Retour vers le futur : l’OTAN se prépare (à nouveau) à une attaque russe<!-- --> | Atlantico.fr
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L'OTAN a récemment conduit une opération d'entraînement multinationale en Pologne.
L'OTAN a récemment conduit une opération d'entraînement multinationale en Pologne.
©Reuters

OTAN en emporte le vent

L'OTAN s'est récemment livré à un exercice d'entraînement en Pologne pour montrer sa capacité à répondre à une incursion en Europe. Officieusement dirigée contre la Russie, cette opération de très grande ampleur vise à entraîner l'OTAN à mobiliser 5000 hommes en 48 heures pour faire face à d'éventuelles menaces.

Florent Parmentier

Florent Parmentier

Florent Parmentier est enseignant à Sciences Po et chercheur associé au Centre de géopolitique de HEC. Il a récemment publié La Moldavie à la croisée des mondes (avec Josette Durrieu) ainsi que Les chemins de l’Etat de droit, la voie étroite des pays entre Europe et Russie. Il est le créateur avec Cyrille Bret du blog Eurasia Prospective

Pour le suivre sur Twitter : @FlorentParmenti

 

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Atlantico : L'OTAN a récemment conduit une opération d'entraînement multinationale en Pologne. Destinée à préparer les soldats de l'OTAN à une incursion sur son territoire, elle peut mobiliser et déployer 5000 hommes en 48h. De l'avis du Secrétaire Général de l'OTAN Jens Stoltenberg, il s'agit du "plus gros renforcement de la défense collective de l'OTAN depuis la Guerre Froide". Concrètement, dans quel contexte intervient cette opération militaire ? Cela vient-il répondre à des provocations russes ? Comment faut-il décrypter le timing ?

Florent Parmentier : En soi, il est tout à fait normal que les troupes de l’OTAN puissent s’entraîner dans un des Etats membres de l’Alliance ; le contraire serait plutôt inquiétant. C’est bien sûr dans le contexte des tensions européennes liées à la guerre en Ukraine qu’il faut lire cette mobilisation. La déclaration de Jens Stoltenberg est d’ailleurs intéressante dans la mesure où sa candidature était une candidature de compromis, notamment face au Polonais Radoslaw Sikorski aux positions beaucoup plus affirmées sur la Russie.

Depuis plusieurs mois, l’Armée russe teste sans vergogne la vitalité des défenses des pays de l’OTAN, à la frontière des Etats baltes – Estonie, Lettonie, Lituanie –, et au-delà (par exemple en Suède), notamment en matière de défense aérienne. Ce jeu du chat et de la souris dure depuis déjà plusieurs mois, et ne semble pas prêt de s’éteindre.

C’est ainsi que l’ancien Secrétaire général de l’OTAN Anders Fogh Rasmussen a affirmé en février dernier qu’une intervention russe dans les pays baltes avait de « fortes probabilités » d’arriver. L’inquiétude de la Lituanie s’est d’ailleurs traduite par le rétablissement du service militaire, et la remontée du budget de défense, structurellement bas en Europe.

Qu'est-ce que l'OTAN essaie de montrer ? S'agit-il juste de venir faire peur aux Russes ?

L’OTAN doit montrer qu’elle sera solide et robuste en cas de difficulté : l’article 5 de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord prévoit que si un Allié est victime d’une attaque armée, chacun des autres membres assistera l’Allié attaqué. C’est la logique de solidarité de bloc issue de la Guerre froide qui est en jeu.

L’OTAN, en tant qu’organisation, doit démontrer son utilité en remplissant sa fonction de garant de la sécurité européenne. C’est sous ce prisme qu’il faut comprendre la mise en place de l’Opération Détermination atlantique, menée depuis 2014 en Europe,qui a précisément pour objectif de rassurer les Européens les plus anxieux.

Il est toutefois vraisemblable que si l’objectif recherché était de faire peur aux Russes, les résultats pourraient avoir l’effet strictement contraire : agiter les troupes de l’OTAN, c’est donner raison aux militaires russes qui voient l’OTAN comme une force hostile, et la décrive comme tel auprès de l’opinion publique. C’est ainsi que se met en place une puissante « dialectique du ressentiment », dans laquelle les radicaux des deux côtés se répondent : le Sénateur John McCain et le Président Vladimir Poutine ont chacun besoin de l’autre pour faire monter les tensions. La présence de davantage de troupes russes à la frontière des Etats baltes est donc probable à l’avenir.

L'OTAN doit-elle vraiment se préparer à un conflit armé traditionnel ? L'exemple ukrainien a très bien montré que l'on avait affaire à de nouvelles formes de déstabilisation de certaines zones de l'Europe de l'est.

En effet, le conflit en Ukraine montre bien qu’une « guerre hybride » peut être d’une redoutable efficacité pour déstabiliser un pays et l’empêcher de remplir ses objectifs de politique étrangère. La « guerre hybride » combine des méthodes de la guerre ordinaire, de la guérilla et de la cyber-guerre, mais également de techniques de déstabilisation sur le plan de l’économie, de la société, de l’information, etc.

Si la Russie devait attaquer les pays baltes, elle ne le ferait pas en envoyant des chars sans crier gare. En revanche, elle pourrait s’inviter comme une puissance à même de défendre les minorités russes dans ces pays ; l’important n’est pas tant la réalité de la situation des russophones (moins bien traités dans certains pays d’Asie Centrale alliés de la Russie), mais le fait d’avoir un prétexte pour intervenir. Des tensions sociales peuvent exister notamment sur des questions mémorielles (lecture de la Seconde Guerre mondiale), fournissant ainsi une opportunité d’ingérence si des incidents venaient à éclater dans une région comme celle de Narva, ville estonienne à la frontière avec la Russie. De ce point de vue, l’OTAN ne fournit peut être pas les instruments les plus à même d’éviter la montée des tensions.

Quels impacts ce type de manœuvres peut-il avoir sur le gouvernement de Vladimir Poutine ? Et sur la population russe ?

Le gouvernement russe considérera probablement ces manœuvres avec un certain dédain pour les Européens, incapables de se défendre par eux-mêmes. Le Président russe ne manquera pas de répéter qu’il considère les Européens comme des Etats inféodés aux Etats-Unis, sans réelle latitude d’action. Sur le plan militaire, l’Etat-major russe, avec lequel les relations ont été rompues, ne se montrera pas davantage impressionné. C’est ainsi que la Russie est même en train de modifier sa doctrine navale, afin d’intégrer l’annexion de la Crimée dans son champ d’action.

Alors que des menaces bien plus importantes pour la Russie sont niées – l’Etat islamique, la montée en puissance de la Chine – la population ne s’inquiète pas de ces manœuvres ; au contraire, susciter la crainte et le respect est plutôt une marque de puissance. Tous les Russes ne sont pas à l’aise avec la politique en Ukraine, mais plus nombreux sont ceux qui considèrent d’un bon œil l’affirmation de la puissance russe sur la scène internationale. Malheureusement donc, les conditions d’un dialogue constructif entre l’UE et la Russie ne sont pour l’heure pas réunies, tant nous sommes passés d’un dialogue sans réelle écoute réciproque à une incompréhension profonde.

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