Quand l’Etat Islamique veut la peau de Mokhtar Belmokhtar (mais surtout d’Aqmi)<!-- --> | Atlantico.fr
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Mokhtar Belmokhtar, leader d'al-Qaïda en Afrique de l'Ouest.
Mokhtar Belmokhtar, leader d'al-Qaïda en Afrique de l'Ouest.
©Capture d'écran

Terroristes contre terroristes

La branche libyenne de l'EI a diffusé ce week-end du 22 et 23 août un avis de recherche contre Mokhtar Belmokhtar, le chef auto proclamé d'al-Qaïda en Afrique de l'Ouest. L'Etat islamique visait ouvertement ces dernières semaines des individus affiliés à Al-Qaïda au Maghreb islamique.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Atlantico : Comment comprendre ce combat entre ces deux groupes terroristes que sont Al-Qaïda – et ses différentes franchises – et l’EI ?

Alain Rodier : Ce qui se passe actuellement au Sahel est à replacer dans le cadre plus large de la lutte d’influence que se livrent Daesh (l’Etat Islamique) et Al-Qaida "canal historique". Cette guerre interne entre deux mouvements qui partagent la même idéologie, le salafisme-djihadisme, est une question de personnes. Al-Baghdadi refuse de reconnaître l’autorité du docteur al-Zawahiri et tente de rameuter sous sa bannière l’ensemble des groupes djihadistes actifs sur la planète, la plupart dépendant précédemment d’Al-Qaida "canal historique".

C’est ce qui s’est passé au Sahel, Mokhtar Belmokhtar (MBM) a vu son autorité contestée par certains de ses hommes ces derniers mois. Ces derniers ont choisi de rejoindre l’EI alors que lui a revendiqué son attachement à Al-Zawahiri tout en récusant l’autorité "intermédiaire" d’Abdelmalek Droukdel, l’émir d’Al-Qaida au Maghreb Islamique (AQMI).

La présence de MBM en Libye est signalée depuis le début de la révolution libyenne -ce qui ne l’empêche pas de sillonner les pistes du Sahel qu’il connaît comme sa poche-, les Américains ayant même tenté de mettre fin à son aventure par un raid aérien lancé en juin dans la région d’Ajdabiya située à 160 kilomètres au sud-ouest de Benghazi. Si l’on parle beaucoup de groupes djihadistes en lutte contre Daesh en Libye (récemment à Syrte), la présence d’Al-Qaida "canal historique" est moins mise en exergue bien que bien réelle. Historiquement, de nombreux djihadistes libyens ont rejoint la nébuleuse islamique échappant ainsi aux foudres du colonel Kadhafi qui les pourchassait car ils avaient voulu attenter à sa vie. Ce fait est intolérable pour l’EI qui cherche à se faire une place au soleil en Libye considéré comme son théâtre d’opérations extérieur principal -en dehors de son noyau syro-irakien- si l’on excepte l’Egypte où Daesh est également très présent. MBM est donc désormais considéré comme un concurrent à abattre de manière à récupérer les hommes qui l’accompagnent. L’enjeu est important car la zone d’action couverte par MBM comprend la Libye mais aussi l’ensemble du Sahel.

Le groupe formé par l’ancien major de l’armée égyptienne Hisham Ali Ashmawi a un ennemi commun avec Mokhtar Belmokhtar, l'Etat islamique. Y a-t-il des liens entre certains groupes terroristes ? Sur quoi reposeraient ces alliances ?

L’ex-major Hisham Ali Ashmawi alias Abou Omar al Muhajir al Masri, un ancien des forces spéciales égyptiennes, a rejoint le "réseau Mohammed Jamal" en 2011 après la libération de ce proche du docteur al-Zawahiri. Ce réseau, héritier du Jihad Islamique égyptien (dont al-Zawahiri fut un des leaders), entretenait des liens avec Al-Qaida "canal historique" et ses branches AQMI au Sahel et AQPA (Al-Qaida dans la Péninsule Arabique) au Yémen. A ce titre, il aurait séjourné en zone Afpak (Afghanistan-Pakistan) avant d’être envoyé en Syrie pour se former à des techniques terroristes auprès du Front al-Nosra. Il serait ensuite rentré au pays où il aurait rejoint Ansar Bayt al Maqdis (ou Ansar Jerusalem) pour créer une cellule de cette formation dans la région du Caire. Après avoir tenté en septembre 2013 d’assassiner le ministre de l’Intérieur de l’époque, Mohammad Ibrahim, il aurait dirigé en juin 2014 l’attentat qui a coûté la vie à Hisham Barakat, le procureur général d’Egypte responsable de la condamnation à mort de nombreux responsables des Frères musulmans. La même année, c’est encore lui qui aurait supervisé l’attaque d’un poste de contrôle sur la route d’Al Farafra situé à proximité des frontières libyenne et soudanaise. Cette action de type commando a causé la mort de 21 militaires et de trois assaillants. Depuis, il s’est fait reconnaître comme émir du groupe al Mourabitoun qui, curieusement, est le nom de l’ancienne unité de MBM rebaptisée depuis "Al-Qaida en Afrique de l’Ouest". En novembre 2014, Ashmawi a refusé de suivre Ansar Bayt al Maqdis dans son allégeance à Daesh préférant rester fidèle à Al-Qaida "canal historique". Son ennemi désigné est le maréchal-président Abdel Fattah el Sisi qu’il surnomme le "nouveau Pharaon". C’est à se demander si MBM n’a pas noué des contacts avec Ashmawi dans le but d’étendre son influence sur le continent africain. La guerre sur le terrain s’étend également sur les ondes puisque "Al-Qaida en Afrique de l’Ouest" s’oppose au "Califat d’Afrique de l’Ouest" créé à partir de Boko Haram qui a prêté allégeance à Daesh.

De quand date cette violente rivalité pour le leadership du djihadisme mondial ?

Cette rivalité date de l’établissement du "califat islamique" à l’été 2014. Al-Baghdadi demande à tous les musulmans de lui faire allégeance ce qui n’est évidemment pas du goût de tout le monde, en particulier des émirs d’Al-Qaida "canal historique". C’est par contre l’occasion pour des dissidents de ces mouvements de se faire connaître en remettant en cause l’autorité de leurs chefs désignés précédemment. Les "califes qui veulent prendre la place des califes" en quelque sorte…

Des listes de responsables à abattre sont dressées par bon nombre de groupes terroristes. Pourtant, à la mort d’un cadre djihadiste, celui-ci est vite remplacé. Ces exécutions déstabilisent-elles vraiment les mouvements djihadistes ? Quels avantages y trouvent les adversaires à l’origine de ces "avis de recherche" ?

Ce qui importe à l’EI, c’est de récupérer des troupes en liquidant leurs chefs. A savoir qu’Al-Qaida "canal historique" a du mal à empêcher cette fuite des hommes de base vers l’EI qui propose des objectifs à court terme alors que la nébuleuse initiée par Ben Laden étend son combat sur des générations. Les katibas d’Al-Qaida "canal historique" ne doivent souvent leur unité que du fait du charisme de leurs émirs. S’ils disparaissent, leur basculement vers l’EI est possible.

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