Rentrée de Marine Le Pen : cet étrange acharnement anti FN qui passe à côté de la véritable rupture doctrinale du parti<!-- --> | Atlantico.fr
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La présidente du Front national, Marine Le Pen.
La présidente du Front national, Marine Le Pen.
©Reuters

A trop crier au loup...

L'enjeu de la rentrée politique de Marine Le Pen est avant tout de tourner la page de la crise interne du parti suite à l'exclusion le 20 août de son père du Front national. Pourtant la course à la diabolisation ne faiblit pas, empêchant de le comprendre afin de le combattre.

Nathalie Krikorian-Duronsoy

Nathalie Krikorian-Duronsoy

Nathalie Krikorian-Duronsoy est philosophe, analyste du discours politique et des idéologies.
 
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C’est aux cris de « On t’aime, continue! » et de « Tu le mérites Marine ! » que la Présidente du Front Nationale s’est exprimée ce matin, lors de sa traditionnelle rentrée politique, à Brachay. Un « petit village » qui est à la fois « le symbole de la France des oubliés » et, en référence à Astérix, la célèbre bande dessinée, « petit par la taille, mais grand par le nom » puisque, selon Marine Le Pen, les 60 Français qui y vivent, ayant voté à 72% pour le Front National, « résistent à la ruine de notre pays ». Face à « la volonté de détruire » la France, attribuée à l’ensemble de la classe politique, elle oppose sa « volonté de la sauver ». La figure de Jeanne d’Arc est évidente et, elle le précise dans une interview après son discours : « Le Front national est le seul opposant, l’unique alternative. »

Mais la Présidente du Front national a aussi voulu confirmer le message qu’elle martèle, depuis plusieurs mois, à ceux qui l’interrogent sur la rupture avec son père : « ses provocations volontaires » ont « parasité le message fondamental » du  Front National, « quand on est un responsable politique, il faut clarifier ».

Marine Le Pen souhaite montrer qu’une page de l’histoire des idées politiques françaises est tournée : en excluant son fondateur, elle a souhaité tirer un trait sur quarante années de radicalité. La rupture doctrinale, entamée dès son arrivée dans les instances dirigeantes du parti, il y a quinze ans, énoncée dans son discours fondateur du Congrès de Tours en 2011, et en partie réalisée en quatre ans, a désormais été actée, à la manière des tragédies anciennes, par un double parricide, familial et politique. La symbolique est encore là et elle ouvre sur une nouvelle histoire du Front National.

Mais « la clarification nécessaire et incontournable » qu’elle souhaite, auprès d’une opinion que toute la classe politique et les médias maintiennent dans le récit de l’extrémisme et du racisme frontiste, se rendant, du même coup, incapables de combattre ses vraies idées, est-elle au rendez-vous de cette rentrée politique 2015 ?

Marine Le Pen a tenté de marquer les contours du nouveau nationalisme frontiste autour de deux questions, l’Europe et l’immigration, centrées sur la problématique de l’effondrement économique et social du pays. Elle n’a pas abordé la question de « la fracture culturelle » qui désormais, fait parler et divise la gauche et la droite à l’intérieur de leurs camps. Face au constat irréfutable de « la crise économique, sociale et migratoire » elle a préféré traiter de l’opposition entre « la majorité silencieuse qui n’a pas voix au chapitre » et « un pouvoir oligarchique» dont « la volonté manifeste est d’occulter le peuple français » en troquant « la démocratie » contre une direction « à Bruxelles, au Luxembourg, à Berlin, aux ordres de Washington. »

Sur ces questions, les contradicteurs du Front National auront du mal à convaincre les 30 % de Français, qui, selon un sondage publié par l’Express ce lundi, n’ayant pas voté pour elle en 2012, seraient prêts à le faire en 2017.[1]

Et si d’aucuns persistent à ne voir dans ce que dit Marine Le Pen, qu’un procédé consistant à  « banaliser » ou « dé-diaboliser  pour rassembler », alors qu’un Français sur deux pense être « un oublié de la démocratie », il est clair que le Front National a de beaux jours devant lui. Persister dans un discours, certes combatif, mais à contre-courant, en utilisant des expressions comme « ultranationalisme xénophobe et raciste » ou, prétendre que ses dirigeants ne font que « ripoliner le nationalisme » en vue d’un « marketing politique », selon les éléments de langage en usage courant chez ses adversaires, ne fait que tromper les gens qui ne lisent pas ou n’écoutent pas les discours de ce parti.

Il est étrange de constater cet acharnement commun à voir dans le Front National d’aujourd’hui, celui d’hier. A n’observer, dans le changement doctrinal, qu’une pure tactique politicienne, dont le seul objectif serait, gagner des voix. Comme s’il était acquis désormais, qu’en démocratie, selon les thèses réactionnaires de Tarde et Le Bon, il suffit de manipuler les électeurs pour obtenir leurs suffrages. Les commentateurs politiques, trahissent chaque jour Rousseau, dont ils prétendent cependant défendre l’esprit. A les écouter, l’Homme serait naturellement bête, d’où les succès qu’en tirerait l’extrême-droite.

Malgré le constat du rôle central de son parti, depuis la Présidentielle de 2012, personne, hormis ses électeurs, ne prend pour argent comptant ce que raconte Marine Le Pen. Mais en politique, les paroles sont des actes, et les discours ont donc un sens qu’il est vain de combattre avec des procès d’intention. Les idées se combattent par d’autres idées. Toute la question est d’en avoir, ou pas. Et face au Front National, il est clair, qu’on s’en réjouisse ou s’en effraie, que ses opposants et le gouvernement en manquent cruellement.

Marine Le Pen est donc en passe de réussir le pari qu’elle énonçait

le samedi 12 février 2011, un mois après son élection à la tête du parti, dans un discours à la presse et aux membre du Conseil National du FN : « Les élections régionales de mars 2010 ont confirmé ce que le système redoutait le plus : la mutation de notre mouvement en pôle de rassemblement, crédible et capable de répondre aux préoccupations et aux maux qui rongent notre pays. Un pôle de rassemblement capable de raviver dans le cœur des Français la flamme de l’espérance, que la folle politique de nos adversaires, leurs échecs permanents et leurs mensonges quotidiens avaient réussi à éteindre, ou presque... La peur qui a saisi le système UMPS et la panique qui s’en est suivie, obligeant les états-majors de ces deux partis à faire du Front National leur cible privilégiée, témoignent de la montée en puissance, dans toutes les couches de la société, des idées que nous portons. » Loin de s’adapter aux mouvements d’une opinion en déshérence, le parti de Marine Le Pen semble au contraire incarner une sorte d’avant-garde idéologique avec le re-nouveau du débat sur les valeurs républicaines et nationales, qu’il a imposé à la vie politique française, dès le second tour de l’élection présidentielle, en 2012.

C’est la raison pour laquelle, selon la présidente, « les incidents médiatiques » créés par son père, ont donné des arguments à ses adversaires : « Je ne suis pas étonnée de voir les médias et les politiques voler à son secours » affirme-t-elle dans l’interview donnée au Figaro ce week-end, précisant : « Je comprends que les médias jouent la corde du feuilleton familial mais ce n’est pas le sujet ». Jean-Marie Le Pen s’était « engagé avec obstination dans un processus de dénigrement du mouvement, de contestation systématique d’une ligne politique qu’il avait pourtant soutenue. »

Depuis la présidence de Marine Le Pen, l’ascension du Front National dans les mentalités a été fulgurante. En réponse à la polémique, son Vice Président, Florian Philippot soulignait, vendredi dernier, chez Jean-Jacques Bourdin [2]: « C’est Marine Le Pen qui décide de la ligne, c’est elle qui impulse la stratégie, c’est elle qui a été élue par les adhérents du Front National à la tête du mouvement, et elle est en position de force pour les présidentielles. » Il voulait faire entendre que l’exclusion de Jean-Marie Le Pen n’était pas pure stratégie électoraliste, que sa fille incarne aussi « un courant d’idées ». Il a donc rappelé au journaliste que son émission, Bourdin direct, n’était pas étrangère à la prise de décision d’exclure le vieil homme : « C’est là que ça a véritablement commencé, par la réponse à votre question sur les chambres à gaz, ce que Jean-Marie Le Pen n’avait jamais fait depuis que Marine Le Pen est présidente ».

Anodine en apparence, cette phrase de monsieur Philippot est une clef pour comprendre la nature idéologique du conflit entre le père et la fille, dont le dernier acte vient d’être joué. En témoigne, l’argument politique de la « réunification du parti » lancé in extremis, jeudi soir, par un Jean-Marie Le Pen qui vit, tel un clown fatigué, son dernier tour de piste, mais trop tard. Par 94% des voix, les adhérents, du parti qu’il a créé en 1972, avaient dit qu’ils ne soutenaient plus sa doctrine anti-démocrate. Le Front National est aujourd’hui uni derrière son nouveau leader féminin d’autant plus charismatique, que son aura s’élargit à chaque échéance électorale. Aussi, lorsqu’il lançait à monsieur Bourdin : « Vous devriez raisonner politiquement, en terme de convictions, de valeurs, de ligne, de projet, et tout s’éclairera pour vous. », c’est à tous les commentateurs et analystes politiques que Florian Philippot adressait son message.

Mais il y a fort à parier que peu de commentateurs reprendront certaines phrases que pourtant la Présidente du Front National énonce régulièrement comme : « Les Français musulmans sont musulmans, c’est leur droit, mais d’abord Français », dans lesquelles ils ne verront que « stratégie de dé-diabolisation » et « banalisation de l’extrême droite ». Pourtant, ceux, de plus en plus nombreux, qui écoutent les discours de Marine le Pen découvrent que sa ligne politique diffère de celle de son père et ils voient, sans doute, avec elle, comme « une mesure de bon sens évident », sa proposition, pour combattre l’islamisme, « d’expulser et d’interdire de territoire, ceux qui sont fichés », alors même que le gouvernement n’a cessé après l’attentat raté du Thalys, de se dire impuissants face au terrorisme.

Mais il ne suffit point au Front National de n’être plus ni raciste, ni antisémite, et pas seulement de se dire nationaliste, républicain et patriote, pour être à la hauteur des enjeux d’aujourd’hui. L’idée d’une fermeture des frontières, ou comme le disait monsieur Philippot d’un «  rétablissement des frontières nationales » relève, pour l’instant, de l’incantation, qui va avec celle de la sortie de l’Euro. Et face à la crise des migrants, les propositions de refuser des soins à ceux qui fuient la guerre par milliers et affluent aux rives de l’Europe, ou reprocher les erreurs de la guerre en Libye et en Syrie, ne règlent rien. 

Faire de l’immigration une seule question est habile, mais peut se muer en une détestation des pauvres, des démunis, qui frappent à nos portes, n’ayant de commune mesure électoraliste que la haine démagogique des riches, sur laquelle François Hollande se fit, pour partie, élire en 2012.

Or si les Français n’aiment pas assez l’argent et sont sans cesse découragés par la gauche du désir d’entreprendre, en revanche, ils ont en commun un amour de l’humanité qu’aucune doctrine politique ne saurait détruire. Parce que l’universalisme est encore au fondement de la culture et de l’unité de notre société, comme en témoignaient, en janvier, les millions de ceux qui descendirent dans la rue, pour la défendre.

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