A La Baule, la fausse photo de famille des Républicains<!-- --> | Atlantico.fr
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La photo de famille a bien eu lieu, samedi à La Baule.
La photo de famille a bien eu lieu, samedi à La Baule.
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Cheeeeeese !

Invités à la Baule par Bruno Retailleau, Alain Juppé, Nicolas Sarkozy et François Fillon ont affiché leur unité politique à la veille des élections régionales en fin d'année. Si la photo de famille entre les trois candidats aux élections primaires des Républicains a bien eu lieu, d'autres éléments ont pu paraître dissonants...

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : Rentrées politiques séparées, maire de Bordeaux et député de Paris partis avant le discours de Nicolas Sarkozy... Peut-on vraiment parler d'une unité alors que les troi principaux candidats se sont retrouvés à la Baule samedi 5 septembre ?

Jean Petaux : Bien sûr que non. C’était d’ailleurs le principal risque pour l’ensemble des acteurs de cette séquence : réifier en quelque sorte la désunion. Deux exemples d’unité de pure façade sont restés dans les mémoires, à droite.

Le 25 septembre 1993 à l’occasion des journées parlementaires du RPR qui s’étaient tenues à La Rochelle, Jacques Chirac et Edouard Balladur avaient donné une image sinistre d’une éventuelle réconciliation en déambulant tous les deux sur un ponton du port. Les deux "amis de 30 ans" se tiraient une tête de six pieds de long et ceux qui doutaient encore qu’ils s’affronteraient tous les deux, à mort, à la présidentielle de 1995, ont été définitivement affranchi.

Quelques années plus tard (12 ans), dans une scène digne d’un film à sketchs, Nicolas Sarkozy et Dominique de Villepin ont failli s’empoigner, à La Baule (décidément, ça doit être la ville longtemps dirigée par le baron gaulliste Olivier Guichard, qui veut ça…), le 5 septembre 2005, juste avant un petit-déjeuner glacial entre les deux rivaux, d’autant que le premier ministre d’alors (Dominique de Villepin) n’avait pas manqué d’exhiber son (merveilleux) corps quelques minutes plus tôt lors d’un jogging d’anthologie en bordure de mer… Rien que pour ridiculiser son ministre Sarkozy, furibard… Là encore la grande scène de la réconciliation apparut dans sa vérité toute nue : du cinéma.

Pour l’anecdote, se souvenant de l’épisode de La Baule, Gilles Boyer, le conseiller politique d’Alain Juppé, a donné le "la" ce matin à 8h01 dans un tweet plein d’humour (il n’en manque pas, c’est le moins que l’on puisse dire) : une jolie photo de la baie La Baule prise sur la plage au soleil levant assortie du texte suivant : "ALERTE : Dominique de Villepin n’est pas sur la plage de la Baule". Juste pour rappeler les "bons souvenirs"… D’autant que, il convient de le rappeler, dans la compétition Juppé-Sarkozy, Villepin soutient maintenant celui qui voulait le pendre à un croc-de-boucher il y a quelques années : Sarkozy…

Très clairement le fait que les trois personnalités que vous citez dans votre question, Sarkozy, Juppé et Fillon, ne soient pas restées plus de 8 minutes toutes les trois ensemble dans la même salle, juste le temps de faire la photo d’une famille apparemment unie, suffit à montrer combien le fossé est grand entre les uns et les autres. Mais, paradoxalement, dans un monde où tout est image et où le "le message tient lieu de massage" pour parler comme le grand Mc Luhan, la photo qui sera à la "une" des journaux demain n’est pas inutile non plus : en politique la mise en scène est tout aussi importante que les dialogues eux-mêmes. Pour autant ne seront optimistes sur une "unité retrouvée" que ceux qui auront eu envie de l’être…

Dans les faits, Nicolas Sarkozy a beau vouloir jouer les rassembleurs, réclamer l’unité, expliquer qu’il ne faut pas être "obsédé" par les primaires de l’automne 2016, tous ces propos sont de pure circonstance. Leur auteur le sait d’autant plus qu’il est lui-même totalement imprégné, engagé jusqu’au plus petit de ses orteils dans la future présidentielle, mettant tout en œuvre pour triompher de ses rivaux lors des primaires. Donc personne n’est dupe dans cette affaire : le refrain de l’unité est entonné par tous, la lutte de chacun contre tous les autres est pratiquée par tous…

En montrant une unité d'apparence, Alain Juppé et François Fillon ne font-ils pas le jeu de Nicolas Sarkozy ?

