Corbyn, Podemos, Matteo Salvini, Orban… 7 ans après Lehman Brothers, l’Europe face aux ondes de choc politiques de la grande crise<!-- --> | Atlantico.fr
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Jeremy Corbyn, leader du "Labour Party".
Jeremy Corbyn, leader du "Labour Party".
©Reuters

En attendant un New Deal politique

7 ans après la grande crise de 2008, l'échiquier politique européen est bouleversé par de nouvelles forces politiques radicales, parfois nationalistes et populistes. Le désastre économique y est pour quelque chose, mais c'est tout le système politique traditionnel qui est en crise, peut-être voué à disparaître.

Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

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Jean-François Kahn

Jean-François Kahn

Jean-François Kahn est un journaliste et essayiste.

Il a été le créateur et directeur de l'hebdomadaire Marianne.

Il a apporté son soutien à François Bayrou pour la présidentielle de 2007 et 2012.

Il est l'auteur de La catastrophe du 6 mai 2012.

 

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Atlantico : Quel tableau des partis politiques européens peut-on dresser aujourd'hui, suite à la crise économique de 2008 marquée il y a tout juste 7 ans par la faillite de Lehman Brothers ? Lorsque l'on observe des phénomènes politiques comme Syriza et Podemos, mais aussi la montée en puissance du parti nationaliste écossais (SNP) ou l'émergence de Jeremy Corbyn pour prendre la tête du parti travaillliste au Royaume-Uni, ou encore des personnages comme Beppe Grillo ou Matteo Salvini en Italie... Quels sont les pays qui ont connu les évolutions les plus saillantes, vers l'extrême-droite, le populisme et le nationalisme, ou la gauche radicalisée ? 

Bruno CautrèsDepuis la crise de 2008, la plupart des systèmes politiques européens ont été les témoins de profondes remises en cause des partis de gouvernement qui composaient traditionnellement les pouvoirs exécutifs. La crise a amplifié les effets de recomposition et de mutation politiques liés aux dynamiques de deux phénomènes qui travaillent les systèmes de partis et les sociétés européennes en profondeur depuis plusieurs décennies : nous assistons à un véritable craquement des « plaques tectoniques » habituelles de la politique en Europe sous l’effet du rouleau compresseur de l’intégration européenne et la globalisation. L’ouverture et l’internationalisation de presque tous les secteurs de la vie économique, sociale et culturelle est un phénomène historique d’une ampleur comparable à la construction des Etats-nations au cours des siècles passés. Ces évolutions ont creusé l’écart entre les groupes sociaux, les catégories de citoyens disposant ou non des ressources économiques et culturelles pour s’adapter à la concurrence et à l’ouverture de tous les marchés. L’émergence, dès les années 1990, de forces politiques proposant des alternatives, de gauche comme de droite, aux partis politiques traditionnels dont les contours étaient hérités de la révolution industrielle du 19ième siècle et de la modernisation de l’après-guerre, est à cet égard un phénomène historique majeur. Se présentant comme les porte-voix des exclus ou des perdants de la « post-modernisation » du monde global et ouvert, ces partis entendent défendre les identités, les territoires, les intérêts de ces groupes. Les succès de ces partis se sont fortement exprimés au cours des dernières élections européennes, en 2014 mais aussi en 2009, en 2004 également. 

Si nous prenons le cas des élections européennes de 2014, on a vu une affirmation spectaculaire de ces forces politiques dans de nombreux pays.  À droite, les partis eurosceptiques ont obtenu des élus dans 13 États membres sur 28. Ils sont parfois arrivés en tête des suffrages, devant les partis de gouvernement. C’est le cas de l’UKIP au Royaume-Uni, qui a obtenu 26,7 % des suffrages exprimés ; c’est aussi le cas du Parti populaire danois qui a obtenu 26,6 % des voix (avec des prises de position très fortes contre l’immigration et les droits des étrangers) et qui a confirmé depuis sa solide implantation dans les élections nationales au Danemark remportant plus de 21% aux législatives il y a quelques semaines; c’est également le cas du Front national, en France, qui a rassemblé près de 25 % des voix et a remporté les élections européennes de 2014 en France, confirmant ses résultats des élections municipales puis départementales et dont toutes les enquêtes montrent la dynamique dont bénéficie une Marine Le Pen pour la présidentielle de 2017. D’autres partis ont obtenu de bons scores ou réalisé une percée électorale aux européennes de 2014 : le Parti de la Liberté en Autriche (19,7 % des voix), Jobbik en Hongrie (14,6 % des voix), le Partij voor de Vrijheid néerlandais (13,2 % des voix), les Vrais Finlandais (12,9 % des voix) ou encore Aube dorée en Grèce (9,37 % des voix, contre moins de 0,5 % en 2009).

