43% des Français ont déjà envisagé d’aller s’installer à l’étranger : la France qui silencieusement mais sûrement devient un pays d’émigration<!-- --> | Atlantico.fr
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23% des jeunes pensent à partir de la France.
23% des jeunes pensent à partir de la France.
©Reuters

Sondage exclusif Ifop pour Atlantico

Alors que tous les regards se tournent vers l'arrivée de nouveaux migrants en France, un mouvement inverse s'accélère : plus de 40% de Français sont tentés par l'expatriation et un Français sur dix y pensent même sérieusement, selon un sondage Ifop exclusif pour Atlantico.

Jean-Luc Biancabe

Jean-Luc Biancabe

Jean-Luc Biancabe est directeur des politiques économiques à la Chambre de Commerce et d'Industrie de Paris.

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Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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Atlantico : Le sondage révèle que plus de la moitié des jeunes Français ont déjà songé à s'installer à l'étranger et qu'un sur dix y pensent sérieusement. Quel enseignement peut on tirer de ces résultats?

Jérôme Fourquet : Le premier élément à relever est qu'alors que l'actualité des dernières semaines est dominée par l'arrivée des migrants, la difficulté de nos gouvernements à gérer ce phénomène qui met en lumière la difficulté du rapport des Français à l'étrangers, on voit ici le pendant de cette migration : on a une part importante de la population française qui envisage le mouvement inverse, c'est-à-dire une France qui semble plongée dans le bain de la mondialisation, et qui n'est plus uniquement pays d'accueil mais aussi pays d'émigration. 10% des personnes interrogées envisagent sérieusement de quitter la France pour s'installer au Royaume-Uni, aux Etats-Unis ou au Canada, ce qui représente plus de 4 millions de personnes. Un tiers des personnes disent qu'ils y ont déjà pensé, et 57% seulement des Français n'y songent pas. Les Français qui étaient vus comme très sédentaires ont en réalité beaucoup évolué sur la problématique du départ.

Les responsables politiques ne s'y trompent d'ailleurs pas et on voit qu'ils essaient d'appuyer sur les leviers qui permettraient de faire rentrer en France les expatriés et notamment les jeunes talents. Les oppositions politiques se sont aussi emparées du sujet, s'inquiétant du départ des forces vives, notamment des porteurs d'entreprises : on parle de fuite des cerveaux vers Londres ou la Syllicon Valley, mais pas uniquement: c'est aussi le départ de publics importants, des cadres expérimentés ou des personnes disposant d'une fortune importante, qui peuvent choisir de quitter leur pays natal pour des raisons fiscales notamment.

Quel est le profil de ceux qui partent ?

Jérôme Fourquet :Ce qu'on constate c'est que la tentation du départ décline avec l'âge : à partir du moment où vous avez une famille, des enfants, que vous avez un avenir professionnel, alors les points d'attache sont plus importants. Quand les points d'attache sont moins installés, alors la propension, au départ est plus importante: 23% des jeunes pensent au départ.

On peut espérer que, du fait du système éducatif, et notamment de l'apprentissage des langues étrangères, l'anglais reste un obstacle important comparé à d'autres jeunesses européennes, mais tout de même, dans une génération internet et Erasmus, la tentation du départ est bien plus importante.

Il y a en réalité deux façons d'aborder la question : si on est positif on peut se réjouir d'une France appelée par le grand large et qui n'a pas peur d'aller conquérir le monde. De l'autre côté on peut se désoler de voir que la jeunesse ne trouve pas de place pour elle dans son pays, et notamment dans les entreprises puisque le taux de chômage est important. Au-delà du chômage, les conditions professionnelles de jeunes salariées ne semblent pas répondre à leurs attentes, soit d'un point de vue du niveau de responsabilité, soit par une absence de perspectives professionnelles attrayantes. Entre 25 et 50 ans on a encore entre 12 et 15% des personnes interrogées qui souhaitent partir, ce qui est très important.

Chaque profil de l'aspirant au départ est différent, mais on ne peut exclure ni l'aspect positif, ni le négatif de cette tentations au départ.

