Comment le chômage peut modifier les comportements des individus, aussi bien d’un point de vue personnel que professionnel<!-- --> | Atlantico.fr
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Le chômage peut modifier les comportements des individus.
Le chômage peut modifier les comportements des individus.
©Reuters

Guerre d'usure

D'après une étude menée par le chercheur Christopher J. Boyce de l'Université de Stirling en Ecosse, le chômage d'une durée de 1 à 4 années a des effets néfastes sur le physique et le mental des chercheurs d'emplois. Si le regard de la société pèse particulièrement sur ces chômeurs, les hommes et les femmes ne sont pas forcément égaux.

David Bourguignon

David Bourguignon

David Bourguignon est docteur en psychologie sociale et maître de conférences à l’université de lorraine à Metz. Il est l'auteur avec Ginette Herman de plusieurs études sur l'impact de la marginalisation de l'emploi sur les chômeurs.

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Atlantico : Selon une étude menée par l'Université de Stirling, en Ecosse, le chômage de longue durée aurait un impact sur le comportement des individus : motivation, ouverture d'esprit, amabilité etc... Et le fait de retrouver un emploi permet d'inverser cette tendance. Que sait-on réellement des effets du chômage de longue durée sur le comportement ? Quels sont les ressorts à l'œuvre ? 

David Bourguignon : Généralement ce chômage est l’un des plus gros prédicteurs pour la détérioration du bien être psychologique et de la santé mentale. Au fur et à mesure de la durée du chômage, les gens ont de moins en moins de ressources pour faire face à cette situation sans emploi. Au début, les gens pensent pouvoir gérer, persuadés que cela va être transitoire. Et plus cette période va durer, plus ils vont comprendre que ce temps va devenir long. Les problèmes financiers se développent et tous ces éléments  vont avoir des conséquences sur la santé.

Deux hypothèses existent. Pour la première, le phénomène va s’accentuer au fil du temps, plus cela va durer, plus on va être mal. D’après la deuxième, au bout d’un certain temps on va s’adapter mais 2-3 ans après, une rechute se déclenche. Aujourd’hui, on considère que les effets du chômage sont plutôt linéaires, et ce, même si des adaptations psychologiques sont à l’œuvre.

L’être humain cherche toujours à préserver sa santé mentale. Pour ce faire, il arrange ses visions, le monde qui l’entoure, la manière dont il va percevoir les choses… Mais au niveau de la santé physique, on a beau se donner la croyance que l’on va y arriver, il n’y a pas d’échappatoire.

Toujours selon la même étude, les effets divergeraient en fonction du sexe des individus. Les hommes seraient ainsi plus affectés que les femmes. Quelles sont les causes de cette situation ?

Il y a quelques années certains auteurs ne voyaient pas de différences, il s’agissait-là de méta-analyses – c’est-à-dire des analyses qui rassemblent les conclusions de bon nombre d’études sur un sujet. Et la dernière méta-analyse réalisée sur le chômage en 2012-2013 tend à montrer qu’une différence existe entre hommes et femmes, au détriment des hommes, et aussi au détriment des ouvriers, les deux publics les plus touchés.

Les hommes sont particulièrement concernés car il est plus stigmatisant d’être un homme sans emploi, et les femmes semblent pouvoir avoir accès à d’autres rôles sociaux, d’autres activités qui remplissent un peu le vide laissé par l’absence d’emploi.

Des chercheurs ont avancé d’autres résultats : l’évolution de notre société a fait que la femme doit trouver un travail pour être indépendante. En ne pouvant pas être autonome à cause de la situation du chômage était très handicapant. Cela touchait 2 types d’individus : les femmes à l’heure actuelle, et aussi les jeunes. Pour certains, ces deux publics pourraient être encore plus touchés car ils n’arrivent pas à atteindre leur objectif.

A travers ces études, on accède donc à plusieurs parties de la réalité. Tout cela dépend bien entendu de la manière dont on investit la situation de chômage, la question est aussi individuelle. Ainsi, pour les personnes plus âgées, la période de chômage peut être mise en lien avec la fin de vie.

Dans quelle mesure la place prépondérante du statut socio professionnel dans notre société peut-elle affecter les chômeurs de longue durée ?

Beaucoup d’études montrent que plus l’individu va investir le travail, plus il va lui accorder de l’importance, plus il ne va percevoir son existence qu’à travers cet élément. Les risques de souffrance en cas de chômage seront alors accrus. On peut voir ce genre de conséquences avec les retraités par exemple qui n’ont pas investi toujours d’autres dimensions. Les sociétés qui accordent plus d’importance au travail : c’est là que réside toute la difficulté de ce poids de la stigmatisation, plus vous évoluez dans une société qui donne du poids au travail, plus vous allez en souffrir.

Les personnes qui remettent en question à la fois l’origine du chômage mais également le mythe suprême du travail souffrent moins de cette situation. Paradoxalement, c’est parfois la situation de chômage longue durée qui permet souvent de se questionner sur ces problématiques.

Notons quelque chose de très étonnant, les chômeurs se laissent faire, très peu de mouvements collectifs voient le jour. Il est très difficile pour un chômeur de le faire car il appréhende la solution sous un angle individuel. Il y a donc une chape de plomb sur toute action collective alors que des choses méritent peut-être de changer au sein de la société et vis-à-vis du regard porté sur eux afin que les chômeurs vivent mieux cette période.

Quels sont les conseils que peuvent suivre les personnes à la recherche d’emploi depuis un certain temps afin de ne pas s'éloigner encore un peu plus du marché de l'emploi ?

Le travail fournit des ressources en termes de structuration du temps, des relations, des objectifs poursuivis.. ce que l’on appelle les fonctions latentes de l’emploi, différentes des fonctions manifestes qui sont le revenus. On s’est rendu compte que pour garder une bonne mentale et être prêt à réinvestir le monde de l’emploi, il faut trouver des activités qui puissent combler ces fonctions latentes. Cela peut prendre plusieurs formes : suivre des formations par exemple. Cela contraint l’individu à suivre un rythme, se lever, on s’auto valorise aussi, on rencontre des gens ce qui peut permettre de retrouver du travail…

Une autre voie : le bénévolat. Le problème c’est que l’on prend là de l’emploi même si cela permet à beaucoup de répondre à ses besoins. Une question sociétale se pose. Proche du bénévolat, l’appartenance à des associations peut aider.

Pour conclure, il faut faire attention car la situation de non emploi peut amener des gens à s’auto-marginaliser car sans emploi, ils ne voient pas d’opportunité. Il convient d’avoir un regard critique : quand une société n’est plus à même de proposer un travail à tous, un travail de réflexion doit être mené afin de trouver des politiques, des outils, pour essayer de maintenir la santé de ses travailleurs potentiels sans emploi. 

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