À gauche, les partis populistes critiques, voire hostiles, au fonctionnement actuel de l’Union européenne (celle-ci serait trop libérale ou un "cheval de Troie de la mondialisation"), ont réuni plus de 10 % des voix dans plusieurs pays aux européennes de 2014 : par exemple, en Espagne (17,8 %) avec la liste Podemos (issue du mouvement des Indignés) et qui depuis a également confirmé aux élections municipales et régionales espagnoles de 2015 ; on a également vu les formations de « gauche de la gauche » obtenir de très bons scores à ces mêmes élections en Irlande, en République tchèque, au Portugal. De même, elles ont obtenu des scores significatifs aux Pays-Bas (9,6 %), en Allemagne (7,4 % pour Die Linke) ou encore en France (6,3 % pour le Front de Gauche). Quant à Syriza, le parti de la gauche radicale grecque, il est même arrivé en tête des européennes en Grèce avec 26,6 % des voix, avant de remporter les élections législatives qui ont porté Alexis Tsipras au pouvoir à Athènes. 

Ce qui me paraît encore plus significatif est la capacité de ces formations, parfois issues de la société civile ou de mobilisations populaires à faire jeu égal dans de nombreux pays avec les formations politiques traditionnelles lors des scrutins nationaux ; nous ne sommes plus, pour plusieurs pays européens (dont la France) dans une configuration où ces partis réussissent aux élections locales ou européennes mais retournent à une position marginale lors des scrutins nationaux décisifs. 

Jean-François Kahn : La crise financière et économique de 2008 et ses répliques, ainsi que l'autre crise, celle des migrations, mais aussi le Proche-Orient qui flambe, l'explosion d'extrêmisme religieux... Tout cela est en train de modeler un monde totalement nouveau, de recomposer notre monde. De la même façon, pendant très longtemps, en France par exemple, le débat politique opposait deux partis, la droite légitimiste et la droite orléaniste. Puis, avec l'évolution économique, sociale, l'impérialisme, cette structuration ne correspondait plus à la réalité. Et tout à coup ce dualisme, cette bipolarisation a explosé en vol et a vu l'apparition de partis républicains, puis républicains radicaux, puis socialistes, puis d'une extrême-droite, puis du fascisme… Cela a explosé car la structure de la représentation politique ne correspondait plus à un monde en plein chamboulement. C'est exactement ce à quoi on assiste aujourd'hui. La structuration d'après-guerre avec la gauche social-démocrate d'un côté et la droite conservatrice libérale de l'autre est en train de craquer, car cela ne correspond plus à ce monde remodelé auquel on assiste aujourd'hui.

Cette montée des extrêmes n'est pas sans rappeler les années 1930. La comparaison est-elle justifiée? Quelles sont les changements politiques engendrés par la crise économique ? Quel prix politique paye-t-on aujourd'hui ?

Bruno Cautrès : Il serait tentant de faire cette comparaison et plusieurs éléments vont dans ce sens : l’ampleur de la crise, toute proportion gardée quand même ; le sentiment que nous sommes face à des enjeux sociaux, économiques, géostratégiques majeurs, à de véritables bouleversements; l’apparition de leaders politiques qui veulent incarner l’ordre et le retour de l’autorité ; un sentiment diffus de pessimisme et de déclin (assez largement déconnecté des réalités complexes de nos sociétés modernes) ; la déstabilisation de nombreuses parties du monde ; le retour de tensions entre certains pays. On pourrait continuer la liste ; mais je pense que c’est un peu une illusion. La crise des années 1930 n’est pas la même que celle que nous vivons ne serait-ce parce que les variables économiques et militaires ont totalement changé. Entre les années 1930 et aujourd’hui, on a assisté à l’édification de systèmes de « welfare » et de multiples mécanismes qui protègent nos économies des effets les plus dévastateurs des crises. Si le parallélisme est intéressant et nous rappelle utilement que des crises majeures sont toujours possibles, si l’on peut très utilement comparer également (comme l’a fait l’historien David Engels) la crise actuelle de l’Europe avec la chute de l’Empire romain, ces parallèles  sont avant tout métaphoriques. 