Enfin on a aussi une part de départ de personnes plus âgées, pour des raisons fiscales ou en raison des contraintes posées à la création d'activité par exemple. Enfin, et ce n'est pas facile de l'évaluer par sondage, on peut considérer que le climat ambiant de défiance à tous les étages favorise la considération du départ à l'étranger : ne pas vouloir faire grandir ses enfants dans cet environnement par exemple.

Est-ce qu'on voit une évolution dans ces chiffres ou une stagnation?

Jérôme Fourquet :Aujourd'hui le nombre de Français inscrits à l'étranger à énormément augmenté et n'est pas prêt de se tarir : on pourrait penser que le bataillon d'expatriés serait déjà parti mais en réalité les lignes de départ continuent de croître. Les freins, c'est-à-dire avoir un conjoint, des attaches familiales, mais aussi la barrière de la langue et les frais lié à l'installation à l'étranger permettent de limiter malgré tout le nombre de partants réels.

Mais on voit que les conditions économiques actuelles favorisent le départ. Plus de 100 000 Français vivent à Londres, et ce mouvement n'a fait qu'augmenter avec la mise en place de la taxe à 75%.

On voit aussi que les électeurs des partis centraux sont moins souvent tentés par le départ, tandis que dans les partis extrémistes, les proportions de ceux qui expriment le souhait de partir sont plus importantes : on a à la fois un effet de structure de l'électorat car les jeunes sont des électeurs de ces partis contestataires, mais aussi parce que l'aspiration au départ peut être la traduction d'un mal-être ou d'une insatisfaction représentatifs du pays.

Qu'en est-il du retour de ces Français ?

Jérôme Fourquet :Le gouvernement essaie de faire revenir les talents qui sont partis, par une politique fiscale d'une part, mais aussi par la compréhension des obstacles au retour. Récemment, des experts viennent de remettre un rapport avec des techniques pour convaincre au retour. Mais l'un des problèmes du retour en France est le manque de valorisation des expériences à l'étranger. Les entreprises françaises ne valorisent pas ces acquis, elles ne connaissent pas les entreprises et ne voient pas ce que ça peut leur apporter. Donc cela constitue aussi un frein au retour.

Quels sont les profils de ceux qui veulent partir ?

Jean-Luc Biacabe : Les difficultés des jeunes Français à s'insérer sur le marché du travail (plus de 20% de chômeurs pour cette catégorie de population), la généralisation des parcours internationaux dans l'enseignement supérieur (Grandes Ecoles, Universités) et la préférence des entreprises pour des profils de candidats ayant une ouverture internationale constituent une forte incitation pour les jeunes générations à faire des séjours à l'étranger.

En la matière, les questions sémantiques sont piégeuses : "départ" est un terme qui voisine avec "exil" et "fuite". Il faut éviter l'instrumentalisation d'un sujet lourd, et utiliser plutôt les thèmes de séjours, de parcours, d'expérience à l'international.

Une autre remarque : le premier pays récepteur d'expatrié français, avec 160 000 ressortissants, est la Suisse, suivi du Royaume-Uni avec 120 000 expatriés, et la Belgique, l'Allemagne et l'Espagne en 4 ème, 5ème et 6ème position, n'étant dépassées que de peu par les Etats-Unis. Si l'Europe est devenue le nouvel horizon des jeunes générations, de quel "départ" parle-t-on lorsqu'ils s'installent au Royaume-Uni, en Belgique ou en Suisse ? Est-ce que cela ne s'inscrit pas également dans le projet européen, qui favorise la mobilité de ses populations?

De plus, la situation d'un jeune issu d'une grande Ecole n'a rien à voir avec celle d'un jeune sorti du système scolaire sans diplôme. La propension au passage par l'international est directement corrélée au niveau d'éducation et les profils sont tout de même marqués par un haut niveau d'étude.

Etats-Unis, Grande-Bretagne, Canada… Quelles sont les destinations privilégiées des aspirants au départ ? Quelles sont les opportunités que les Français espèrent trouver là-bas qu'ils ne trouvent pas en France ?

Jean-Luc Biacabe : Je ne connais aucune enquête sur les aspirations de ceux qui veulent partir. Par contre, nous avons des chiffres officiels (répertoire des Français de l'étranger) sur les Français résidant à l'étranger : 1,6 millions d'entre-eux sont inscrits sur les registres consulaires, mais ces chiffres sont très probablement sous-estimés d'au moins 500 000 personnes qui ne feraient pas les démarches d'inscription, surtout dans le cas de séjour d'une durée limitée.

D'une façon générale, ceux qui partent pour étudier ou travailler à l'étranger y vont pour des questions de curiosité (ouverture à d'autres réalités culturelles, humaines), apprendre l'anglais, trouver un emploi, créer une entreprise dans des pays plus dynamiques ou offrant plus d'opportunités. Les raisons fiscales sont très secondaires sur les 30 à 40.000 français partant (en solde net) chaque année. Elles ne représenteraient qu'à peine 1% des départs. Les retours d'expatriés montrent aussi que la dictature du diplôme, de l'âge etc. sont moindres à l'étranger qu'en France où le marché du travail est très concurentiel.

Le sondage montre une forte différence entre les générations. Alors que 6 jeunes de moins de 25 ans sur 10 envisagent de partir, ce chiffre tombe à 3 sur 10 pour les plus de 65 ans. Comment expliquer ce décalage?

Jean-Luc Biacabe : Les jeunes sont en recherche d'opportunités professionnelles plus favorables et ont moins d'attaches qui les retiennent en France. C'est d'ailleurs très positif de voir qu'ils sont prêts à se lancer dans des projets à l'étranger, qu'ils ont des horizons larges. Pour les plus de 65 ans, pourquoi partir alors que la France offre un rapport qualité/prix en matière de santé sans équivalent au monde ? De plus, l'attachement familial, à son patrimoine n'incite pas au départ.

Peut-on considérer que ces départs sont aussi l'expression d'un désamour pour la France ?

Cette question n'a pas vraiment de sens : les statistiques montrent surtout que les Français ratrappent les autres pays européens en matière d'expatriation. Les Anglais, les Allemands ont une expatriation bien plus forte, qui contribue à les faire rayonner dans le monde. Si l'anglais est devenue la langue de communication à l'international, c'est aussi parce qu'ils se sont expatriés bien plus tôt et en bien plus grand nombre que nous. On ne peut donc pas considérer que le désamour pour la France soit la raison d'un départ de France. Lorsqu'on cherche un avenir professionnel, il est peu probable que l'amour de son pays fasse partie des considérations. On aurait d'ailleurs intérêt à mieux considérer ceux qui partent et qui vont faire la publicité de la France, des entreprises françaises à l'étranger, et qui ont un rôle d'ambassadeurs.

Le départ des Français peut-il être une bonne nouvelle pour la France, ou doit-on définir des politiques pour retenir les forces vives en France ?

Jean-Luc Biacabe : c'est une bonne nouvelle à condition de savoir créer un sentiment diasporique, de garder le lien avec eux, d'en faire des relais à l'international pour les entreprises françaises.

Retenir les forces vives n'aurait aucun sens dans une économie qui se mondialise : nous sommes aujourd'hui dans une compétition mondiale des talents. L'objectif est d'attirer les meilleurs en France. Que les jeunes footballeurs français trustent les places dans le championnat anglais empêche-t-il le PSG  d'attirer les meilleurs joueurs mondiaux ?

Enfin, les Français s'expatrient-ils définitivement? 

Jean-Luc Biacabe : Réponse dans 10 ans !  Y a-t-il quelque chose de "définitif" dans le monde d'aujourd'hui ? La véritable question est de savoir s'ils reviendront :

  • Pour profiter de notre système de protection sociale, de la gratuité de notre système de formation (20.000$ pour s'inscrire à la maternelle à la Nouvelle Orléans, ça fait voir les choses différemment) etc.
  • Ou parce que la croissance française sera redevenue suffisamment forte pour que notre pays crée les emplois nécessaires pour réduire le taux de chômage et offre des opportunités de développement à ceux qui ont des projets entrepreneuriaux.

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