70 ans après, comment le souvenir d’Hiroshima continue d’infuser dans la mémoire collective japonaise<!-- --> | Atlantico.fr
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Le Japon va célébrer le 70ème anniversaire des bombardements de Hiroshima et de Nagasaki.
Le Japon va célébrer le 70ème anniversaire des bombardements de Hiroshima et de Nagasaki.
©Flickr / Mark and Allegra

Big Bang

Le Japon va célébrer le 70ème anniversaire des bombardements de Hiroshima et de Nagasaki. Seule attaque nucléaire de l'Histoire, cette catastrophe a traumatisé les Japonais, qui oscillent entre pacifisme assidu et interprétations orientées de l'événement.

Guibourg Delamotte

Guibourg Delamotte

Guibourg Delamotte est maître de conférence à l'Inalco et au CERI. Elle étudie la vie politique japonaise, ainsi que les systèmes de défense et de diplomatie de ce pays. Elle travaille également sur la sécurité régionale en Asie.

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Atlantico : Les Japonais vont célébrer le 70ème anniversaire des bombardements de Hiroshima et Nagasaki, les 6 et 9 août 1945. Quelles marques ces attaques, qui furent les seules avec des armes nucléaires jusqu'à aujourd'hui, ont-elles laissé dans la mémoire nationale ?

Guibourg Delamotte : Les Japonais en gardent un immense traumatisme. Cet événement a été un moment fondateur de l'identité pacifiste de l'après-guerre. Pour eux, c'est le moment où démarre le rejet de la guerre, associé à la Seconde Guerre mondiale.

Il y a aussi un volet moins positif. Hiroshima et Nagasaki ont été une catastrophe humanitaire telle - prenant pour cible des populations civiles, avec une arme qui n'avait jamais été utilisée auparavant - que les Japonais ont tendance à occulter les souffrances que les Japonais ont pu infliger eux-mêmes.

Ce qui est intéressant, c'est que le premier volet concerne tout le monde, et en particulier les gens de gauche, qui rejettent la guerre et défendent la Constitution pacifique. Le second concerne surtout les autorités. Autour de Hiroshima et Nagasaki, l'ensemble de la population se retrouve.

Lorsque je parle de pacifisme, c'est à la fois une problématique constitutionnelle, avec le rejet de la guerre. Le rejet du nucléaire est un sous-produit du pacifisme.

Quelle forme prennent ces célébrations ?

Une cérémonie a lieu à Hiroshima et à Nagasaki. Elle est retransmise à la télévision. L'empereur, le Premier ministre et le gouvernement s'y rendent. C'est le terrain sur lequel la gauche et la droite, après la guerre, ont pu se rencontrer à travers un consensus.

Les cérémonies commémorent les victimes des guerres, leurs souffrances, et le besoin de ne plus se lancer dans de tels conflits. Les survivants vont pouvoir être interviewés à la télévision, mais ne sont pas spécialement mis en avant dans les cérémonies en elles-mêmes.

Existe-t-il une forme de rancune envers les Américains, à avoir utilisé des bombes nucléaires contre le Japon ?

Aucun président américain n'a assisté à ces cérémonies. L'ambassadeur s'y est rendu pour la première fois en 2010. Il n'y a jamais eu d'excuses de la part des Américains et ce n'est pas à l'ordre du jour.

Ça n'est jamais exprimé, ni officiellement, ni par les personnalités de gauche, en dehors d'un tête à tête assez confidentiel, ou entre Japonais. Très rapidement, l'idée s'est imposée que si le Japon avait gagné la guerre, Hiroshima et Nagasaki auraient été considérés comme un crime contre l'humanité. Il y a aussi l'idée que les Américains n'auraient jamais fait ça contre des Allemands, ou contre des démocrates. Ce discours est particulièrement présent au sein de l'extrême droite.

Cela est en partie dû à une ignorance de l'histoire, et notamment des bombardements de Dresde, en Allemagne. C'est aussi un refus de prendre en considération l'obstination, y compris à la fin de la guerre, des Japonais. Il a fallu deux bombes, et pas une seule, et encore, il a fallu attendre encore six jours pour que l'empereur trouve le courage politique et/ou les arguments pour convaincre les militaires de capituler. Ils étaient complétement jusqu'au boutistes. Il faut bien resituer ces événements dans le contexte de l'époque. D'autant plus que c'était une bombe dont on ne mesurait pas les effets : souvenez-vous qu'on assistait à des essais nucléaires avec de simples lunettes de soleil.

Les autorités japonaises défendent en ce moment un projet de réforme constitutionnelle. La Constitution du Japon, très exigeante en termes de pacifisme, est considérée par certains comme trop contraignante dans l'emploi des forces armées. Ce débat a-t-il un lien avec l'expérience de ces bombardements nucléaires ?

Le projet de la sur la Défense est quelque chose de ponctuel, qui divise énormément la population ne comprenant pas très bien où le gouvernement veut en venir. Une bonne partie des Japonais a un doute important sur la constitutionnalité de ce projet.

Hiroshima et Nagasaki sont célébrés chaque année. C'est un moment où l'ensemble de la population se retrouve. On se souvient comme le Japon a beaucoup souffert de la guerre et c'est, pour la gauche, l'occasion de rappeler l'importance du pacifisme et le rejet du nucléaire.

Le lien entre ce débat est plutôt fait avec le soixante-dix-septième anniversaire de la fin de la guerre, et pas avec les bombardements en eux-mêmes. Du fait de cet anniversaire, ce projet de loi et les doutes qui y sont liés revêtent un sens particulier. Les uns estiment que le Japon a prouvé, jusqu'ici, à se montrer pacifique. Ils défendent que ces réformes ne remettraient en aucun cas cette logique en question. Les autres trouvent au contraire que le Japon, d'autant plus avec les tensions avec la Chine et la Corée du Nord, vit dans un pacifisme qui reste fragile.

Qui sont les acteurs qui ont construit cette mémoire collective ?

C'est une mémoire par défaut, sans vraiment de débat, qui a été construite. C'est notamment le parti libéral-démocrate qui l'a construite autour de symboles comme Hiroshima et Nagasaki, mais aussi du Yasukuni [NDLR: un monument aux morts contesté du fait de la présence en son sein de plusieurs militaires accusés de crimes de guerre]. Le Yasukuni, les dirigeants politiques y vont surtout depuis 2001, date à laquelle c'est devenu un vrai lieu de mémoire. Auparavant, il n'était pas vraiment considéré comme tel. Il faisait un peu partie de la vie quotidienne et on y accordait peu d'importance. C'est le Premier ministre Jun'ichirô Koizumi qui médiatise le débat et en fait un lieu de mémoire.

La mémoire s'est en fait construite assez récemment. Auparavant, c'était un sujet qui n'intéressait que les historiens. Pour les autres, il n'y avait qu'une mémoire par défaut. Il y a une méconnaissance de l'histoire récente, chez les jeunes générations, qui tient du choix des concours préparant à l'université. Dans le détail, l'histoire de la Seconde Guerre mondiale est rattachée à un programme qui traite de l'histoire du monde. Les jeunes Japonais, à 18 ans, ont tendance à préférer étudier l'histoire du Japon que l'histoire du monde. C'est un choix politique : exclure de l'histoire du Japon les événements de la Seconde Guerre mondiale, c'est assez particulier.

Quelles conséquences sur la question du nucléaire ?

Cela s'est traduit par une méfiance envers le nucléaire. La catastrophe nucléaire, en 2011, est bien considérée comme un erreur humaine et pas comme une catastrophe naturelle. La grande commission d'enquête qui a été menée par la suite a montré que le système de sécurité des centrales était insuffisant. Cette commission indépendante a estimé que la catastrophe n'avait pas de causes naturelles mais bien des causes humaines. Les responsabilités ont été établies et les responsables ont été arrêtés.

Les Démocrates, qui ont été au pouvoir jusqu'en 2009, étaient directement responsables de ce programme. Pourtant, Shinzo Abe a été réélu… grâce à son programme économique. Il y a une sorte de désillusion des Japonais sur leurs élites politiques. Shinzo Abe n'avait pas été très clair sur le nucléaire mais l'on savait qu'il le conserverait… ce qui ne l'a pas empêché de gagner.

Propos recueillis par Romain Mielcarek

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