C’est le risque en effet, mais la proposition que vous formulez, dans le sens où vous la formulez, peut tout aussi bien s’appliquer à Nicolas Sarkozy… La situation n’est simple pour aucun des trois protagonistes. Ils sont condamnés à jouer l’unité sous peine d’apparaître comme diviseurs, saboteurs de leur propre camp. On peut trahir en politique, ce n’est pas un problème… La plupart des grands fauves politiques ont ainsi, à un moment ou à un autre de leur cursus, trahi. Jacques Chirac l’a beaucoup fait. Par exemple en se plaçant à la tête de "l’appel des 43" soutenant Giscard contre Chaban (candidat gaulliste issu de l’UDR, le parti de Chirac) en avril 1974… Mais dans ces cas-là il faut que l’issue de la bataille (au cours de laquelle on a trahi…) soit proche. La trahison s’accommode plus de la Blitzkrieg que de la guerre de tranchées… Mais il faut surtout faire en sorte, à la fin de tout cela, d’être du côté des vainqueurs ! C’est ce qui est arrivé à Chirac en mai 1974. Cela lui a même permis d’être nommé à Matignon.

Aujourd’hui si Juppé ou Fillon prennent trop leurs distances par rapport à la discipline de leur parti, "Les Républicains", s’ils cognent trop sur Sarkozy, ils vont vite endosser le costume de Ganelon. C’est la raison pour laquelle ils n’ont d’autre choix actuel que d’accepter le procédé des primaires, en étant très circonspects sur leurs modalités concrètes, en se méfiant comme de la peste d’un Sarkozy bien décidé à les instrumentaliser à son seul et unique profit.  Clairement Juppé et Fillon doivent jouer sur deux tableaux : la légitimité partisane d’un côté, l’autonomie politique et programmatique de l’autre. On voit immédiatement le risque de ce grand écart (qui va aller croissant) : le claquage !

Les électeurs de droite seraient traumatisés par la crise Copé-Fillon de 2012, et auraient besoin de voir une famille politique unie. C'est en substance ce qu'a déclaré Nicolas Sarkozy dans un message sur Facebook jeudi dernier (voir ici) Comment les autres candidats - Alain Juppé, François Fillon, Bruno Le Maire- peuvent-ils gérer ce besoin des sympathisants, tout en marquant leurs différences en vue des primaires ?

Avant de répondre sur le fond à votre question, je crois qu’il est nécessaire de revenir sur le positionnement de Nicolas Sarkozy lui-même car, même si ses rivaux au sein du parti "Les Républicains" ne le reconnaissent pas aisément, c’est bien lui qui fixe le tempo et qui a le leadership dans la maitrise de l’agenda politique du parti. Ne serait-ce que, tout simplement, parce qu’il est le président de ce parti.

Pour ce qui est du discours actuellement tenu par Sarkozy on voit bien que celui-ci fonctionne sur un spectre assez large : fermeté vis-à-vis des migrants par exemple mais dénonciation de la brutalité de Marine Le Pen. Une certaine compassion exprimée à l’égard de "tous ces pauvres gens" mais une critique forte du "laxisme de la gauche". Ce n’est plus du tout du "Buisson" mais ce n’est pas non plus un humanisme modéré… Bref Sarkozy fait ce qu’il sait faire de mieux : du Sarkozy. Ratissant large pour "bloquer" tous ces concurrents au sein des "Républicains", emballant son public de supporters en lui donnant ce qu’il souhaite entendre mais également en devançant leurs fantasmes, répondant comme par magie à leurs angoisses et allant au devant leurs envies.

Adoptant cette stratégie de "l’attrape-tout", draguant ostensiblement l’électorat potentiel de ses concurrents des futures primaires, Nicolas Sarkozy a beau jeu de leur dire (post Facebook à l’appui) qu’il ne faut pas considérer que les primaires doivent tout rythmer désormais dans la vie du parti. Faisant cela il agit comme le roi des pique-pockets faisant la leçon à ses collègues de rapine en leur disant qu’ils feraient mieux de travailler pour lui au lieu de ne penser qu’à vider les poches de leurs congénères…

Face à une telle stratégie qui s’apparente quelque peu au "baiser de la mort" ou à "l’étouffement programmé", Juppé, Fillon et d’autres comme Le Maire se doivent de rassurer les sympathisants du parti "Les Républicains" sur leur propre volonté de maintenir, coûte que coûte, l’unité du parti. Mais ils doivent aussi faire en sorte de ne pas apparaitre non plus (dans la perspective de primaires qui seraient très "ouvertes") comme prisonniers d’un appareil partisan forcément ressenti comme sclérosé, fermé et sectaire par la masse des sympathisants de droite et de centre-droit à même de venir voter aux primaires de l’automne 2016.

Finalement, ce qui est cause à droite désormais, parmi les concurrents ouvertement déclarés pour les premières primaires organisées au sein de ce camp politique en 2016 c’est tout simplement l’aptitude politique et culturelle à gérer sans dégâts cette innovation radicale…

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