La guerre générationnelle n'aura pas lieu (contrairement à ce que pense Le Monde)<!-- --> | Atlantico.fr
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Contrairement à ce qu'affirme Le Monde, la fracture générationnelle ne se creuse pas en France...
Contrairement à ce qu'affirme Le Monde, la fracture générationnelle ne se creuse pas en France...
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Vieux/Jeunes

Le Monde consacrait sa Une de mardi à la supposée fracture générationnelle française... déformant ainsi les résultats d'un sondage : en vérité, jeunes et vieux partagent des points de vue plutôt similaires sur le monde qui les entoure.

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne est professeur de philosophie.

A 48 ans, il est actuellement membre du Conseil d’analyse de la société et chargé de cours à l’université Paris IV et a récemment publié Le deuxième
humanisme – Introduction à la pensée de Luc Ferry
(Germina, 2010). Il est également l’auteur, avec Pierre-Henri Tavoillot, de Philosophie des âges de la vie (Grasset, 2007).

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Pris d’un violent accès de jeunisme, le journal Le Monde daté du 24 novembre nous alerte sur le risque que le vieillissement du corps électoral fait courir à la jeunesse. Un éditorial vengeur, intitulé « Vieux, privilégiés, égoïstes » avertit gravement : « Une société qui a peur de sa jeunesse est une société bien mal en point. » Le journal reprend un thème dans l’air du temps, celui de la « fracture générationnelle » et s’interroge, sondage à l’appui : « La fracture entre les générations serait-elle en train de se creuser ? ».

Las ! Le dit sondage réalisé à la demande du journal par Ipsos-Logica Business Consulting montre exactement le contraire ! A toutes les questions posées, les jeunes répondent à l’unisson de l’opinion de la société vieillissante. Rien de surprenant à cela. L’excellent Olivier Galland, notre meilleur spécialiste de la jeunesse, ne rate pas une occasion de souligner la proximité des générations dans le rapport aux valeurs morales et politiques, proximité qui, enquête après enquête, ne se dément pas. Interprétant cavalièrement les résultats de son sondage, Le Monde déplore le dénigrement dont les jeunes - jugés paresseux, égoïstes, intolérants – seraient victimes. Problème : une lecture plus attentive révèle que les jeunes eux-mêmes partagent ce point de vue, et parfois dans des proportions plus importantes ! Ils sont 65% (contre 53% pour l’ensemble des Français) à se trouver paresseux, et même 70% (contre 63%) à se juger égoïstes.

Il n’y a donc pas trace de conflit de générations dans ce jugement. Les Français semblent simplement considérer avec bon sens que l’immaturité est le propre de la jeunesse. N’importe lequel d’entre-nous, pour peu qu’il soit capable d’autoréflexion, reconnaîtrait volontiers qu’il est un peu moins égoïste et intolérant qu’une dizaine d’années auparavant. Il faut bien que vieillir serve à quelque chose. La nouveauté, c’est peut-être que l’immaturité se prolonge du fait de l’allongement de la jeunesse. Il est sans doute compréhensible que les jeunes, tenus durablement éloignés du monde du travail et souvent sans objectifs ni plan de carrière bien définis, s’attardent dans un mode de vie dilettante. De même, ce qui arrache la plupart d’entre-nous à l’égocentrisme hérité de l’enfance, ce sont l’arrivée du premier enfant et les responsabilités qui en découlent, lesquelles interviennent désormais plus tardivement dans le cycle de vie.

Pas de Cohn-Bendit du XXIème siècle

Une curiosité mérite d’être relevée : 70% des Français considèrent que les jeunes sont révoltés, mais ils sont 64% à souligner leur manque d’engagement. Les moins de trente ans partagent ce diagnostic (76% et 62%). Comment expliquer ce paradoxe d’une révolte qui ne se traduit pas par des formes d’engagement ? Force est de constater qu’il n’existe pas de Cohn-Bendit du XXIe siècle. L’icône contemporaine de l’indignation, Stéphane Hessel est un vieillard. Libé vient même de canoniser Danielle Mitterrand, qui incarnait à sa manière cet engagement animé par la révolte morale. Au fil des mouvements de jeunes, pourtant fréquents, aucune figure charismatique n’émerge ni ne laisse de trace dans la mémoire collective. Les leaders des mouvements lycéens et étudiants, au discours policé et standardisé, apparaissent comme des apprentis politiciens accomplissant leur stage de formation pratique avant de poursuivre leur cursus dans les appareils politiques. Tout se passe comme si l’on avait affaire ou bien à un sentiment de révolte immature, désinvolte et impuissant, ou bien à des engagements carriéristes parfaitement respectueux des institutions et des générations précédentes.

Les Français n’ont pas peur des jeunes, mais ils ont peur pour les jeunes. Ils sont 81% à juger la situation des jeunes difficile, et 71% à considérer qu’elle est plus difficile que pour la génération précédente. Sur ce point encore, les jeunes sont des vieux presque comme les autres : ils partagent, en dépit d’un biais optimiste qui demeure encore fort heureusement l’apanage de la jeunesse, la crainte de l’avenir et le pessimisme de leurs aînés. Jeunes et vieux s’accordent sur la nature des difficultés rencontrées (l’emploi, le logement et le pouvoir d’achat) ainsi que sur la conception des priorités qui devraient être celles de la politique de la jeunesse (emploi, éducation/formation, logement). A l’occasion de la dernière réforme des retraites, les sondages témoignaient déjà de l’absence de divergence d’opinion selon l’âge. Il n’existe manifestement pas le moindre signe permettant d’accréditer l’idée qu’un fossé se creuse entre les générations, et ce, en dépit de la multiplication des analyses qui font état de la divergence de leurs intérêts objectifs. La lutte des âges ne peut à l’évidence faire office de substitut crédible à la lutte des classes.

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