Baisse des dotations de l’Etat : la course au regroupement de communes est ouverte (et ne va pas toujours sans mal)<!-- --> | Atlantico.fr
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Les communes françaises sont incitées à se regrouper.
Les communes françaises sont incitées à se regrouper.
©Reuters

Mutualisation des déficits

Pour faire face à la baisse des dotations de l'Etat, les communes françaises sont incitées à se regrouper, ce qui n'est pas sans susciter quelques grincements de dents dans les communes concernées. Le gouvernement a annoncé le 24 juillet vouloir intégrer dans la loi de finances 2016 la réforme de la dotation globale de fonctionnement aux collectivités locales pour aller vers plus de clarté et plus de justice.

Jean-Luc Boeuf

Jean-Luc Boeuf

Jean-Luc Bœuf est administrateur général. Auteur de nombreux ouvrages, son dernier livre : les très riches heures des territoires (2019), aux éditions Population et avenir. Il est actuellement directeur général des services du conseil départemental de la Drôme (26)

 

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Atlantico : Avec la baisse des dotations de l'Etat, les communes française sont-elles incitées à se regrouper ? Lesquelles sont les plus concernées : les communes rurales, les villes moyennes, les grandes villes...?

Jean-Luc Bœuf : Deux phénomènes se cumulent en ce milieu des années 2010 :  d’une part, la baisse des dotations de l’Etat aux collectivités locales, avec la nécessaire refonte de la dotation globale de fonctionnement et, d’autre part, le regroupement des communes, à travers l’achèvement du mouvement intercommunal et sa relance par les communes nouvelles.

La baisse des dotations aux collectivités est réelle et forte. En effet, chaque année jusqu’en 2017, l’Etat baisse ses dotations aux collectivités locales de plus de 3,5 milliards d’euros, afin de les faire participer à la réduction des déficits publics. Fortes de ce constat, les communes pourraient être incitées à se regrouper… si financièrement elles y gagnent au final. La difficulté est que le territoire national est aujourd’hui quasiment intégralement couvert en intercommunalités, avec les quelques 2500 communautés de communes, 220 communautés d’agglomération et la trentaine de métropoles et communautés urbaines. Il faut dès lors se tourner vers un autre mécanisme pour inciter les communes à se regrouper.

C’est ce qui est en train de se passer avec les "communes nouvelles". Ces dernières ont été créées en 2010 mais n’ont connu qu’un succès très limité les cinq premières années de leur création. D’où l’initiative de Jacques Pélissard, ancien Président de la puissante association des maires de France (AMF), qui a fait voter une proposition de loi consistant à "geler la baisse" des dotations dans le cadre de la formation d’une commune nouvelle. Traduction concrète : les communes qui acceptent de se transformer en commune nouvelle voient leurs dotations maintenues jusqu’en 2017, au lieu d’une baisse finale de près de 30%. Cette incitation financière "à l’envers" suscite un engouement réel puisque les projets recensés en ce début d’été sont de plusieurs centaines sur le territoire national. De quoi naturellement donner des sueurs froides aux ministères des finances et de l’intérieur. En effet, puisque l’enveloppe globale, elle, doit baisser de 3,5 milliards d’euros par an, il va falloir effectuer les "ajustements" sur d’autres communes…

C’est là qu’entre en scène la dotation globale de fonctionnement (DGF). Principale dotation de l’Etat aux communes, elle comprend quatre parts. La principale d’entre elles, appelée dotation forfaitaire, ne comporte pas moins de cinq composantes, dont la population, la surface de la commune… La refonte de la DGF se heurte à un problème très simple : pour donner plus aux communes qui seraient actuellement défavorisées, il va falloir baisser encore plus que prévu les dotations de celles appelées à perdre… Si l’Etat veut favoriser les communes rurales, il se heurte à la montée en puissance des villes moyennes et grandes et réciproquement !

Ces regroupements se passent-ils relativement facilement ? Y a-t-il des conflits et ces conflits touchent-ils plutôt les communes rurales, les grandes agglomérations...? Comment ces regroupements sont-ils perçus tout à la fois par les élus, les administrés et les fonctionnaires de mairie ?

L’incitation au regroupement des communes a parfaitement fonctionné en France dans les années 2000, à une époque où l’Etat, chaque année, abondait de plus de 500 millions d’euros les dotations aux collectivités pour former qui les communautés de communes qui les communautés d’agglomération. Mais il faut le préciser sans diminution du nombre des communes. En fait, le regroupement se passe bien lorsque les ressources totales augmentent, aussi bien celles des communes que celles des nouvelles structures intercommunales.

Les conflits se focalisent autour du mécanisme de la crainte : dans un regroupement, la commune la plus importante craint que ses  recettes ne soient mutualisées et que ses dépenses doivent être toujours assurées par la "grande ville", quelle que soit sa taille d’ailleurs, et bénéficient davantage aux "autres", c’est-à-dire aux petites communes du groupement de communes. Réciproquement, les "petites communes" du groupement craignent deux choses : une dilution de leur identité et le fléchage du budget vers des équipements et dépenses courantes de la "grande ville". D’où des mécanismes de régulation nécessaires entre les maires des groupements. D’où aussi le fait que la gouvernance d’une intercommunalité ne passe pas par un affrontement partisan lors des conseils communautaires ! Les administrés ont souvent du mal à s’y retrouver dans le "qui fait quoi" entre commune et groupement. C’est la raison pour laquelle la tendance est au regroupement des administrations de la ville centre et de la structure intercommunale. Pour ce qui est des agents publics locaux, leur tâche prioritaire est de garantir les intérêts tant des communes que du groupement.

Le mouvement avait-il été entamé avant que les dotations en question ne commencent à diminuer ?

Le mécanisme est ancien ! Pour le percevoir dans sa totalité, il est nécessaire de remonter à 1971. Cette année-là, la loi Marcellin, du nom du ministre de l’intérieur, tente un regroupement quasi-autoritaire des communes, sous la houlette des préfets qui assurent à cette époque le véritable fonctionnement des départements. Cette loi se solde par un échec. Le nombre de communes ne baissera que d’environ un millier, passant de près de 38000 à un peu moins de 37000. Parallèlement, l’Etat a mis en place les communautés urbaines à la fin des années 1960 (Lyon, Lille, Bordeaux, Strasbourg). Le mécanisme du regroupement des communes se développera au début des années 1990, avec les communautés de communes (les plus petites formes d’intercommunalité), puis au début des années 2000, avec les communautés d’agglomération (regroupements de taille moyenne) avec, rappelons-le, de fortes incitations financières à la clé. Depuis lors, les débats se focalisent aux deux bouts de la chaîne : d’un côté, la question de la taille minimale des intercommunalités (à 15000 habitants vient de trancher la loi NOTRe) et, de l’autre, celle des métropoles et communautés urbaines. Car, pour atténuer la perte de statut de capitales régionales déchues, le gouvernement a indiqué vouloir les transformer en communautés urbaines. Petit hic : les dotations sont plus importantes pour ces catégories. Ce qui est, une nouvelle fois, contradictoire avec la baisse des dotations...

En définitive, il est indispensable de se rendre compte que le "logiciel national" a changé ! Auparavant, les élus décidaient des actions à réaliser et les financements suivaient naturellement puisque premièrement les dotations de l’Etat augmentaient chaque année ; deuxièmement, le levier fiscal s’activait aisément et troisièmement, l’emprunt était mobilisable très facilement.  La crise financière de 2008, devenue économique,  a radicalement changé la donne. L’emprunt n’est plus aussi facilement accessible, puisqu’il faut pouvoir rembourser… Quant au contribuable, il n’accepte plus aussi aisément les hausses d’impôt quand il ne les refuse pas carrément. Pour ce qui est de l’enveloppe totale des dotations, rien n’indique que le mécanisme ne va pas encore s’accentuer.

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