Si l’on reprend votre expression de « prix politique à payer », je crois que nous sommes les témoins vivants d’une des plus importantes mutations du système des économies capitalistes et libérales. Les phénomènes dont nous avons parlé plus haut sont la conséquence directe de ces changements qui trouvent leur origine dans la vague de « post-modernisation » qui a été rendu possible par un développement technologique et sociétal peut-être sans précédent sur une période aussi courte que celle allant des années 1970 à aujourd’hui. Rappelons qu’il y a « seulement » trente ou quarante ans, il n’y avait pas d’ordinateurs personnels, pas d’internet, pas de TGV (ou celui-ci en était à ces tous débuts), qu’obtenir une ligne de téléphone n’était pas aussi simple, que l’on mettait encore une journée pour aller de tel à tel point du pays en train ou voiture. Et là encore on pourrait allonger la liste. Nos vieilles sociétés européennes ont une incroyable capacité à se réinventer grâce à l’épaisseur de leurs strates historiques mais celles-ci font également sentir leur poids : des résistances, des contestations se font jour face à cette « post-modernisation ». Mais n’est-ce pas là un indicateur, certes ambigu, de vitalité démocratique ? Toute mutation historique fait des « gagnants » et des « perdants » ; les premiers valorisent les opportunités nouvelles, les seconds s’y opposent. Le vieux clivage gauche/droite n’est dès lors plus le seul à fournir aux électeurs une matrice d’interprétation du monde qui les entoure. 

Jean-François Kahn : On peut le comparer en effet aux années 1930, en ce sens qu'en réaction à la crise et à ses suites, auxquelles s'ajoutaient les suites de la guerre de 1914-18, un ébranlement des partis traditionnels a été provoqué, avec l'émergence à droite de la droite de partis fascistes, et à gauche de la gauche de partis communistes staliniens. C'est ce à quoi l'on assiste aujourd'hui, à cela près que les partis d'extrême-droite ne sont plus des partis fascistes car le fascisme s'est écroulé donc il faut réinventer, et d'autre part le stalinisme est également totalement à cause des horreurs dont il est coupable. Donc des émergences politiques aux extrêmes prennent des formes différentes, de façons plus diverses que l'on ne croit. Et ça craque partout.

Au Canada, il y aura des élections prochainement. La représentation politique du pays est structurée par le duel entre les libéraux et les conservateurs, avec au Québec un parti de gauche. Or là, le parti en tête des sondages, c'est un nouveau parti, plus à gauche encore, le Nouveau Parti Démocratique (NPD). Au Guatemala, il vient d'y avoir une élection avec un comique de télévision, un Coluche local qui arrive en tête. Or en Italie, qui avait fait 26 % des voix il y a deux ans ? Le parti d'un clown, Beppe Grillo. En revanche en Ecosse, toute la social-démocratie a été balayée par un parti nationaliste écossais. En Catalogne, gauche et droite sont évacuées de la carte par un parti nationaliste catalan. En Suède, capitale de la social-démocratie, un parti d'extrême-droite arrive en tête. En Finlande, est arrivé en tête un parti xénophobe, le parti "des vrais Finlandais". En Suisse, c'est un parti xénophobe qui totalise aujourd'hui 25% des voix. En Espagne, il y a eu l'émergence de Podemos, à la gauche de la social-démocratie. En Grèce, également plus à gauche, Syriza. En Flandres, des nationalistes ethniques. Aux Etats-Unis, qui représentent le symbole de tout ça, on voit des choses émerger sur les deux ailes politiques ; à droite de la droite, un espèce de clown javellisé qui s'appelle Donald Trump et qui ose tout, et à gauche, un Bernie Sanders chez les démocrates, qui ne va pas gagner mais qui est à près de 30%, qui rassemble des foules importantes... Or il se dit socialiste, ce qui aux Etats-Unis équivaut à se dire trotskiste en France. En Grande-Bretagne, le pays par excellence de la bipolarité, c'est-à-dire travaillistes versus conservateurs, on a vu trois forces remettre en cause l'ordre politique établi ; à savoir le parti xénophobe et eurosceptique UKIP, le parti nationaliste écossais à la gauche du parti travailliste, et au sein du parti travailliste, celui qui est en tête dans les sondages pour prendre sa direction est un homme à la gauche du parti socialiste français, sur la ligne de Mélenchon, Jeremy Corbyn. On n'aurait jamais pu l'imaginer il y a 20 ans. Donc un maelstrom considérable, une redistribution totale des cartes qui peut déboucher sur tout, sur le meilleur comme sur le pire, sur la gauche de la gauche, sur la droite de la droite, sur des nationalismes ethniques, des nationalismes linguistiques… C'est un constat qui nous interpelle. Il faut que la droite et la gauche inventent quelque chose qui réponde à cette aspiration de renouveau.

Dit de manière plus idéologique, ce à quoi l'on a assisté en trente ans, c'est : 1) La faillite d'un système qui a mis au centre de tout l'Etat (l'Union soviétique et toutes les formes de socialisme étatique) 2) La faillite, y compris morale, d'un système qui a mis au centre de tout l'argent. Si l'on n'est pas capable de proposer autre chose, c'est-à-dire un système qui met l'humain au centre, alors des forces vont émerger qui mettront au centre la langue, l'ethnie, la race, le sang, Dieu, la classe… C'est le défi auquel on est confronté.

Au-delà de la crise économique de 2008, c'est tout notre système qui a atteint son paroxysme en 2007-2008, et qui n'a pas retrouvé son équilibre depuis, surtout en Europe. La crise économique n'est qu'un révélateur.

Les partis traditionnels sont dépassés, presque obsolètes. A l'opposé les nouvelles forces politiques contestataires, renforcées par la crise ou nées à sa suite, ont le vent en poupe. On voit par exemple des économistes comme Thomas Piketty conseiller Podemos. Quelle est la raison de ce succès et est-il durable ?

Bruno Cautrès :Pour autant, on ne peut parler d’une « disparition » des partis traditionnels. Ceux-ci doivent avant tout se réinventer et admettre que le militant encarté à vie et suivant aveuglément l’organisation est un modèle derrière-nous. En 2007 Ségolène Royal avait, je crois, posé un très bon diagnostic sur ces questions et avait bien compris la montée de la demande de « participation » en dehors des formes classiques de l’organisation partisane. Les mouvements comme Podemos (ou les Cinq étoiles en Italie) illustrent très bien que la recherche de nouvelles formes d’organisation partisane ou de sélection des candidats est au cœur de toutes ces questions. Ces nouvelles formes d’organisation politique correspondent mieux à des citoyens qui sont de moins en moins « idéologues» et « partisans » mais de plus en plus des « défenseurs de causes » qui peuvent se mobiliser un temps et sur un évènement. Là encore il s’agit d’évolutions en cours et de processus non finis ; l’adhésion ou l’identification à un parti politique traditionnel continue d’exister mais les liens sont devenus plus faibles avec le vote par exemple. 

Ce qui me frappe c’est la cécité des organisations politiques traditionnelles à la double demande qui s’exprime de renouvellement et de simplicité dans leur pratique. Est-il bien normal que certains de nos hommes politiques soient présents sur nos écrans et exercent des responsabilités depuis parfois…plusieurs décennies…. ? Quelle sera la moyenne d’âge des futurs candidats à la présidentielle en France ? La course sans fin que nos hommes politiques peuvent parfois donner le sentiment de poursuivre pour exercer toujours plus de mandats est une des raisons majeures du sentiment de peu de respect qu’ils inspirent aux électeurs. 

J’en viens à penser que l’élection présidentielle telle que nous la pratiquons en France a une responsabilité majeure dans cette spirale : elle flatte le sentiment d’avoir un destin, d’être celui qui a toutes les solutions à tous les problèmes ; elle maximise les chances d’un écart abyssal entre les promesses et les réalités. Tout ceci, lorsqu’on le regarde avec recul, n’est quand même pas bien raisonnable….Mais on ne réglera rien en dehors de réformes démocratiques qui toucheront à une pluralité de facteurs. Pour le cas de la France, c’est un grand chantier d’audit démocratique qu’il faudrait ouvrir comme l’a fait le Royaume-Uni. Ce chantier devrait faire l’objet d’une mobilisation nationale sans précédent, d’expression démocratique dont nos hommes politiques auraient à tirer des conséquences.

Jean-François Kahn : On ne sait pas si ça va durer. On verra aux élections du 20 septembre si Syriza va perdre du terrain ou non. En tout cas il est probable que Aube Dorée, à l'extrême-droite, progresse. Ce rejet des structures va rester.

Une autre raison de ce succès, c'est que la social-démocratie, qui se réclame du socialisme, fait l'inverse de ce qu'elle est censée représenter. Elle s'est ralliée au néo-libéralisme, c'est perçu comme une trahison. Les libéraux conservateurs eux-mêmes ne pratiquent plus le véritable libéralisme. Le véritable libéralisme par exemple, c'est la lutte contre les monopoles, or aujourd'hui on a des partis libéraux qui encouragent une économie de monopoles, c'est incohérent par rapport à la base du libéralisme. Quand on écoute les gens, à droite comme à gauche, ils sont tous déçus que les promesses ne soient pas tenues.

Ces partis vont-ils durablement modifier l'échiquier politique européen ? Les partis traditionnels vont-ils continuer de s'affaiblir?Quelles conséquences pour l'Europe? 

Bruno Cautrès : Oui, ces partis exercent une forte pression à droite comme à gauche des échiquiers politiques en Europe. Ils ne s’évaporeront pas du jour au lendemain si la croissance économique revenait. L’union européenne doit relever le défi de montrer les valeurs qu’elle défend par des actes symboliques et matériels touchant directement la vie des européens. Elle en fait déjà beaucoup, mais sans que beaucoup de monde ne le sache. 

Jean-François Kahn : Il va forcément émerger quelque chose. Dans les années 30-40, on avait l'explosion d'une droite réactionnaire, l'apparition du fascisme, la crise de la social-démocratie et le développement du communisme et du stalinisme. Ce qui a permis de résister à cette double pression, c'est ce qu'a représenté Roosevelt ou encore le Gaullisme, la démocratie chrétienne, une social-démocratie plus forte, keynesienne. Aujourd'hui, on est en attente.

Par ailleurs, pourquoi l'équivalent de Podemos ou Syriza, ou bien des nationalistes régionalistes n'émergent pas en France? Pourquoi plutôt le FN en France? Parce qu'on a des institutions qui gênent l'expression politique et qui la rigidifient, l'empêchent. Mais à un moment, cela explose. Notre système a empêché l'extrême-droite de s'exprimer, donc à un certain moment elle finit par faire 25 à 30%.

Nous sommes à la veille d'une reconfiguration absolument radicale. C'est à nous de faire en sorte que, à droite si on est à droite et à gauche si on est à gauche, ce ne soit pas le pire qui arrive. En France, il y a quelque chose d'évident aujourd'hui. Il y a trois rejets : un rejet formidable de François Hollande, un rejet formidable de Nicolas Sarkozy, et malgré tout un rejet de Marine Le Pen, dont une majorité ne veut pas au pouvoir. Si on a une élection présidentielle où malgré tout, on doit choisir entre ces trois-là, c'est-à-dire choisir entre ces rejets, les conséquences seront inimaginables. Les gens voteront, mais détesteront celui pour qui ils ont voté, se détesteront d'avoir voté pour lui, et voudront se venger d'avoir été obligés de votre pour lui… Aucun patriote ne peut souhaiter aujourd'hui que soit réélu Sarkozy ou Hollande. 

Propos recueillis par Catherine Laurent

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