regrettable car c'était un ancien nazi. Le recrutement, opaque, est un grand problème aux Nations unies. Il faudrait un recrutement plus transparent.
Un autre problème est l'ouverture de l'ONU au secteur privé: entreprises multinationales. Cela dilue les valeurs de l'ONU.

L'ONU a été conçue pour que les grandes puissances puissent traiter ensemble. Or, aujourd'hui on assiste à l'émergence de puissances qui ne sont pourtant pas des états. L'ONU est-elle armée pour traiter avec des groupes terroristes par exemple ?

Alexandre Del Valle : C'est difficile pour l'ONU de traiter avec un Etat qui n'est pas reconnu internationalement, puisqu'elle est le fruit d'Etats souverains et qu'elle ne peut pas imposer par la force le respect des valeurs universelles ou de paix que si les Etats les plus puissants qui la composent (membres du Conseil de Sécurité) sont d'accord. Or, aujourd'hui l'Etat Islamique est fort parce que les grands Etats qui devraient s'unir pour le réduire ne sont pas d'accord entre eux. Aujourd'hui, ce que va proposer Vladimir Poutine à l'Assemblée générale de l'ONU est justement un appel à l’entente entre les grands rivaux comme les Etats-Unis, Russie, l'Iran, la Turquie et autres puissances régionales afin de créer un véritable front commun contre Da’ech. Front commun sans lequel il sera difficile d'éradiquer cette menace.

Cela signifie que lorsque l'on accuse une organisation internationale d'être inefficace, (ONU, Union européenne, etc) on se trompe de responsable car ce sont les Etats souverains et eux seuls qui décident de ce que peut faire ou ne pas faire une organisation internationale. Celles-ci n'ont d'ailleurs qu'un « pouvoir juridique dérivé », le pouvoir originaire venant en fait des Etats souverains qui s’obligent en y adhérant (« pacta sunt servanda ») sauf s’ils décident de se retirer, ce qui est le droit de tout Etat membre de toute organisation internationale. Par exemple, la Grande Bretagne peut légalement parfaitement quitter et à tout moment l'Union Européenne, de même que personne n’a obligé l’Iran à adhérer aux Nations Unies ou au traité de non prolifération ou à l’Agence Internationale de l’Energie Atomique qui le contrôle (AIEI).  C'est pour ça que les vrais responsables de la situation sont les Etats créateurs des Organisations internationales dont les intérêts divergent forcément et non ces organisations qui ne sont que ce que les Etats-membres en font.

Les intérêts des Etats demeurent primordiaux eu sein des relations internationales et les ONG ou Organisations internationales pèsent très peu face à eux ; Par exemple, la Turquie n'a pas intérêt aujourd'hui à combattre totalement les djihadistes en Syrie car ses intérêts principaux consistent à endiguer la menace principale, à savoir le séparatisme kurde du PKK, lui-même ennemi principal des djihadistes...

De son côté, l'Arabie Saoudite bafoue tous les jours les valeurs mêmes de la charte de l'ONU, mais comme c'est un Etat géopolitiquement et énergétiquement extrêmement puissant, de surcroit protégé militairement par l'Etat le plus puissant au monde, les Etats-Unis (qui dénonce les Etats-Voyous ou la Russie de Poutine mais jamais l’Arabie créatrice d’Al-Qaïda), elle n'a jamais été bombardée et elle peut continuer à violer les droits de l'homme et les minorités chaque jour à l'opposé d'Etats moins puissants ou moins protégés par les plus puissants... « selon que vous soyez puissants ou misérables » disait justement Lafontaine.. Inversement, la Corée du Nord se vante du fait que c'est grâce à la bombe nucléaire qu'elle n'a jamais été victime d'opérations occidentales ou onusiennes à la différence d’Etat ayant renoncé au feu atomique comme l’Irak ou la Libye... Car l'ONU n'a jamais pu ni essayé d’attaquer militairement ou réellement redresser les torts face à un pays fort. L'ONU n’est donc que le fruit et l’instrument, premièrement des pays les plus forts, nécessairement impunis, et des groupes de pays capables d’y exercer un lobby interétatique comme l’OCI.

Chloé Maurel : Aujourd'hui effectivement beaucoup de menaces ne viennent plus d'Etats mais sont transnationales: groupes terroristes, mafias, maladies et épidémies, ou menaces environnementales, tous ces dangers ont pour point communs d'être transnationaux.

Mais je pense que justement, l'ONU, qui est une instance mondiale, est l'instance adaptée pour traiter ces problèmes, elle est plus à même de le faire que des Etats, car son domaine d'action est le monde entier, à l'échelle du globe tout entier. 

Elle est également amenée à s'adresser à des multinationales parfois plus puissante -du moins financièrement parlant- qu'elle peut l'être. Comment s'y adapte-t-elle ? Est-elle conçue pour cette grande diversité d'interlocuteurs ?  

Alexandre Del Valle : L'Onu n'est pas vraiment conçue pour cette grande diversité d'interlocuteurs, mais les multinationales sont une autre catégorie qui n’explique pas spécialement son impuissance. Le problème de l'absence de réforme et de son dysfonctionnement ne vient pas des multinationales mais des rivalités entre les 5 grands Etats qui, à tort ou à raison, ne veulent pas réformer l'ONU, à commencer par la composition de son organe le plus puissant et décisionnaire, le Conseil de Sécurité permanent car ils en perdraient leur hégémonie.

Ces dernières années par exemple, la Chine a bloqué l'idée de faire rentrer l'Inde au Conseil permanent puisqu'elle est son ennemi économique et politique de toujours. Chaque membre a un droit de véto, donc cela signifie que l'ONU est arrivée à un point de non-retour pour les questions géopolitiques et qu’elle est une organisation dépassée pour ce qui concerne les grandes questions stratégiques que peuvent bloquer les Etats. Par contre, pour d'autres dossiers (la santé, l'éducation..) qui dérangent moins les Etats (Unesco, OMS…) l'ONU peut mieux fonctionner et parfois réaliser des avancées notables.

Pour ce qui concerne le Conseil des droits de l'Homme de l'ONU basé à Genève, la situation est ubuesque puisque sont chargé d'assurer la promotion et la sauvegarde des droits de l'homme des Etats qui les violent constamment !

Pourquoi ? Parce que les Etats n'ont pas intérêt à ce que le respect des droits soit vraiment assuré, et surtout que leurs violations soient punies et même condamnées, ce qui serait une prémisse et le prétexte à des interventions dans les affaires privées des Etats souverains au nom du « droit d'ingérence » et de la « responsabilité de protéger », concepts nouveaux que beaucoup d'Etats craignent car ils remettent depuis des années en cause le fondements même du droit international, à savoir la souveraineté des Etats.. La majorité des Etats du monde n'a donc pas intérêt à faire progresser la sauvegarde des droits de l'homme, surtout depuis que ceux-ci sont devenus des prétextes à des violations de souveraineté et des guerres d’ingérences, car cela remettrait en question la survie même de nombreux Etats, y compris démocratiques.

Chloé Maurel : Depuis les années 2000 avec Kofi Annan, l'ONU a adopté le «pacte mondial» (global compact en anglais) qui est un partenariat entre l'ONU et les entreprises, notamment multinationales. De plus l'ONU et ses agences mènent de plus en plus de projets en partenariats avec des multinationales, qui apportent leur financement en échange de la publicité que leur donne ce partenariat. Mais ces partenariats ne sont pas une bonne idée car ils amènent l'ONU à adopter la logique des entreprises, ils vont plus dans le sens de l'intérêt des entreprises que de l'ONU. La logique d'une multinationale (faire du profit) n'est pas convergente avec celle de l'ONU qui est d'agir pour la paix et le progrès, en dehors de toute logique de rentabilité financière.

Afin de se relever, quels défis l'organisme va-t-il devoir affronter ? Certains semblent-ils hors de sa portée ? 

Alexandre Del Valle : Le principal défi de l'ONU serait de faire accepter sa réforme et sa composition, mais ceci est presque impossible puisque les Etats qui l'ont créé n'y ont pas intérêt. Mais, il est certain que les pays émergents frappent à la porte et demandent leur « part du gâteau ». Ce que je pense, c'est qu'en refusant de partager ce gâteau, un jour l'ONU pourra réellement être en danger, voire risquer de disparaître, tant son système et son efficacité sont bloqués par cette situation de refus d’admettre de nouveaux candidats qui reflètent plus l’ordre géopolitique mondial actuel post-Guerre froide. 

Chloé Maurel : La guerre civile en Syrie et l'afflux de réfugiés en Europe est un grand défi. L'ONU a déjà apporté sa contribution à la question des migrants car dès 1990 elle avait élaboré une «Convention internationale sur la protection de tous les travailleurs migrants et des membres de leurs familles», très en avance sur son temps puisqu'elle affirme que tous les migrants, légaux ou non, ont droit aux mêmes procédures judiciaires et aux mêmes traitements que les citoyens des Etats. Entré en vigueur en 2003, ce texte a eu néanmoins peu d'effet car il a été ratifié par peu d'Etats (ni les Etats-Unis ni l'Union européenne). Mais on peut saluer son caractère progressiste.

Dans les années de l'après-Seconde Guerre mondiale, l'ONU avait contribué à gérer les flux de réfugiés, avec l'IRO, l'organisation internationale pour les réfugiés, qui avait existé de 1946 à 1952 sous l'égide de l'ONU. Elle avait accompli une action importante pour aider les réfugiés issus de cette guerre mondiale et aider à leur installation dans un pays d'accueil et à leur insertion. Il faudrait à présent créer une nouvelle IRO pour les réfugiés venus de Syrie et des autres pays en guerre!
Et l'ONU et ses casques bleus devraient avoir plus de pouvoir pour intervenir dans les pays comme la Syrie, pour désarmer les deux camps et organiser des élections démocratiques, reconstruire le pays sur des bases démocratiques et pacifistes.
Un autre grand défi est d'agir contre les paradis fiscaux: seule une instance mondiale comme l'ONU peut agir contre ce fléau, car au niveau d'un seul Etat il est impossible de régler ce problème. C'est un grand défi de veiller à ce qu'il n'y ait plus des milliards qui échappent à l'impôt et à la justice redistributive. C'est important pour essayer d'inverser la tendance actuelle qui est un accroissement exponentiel des inégalités dans le monde. L'ONU a pour tâche majeure d'essayer deréduire les criantes inégalités économiques et sociales dans le monde.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !