Grenoble, 5 ans après : le bilan du discours qui a profondément changé la droite<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Nicolas Sarkozy lors de son discours de Grenoble.
Nicolas Sarkozy lors de son discours de Grenoble.
©Reuters

A droite toute

Cinq ans après l'allocution de Nicolas Sarkozy du 30 juillet 2010 à Grenoble, qui avait suscité bien des indignations, l'esprit du discours marque encore les partis de droite en France. La ligne nationaliste défendue par Patrick Buisson l’avait alors emportée sur une ligne plus républicaine, incarnée par Henri Guaino.

Yves-Marie Cann

Yves-Marie Cann

Yves-Marie Cann est Directeur en charge des études d'opinion de l'Institut CSA.
Voir la bio »
Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

Voir la bio »

Atlantico : Le 30 juillet 2010 à Grenoble, Nicolas Sarkozy, alors Président de la République prononçait un discours sur l’immigration, la sécurité, la délinquance et la question de la nationalité qui a fait date. Dans quelle mesure ce discours a-t-il structuré l’opinion publique en France ?

Vincent Tournier : Il ne faut pas surestimer l’impact des déclarations politiques. Un discours ne suffit pas pour structurer l’opinion publique. Celui-ci n’échappe pas à la règle. D’ailleurs, qui le connaît ? Combien de personnes l’ont même entendu en juillet 2010, en plein cœur de l’été ? D’une certaine façon, il souffre du même syndrome que l’Appel du 18 juin 1940 : à l’époque, personne n’avait entendu le général de Gaulle à la radio de Londres, et aujourd’hui peu de gens seraient capables de dire ce qu’il contient, mais tout le monde sait en gros de quoi il s’agit.

Il en va de même pour le discours de Grenoble. Il fait office de marqueur idéologique ; c’est devenu un point de référence. Les uns y voient les excès ou les dérives du sarkozysme, les autres une réaction normale face à une situation exceptionnelle, quoique non suivie d’effets. Pour tout le monde, il est donc l’emblème de la présidence de Nicolas Sarkozy.

Yves-Marie Cann : Ce discours a beaucoup fait réagir effectivement. Il marque un tournant dans le quinquennat de Nicolas Sarkozy. La première période de son quinquennat était marquée par la politique de l’ouverture qui s’était concrétisée par l’arrivée de personnalités de gauche dans le gouvernement de François Fillon. Le discours de Grenoble et la période qui s’en est suivie marque le une droitisation plus affirmée de Nicolas Sarkozy. Pour répondre à votre question, il faut d’abord se référer au contexte dans lequel s’inscrit ce discours puisque du point de vue politique, il s’inscrit dans un temps post élections régionales au printemps 2010. Ces élections ont été marquées par les bons résultats du FN et de mauvais résultats pour la droite et notamment pour l’UMP qui, de toutes les régions en jeu, n’a remporté que l’Alsace. En un sens, Nicolas Sarkozy était un peu au pied du mur et il devait aussi faire face à une crise économique importante. On a vu, avec ce discours et dans la période qui en a suivi, aidé en cela par le contexte économique et social difficile, une crispation de l’opinion publique sur les thématiques liées à la sécurité et aussi autour de la thématique de l’immigration et de la question de l’Islam. Lorsqu’on regarde comment les choses ont évolué ces 5 dernières années, la question de l’immigration, de l’Islam et de l’identité française sont aujourd’hui restées au premier plan de l’actualité nationale et constituent toujours des sujets de crispation au sein de la société. Ces crispations se ressentent particulièrement au sein des sympathisants de droite et elles s’illustrent dans la percée et la progression du FN scrutin après scrutin mais qui gagne aussi une partie de l’opinion publique de gauche. Quand on interroge les sympathisants de gauche pour savoir si d’après eux il y a trop d’immigrés en France ou pas,  environ 4 sur 10 répondent oui à la question. Nous n’avions pas vu ces proportions depuis longtemps dans les enquêtes.
Le discours de Grenoble est un tournant politique dans le mandat de Nicolas Sarkozy. Il est aussi à l’origine d’une certaine rupture dans l’histoire politique contemporaine française à la lumière de ce qu’on a observé depuis 2010.

Les préoccupations les plus fortes tournent autour des enjeux économiques, du chômage, de la croissance… Cela a des conséquences sur l’interprétation que peuvent se faire de nombreux Français de gauche ou de droite sur  d’autres sujets comme le rapport à l’immigration, à l’identité française… autant d’éléments exacerbés par la crise et la situation économique et sociale

Quelle influence politique ce discours a-t-il eu sur la droite française en générale, de la présidentielle de 2012 à aujourdhui ?

Yves-Marie Cann : Sa première influence s’est remarquée en 2010, dans les semaines qui ont suivi ce discours. La ligne nationaliste défendue par un Patrick Buisson l’a emportée au détriment d’une ligne plus républicaine incarnée par Henri Guaino, ce qui a une influence ensuite sur la seconde partie du quinquennat. Une partie des centristes se sont braqués suite à ce discours dont la composante centriste associée au mandat de Nicolas Sarkozy. C’est au cours du 3ème gouvernement de François Fillon que Jean-Louis Borloo et Hervé Morin notamment partent. Conséquence plus durable : depuis cette période, c’est un peu « à droite toute » pour la droite incarnée par Les Républicains aujourd’hui avec une prédominance des thématiques liées à l’immigration, aux débats sur l’Islam, à la défense de la laïcité, à la question de l’identité française… Autant de sujets qui, depuis plusieurs années, taraudent les sympathisants de droite en y incluant l’extrême droite, et qui structure à la fois le débat public à droite et une partie des votes que l’on observe lors des dernières élections.

Au sein du parti Les Républicains, ex-UMP, comment les propos de Nicolas Sarkozy ont-ils résonné ? Les clivages entre les différents courants et personnalités ont-ils connu une évolution ?

Vincent Tournier : Il faut reprendre la chronologie. Nicolas Sarkozy se fait élire facilement en 2007 avec une stratégie qui a consisté à siphonner l’électorat du Front national. Pour cela, il s’est présenté comme le candidat anti-Chirac en prônant une « rupture » et en envoyant quelques messages forts vers l’électorat frontiste, notamment la création d’un ministère de l’immigration et de l’identité nationale. En même temps, son programme économique et social pouvait séduire une partie du centre. D’une certaine façon, il a donc réussi à créer autour de son nom une large coalition électorale.

Cet assemblage a réussi à tenir quelque temps. Aux municipales de 2008, la droite a perdu des plumes, mais aux élections européennes de 2009, la coalition UMP-centristes obtient de bons scores. Le choc est arrivé aux régionales de mars 2010, qui ont été un véritable désastre.

C’est là-dessus que se sont produits les événements de juillet 2015, avec d’une part les émeutes de Grenoble suite à un hold-up raté, d’autre part la vendetta des gens du voyage contre une gendarmerie à Saint-Aignan. La gravité de ces événements nécessitait une réponse : aucun gouvernement n’aurait pu rester silencieux dans de telles conditions. C’était encore plus vrai pour Nicolas Sarkozy car il subissait un cuisant désaveu : c’est toute l’efficacité de sa politique sécuritaire qui se voyait remise en cause.

Cela dit, le calendrier électoral a joué un rôle encore plus décisif. On est alors à deux ans de l’élection présidentielle, et il est évident que Nicolas Sarkozy a tenté d’utiliser ces événements pour relancer la mécanique qui l’a porté au pouvoir en 2007.

Le problème est que, cette fois-ci, son discours ne s’est pas contenté de rester dans le vague. Il a avancé des propositions détaillées, synthétisant en 30 minutes tout son programme de 2007. Du coup, il s’est retrouvé face à des critiques virulentes qui sont venues de tous les côtés : du côté des partis de gauche et des milieux associatifs (ce qui était prévisible), mais aussi du côté de sa majorité, notamment des centristes. Des personnalités comme Jean-Pierre Raffarin ou Hervé Morin se sont désolidarisées, et même François Fillon, son premier ministre de l’époque, a pris ses distances.

Le discours de Grenoble marque donc une sorte de point-limite : en voulant relancer la dynamique de 2007 par une posture ferme, il a pris le risque de la fragiliser en ouvrant une voie au centre. En somme, il a poussé le curseur un peu trop loin pour maintenir l’unité de son camp.

Yves-Marie Cann : Lorsque le discours est prononcé, l’UMP et ses représentants –bien que l’on soit en plein été - soutiennent le discours du Président de la République et sa ligne. Mais c’est aussi l’occasion pour Hervé Morin de prendre ses distances. Les silences de Jean-Louis Borloo sont aussi marquants et on le comprendra dans les mois qui suivront. C’est l’affirmation d’une droitisation du positionnement de l’UMP. N’oublions pas que lorsque l’UMP est créé en 2002 dans la foulée de l’élection présidentielle, le parti vise à rassembler les différentes composantes de la droite et du centre. Au moins symboliquement, ce discours marque un positionnement particulièrement droitier par rapport à une ligne plus modérée que suivent les centristes.

Aujourd’hui, quand on regarde les enquêtes, les sympathisants UMP à l’époque et les sympathisants du parti Les Républicains se retrouvent majoritairement encore sur cette ligne très à droite incarnée par Nicolas Sarkozy.

Néanmoins, à l’échelle des personnalités, un nuancier se dessine avec des positions plus tempérées représentées par d’autres personnalités comme un Alain Juppé ou un Bruno Le Maire. Il n’est pas anodin que ces hommes politiques, notamment Alain Juppé, recueillent de très bons résultats en termes de popularité au sein de l’électorat du centre, lorsque Nicolas Sarkozy est rejeté par une majorité écrasante de centristes, surtout du côté de l’UDI.

Le 8 octobre 2014 Nicolas Sarkozy a dit regretter ses propos, ajoutant qu’il ne ferait pas de la même manière le discours de Grenoble. Comment comprendre ce rétropédalage ? Nicolas Sarkozy a-t-il franchi ses propres limites ? 

Vincent Tournier : Ce n’est pas la première fois que Nicolas Sarkozy exprime des regrets à ce sujet. Il l’avait déjà fait en avril 2012, à la fin de la campagne présidentielle. Son modeste mea culpa modeste d’alors assez cohérent : après une campagne assez droitière, il a tenté, en fin de course, de rassurer le centre. Mais cela n’a manifestement pas suffi.

Aujourd’hui, l’enjeu est très comparable. Depuis quelques mois, Nicolas Sarkozy s’est plutôt déporté vers la droite, ce qui lui a réussi puisqu’il a pu reprendre la présidence de l’ex-UMP. Il n’a pas forcément intérêt à quitter cette ligne trop tôt car le FN a clairement le vent en poupe, mais il doit néanmoins envoyer des messages vers le centre, de façon à gêner ses rivaux.

Yves-Marie Cann : En effet Nicolas Sarkozy a amorcé une certaine forme de contrition par rapport à ce discours sans le renier pour autant. Lorsqu’il explique qu’il ne le prononcerait pas de la même façon s’il devrait le refaire et qu’il regrette d’avoir pu blesser des personnes, il ne renie pas le fond mais peut-être davantage les mots employés et l’association qui a pu être faite entre insécurité et immigration. Les déclarations du président du parti Les Républicains viennent d’ailleurs conforter ce discours de Grenoble. Il reste sur cette ligne, très marquée et clivante.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !