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Pourquoi les agriculteurs allemands et du nord de l’Europe s’en sortent finalement mieux que les agriculteurs français
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I want my farm back

Le secteur agricole français connait une semaine agitée, les agriculteurs réclamant des mesures fermes de la part du gouvernement pour enrayer la crise qu'ils connaissent. De manière générale, le secteur agricole européen connait lui aussi des haut et des bas, avec de très fortes disparités entre les régions.

Jean-Marc Boussard

Jean-Marc Boussard

Jean-Marc Boussard est économiste, ancien directeur de recherche à l’INRA et membre de l’Académie d’Agriculture.

Il est l'auteur de nombreux ouvrages dont La régulation des marchés agricoles (L’Harmattan, 2007).

 

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Patrick  Ferrere

Patrick Ferrere

Patrick Ferrere est directeur général du think-tank SAF Agr'idées 

http://www.safagridees.com/

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Atlantico : En France, la crise que connaît le secteur agricole se meut en contestation du gouvernement. Les syndicats d'agriculteurs ayant récemment dénoncé les "mesurettes" prises pour essayer d'améliorer la situation. Quelle est la situations dans le reste de l'Europe ?  La politique de l'Union européenne, commune à tous les pays en matière d'agriculture, est-elle à la hauteur ? 

Patrick Ferrere : A ce propos, il faut comprendre que l'agriculture européenne, a vécu, du début de la PAC, jusqu'à la fin des années 90, sur des systèmes de prix garantis. Le producteur produisait, et les intervenants du secteur avaient des prix garantis. Le producteur du secteur savait a minima combien il serait payé. Il n'y avait pas de lien direct entre la rémunération qu'on avait et la réalité du marché. Devant cette situation, il a été décidé de supprimer ce système et donc il y a eu une réforme, portée par la Commission en 2003, qui consiste à dire " à partir de maintenant, vous n'avez plus de prix garanti, vous produisez pour un marché, et c'est le marché qui doit vous rémunérer". Cela faisait 40 ans que les gens n'étaient pas dans ce système. Vous avez les pays du nord de l'Europe qui se sont adaptés beaucoup plus vite à cette situation. En France, on était habitué y compris avant la PAC,  à avoir un fort interventionnisme de l'Etat. Les Français ne se sont pas mis rapidement dans cette situation. Aujourd'hui il faut produire pour un marché, et c'est la rémunération de ce marché qui permet d'être rémunéré. Et non pas une décision publique. A partir de là, vous avez des acteurs qui sont allés plus vite car plus habitués à cette confrontation. C'est le cas des céréaliers qui ont pris l'habitude de regarder les cotations à terme, de jouer sur les stocks, etc. Puis vous avez ceux qui ont moins l'habitude, notamment les productions de viandes, subissent les fluctuations du marché sans jamais les anticiper ni les gérer. Les secteurs sont différents bien sûr. Il faut regarder la rémunération des producteurs en face de la réalité de la rémunération du marché.

Jean-Marc Broussard : En  effet, le mécontentement est semble-t-il  plus important en France qu’ailleurs, mais je me demande pourquoi.  En réalité, ce sont les producteurs de lait du monde entier qui sont touchés par cette crise. Les prix, aujourd’hui, sont mondiaux, et donc les baisses comme les hausses touchent tout le monde.

Il est vrai qu’il y a quand même des exceptions : certains pays ont refusé de jouer la carte de la mondialisation., et ont réussi à édifier des barrières entre leur marché intérieur et la marché mondial. C’est en particulier le cas des États-Unis, qui disposent de tout un arsenal de mesures permettant à leurs agriculteurs d’échapper aux conséquences  les plus graves des fluctuations de prix, tout en proclamant de façon assez hypocrite qu’ils sont complètement libéraux.

En ce qui concerne l’Europe, c’est un parfait élève libéral, et il ne devrait pas être question de refuser de jouer le jeu du marché... Donc tous les agriculteurs européens sont soumis à ce régime, par une PAC de moins en moins "agricole" et de plus en plus "écologique".

Quelles sont les zones les plus touchées par la crise qui frappe le secteur agricole ?

Patrick Ferrere : Vous avez des produits qui sont identifiés, donc des marchés segmentés. Vous êtes sur un segment de marché, pas sur un autre, et ce segment vous donne une rémunération. Dans le secteur laitier, vous pouvez être sur un fromage avec une appellation et une maîtrise de la production, exemple comté ou reblochon. Vous avez là un prix du fromage qui permet une rémunération du producteur qui n'a rien à voir avec les prix du lait. Par contre si vous faites du fromage qui se stocke, type cheddar, ou emmental, vous êtes en compétition avec les Hollandais, les Néo-Zélandais, etc. Vous avez une rémunération du produit qui ne dépend pas de vous mais aussi d'autres. Vous subissez ce prix. Soit vous êtes dans le schéma commun et il faut vous adapter pour être rémunéré au prix de ce schéma commun ou alors vous vous identifiez par des produits de terroir, votre produit, et vous êtes rémunérés différemment car le marché vous rémunère différemment. C'est ça le lien au marché, les régions les plus fragiles ou celles qui sont confrontées le plus à la concurrence sont celles qui sont sur des produits de masse. Dans le cas du lait, vous avez les Savoies, les Franche-Comté qui sont sur des fromages renommés d'appellation qui ne produisent pas plus que le marché ne peut absorber et qui rémunère parfaitement les producteurs.  On gère le marché tous ensemble, le transformateur le gère en lien avec le producteur. Le producteur doit comprendre que c'est aussi dans son intérêt de ne pas en faire trop.

Le, plus bel exemple c'est la Bretagne, regardez ce qui s'y est passé ces deux dernières années. La Bretagne n'a pas d'appellation et est sur un produit très concurrentiel. Le paysan breton fournit de la matière première qui est transformée dans des produits qui sont sur les mêmes marchés que ceux produits par les Pays-Bas, les Allemands, les Canadiens. A partir de là, il faut passer au prix mondial, hors le prix mondial, ce n'est pas l'Europe qui le fait. L'Europe subit quelque chose. Si l'année dernière, le prix du lait à flambé c'est à cause de la forte demande de la Chine, mais en même temps, il y a eu des difficultés climatiques en Nouvelle-Zélande et en Australie. Vous avez un excédent sur le marché, les prix se cassent la figure.

Jean-Marc Broussard : La PAC est la même partout, mais les agricultures sont différentes. Encore ne faut-il pas opposer les "Bretons" aux  "Calabrais" (ou toute autre régions). Certains bretons, et certains calabrais ne souffrent pas, d’autres subissent la crise de plein fouet. Ces derniers sont ceux  qui, à certains moments de leur carrière, se sont endettés. Ceux-là sont  très vulnérables, car ils ne pourront pas rembourser leurs emprunts. D’autres, par chance, avaient déjà tout remboursé, ou n’avaient pas encore de dettes... Ceux-là peuvent survivre. Ils seront gagnants,  car, une fois que les autres auront disparu, il faut s’attendre à des prix astronomiques...Naturellement, tout cela est une affaire de chance, qui n’a rien à voir avec l’habileté ou la médiocrité de tel ou tel entrepreneur.  

Le type d'exploitation joue-t-il un rôle ? Quels sont les secteurs de l'agriculture qui résistent le mieux à la crise ? Pourquoi ?

Patrick Ferrere : Le type d'exploitation est lié à ce qui est votre prix et votre compétitivité. Dans le cas de lait, si vous êtes sur des produits à haute valeur ajoutée, sur des fromages AOC etc. Vous pouvez vous permettre d'avoir de petites exploitations puisque le lait est bien rémunéré. Si par contre votre lait est très mal rémunéré, il faut faire des économies dans toutes les chaines de la filière, y compris dans le maillon de la production. Et c'est là qu'on se rend compte qu'une exploitation qui a 30 vaches aujourd'hui a peu de chances de survivre, car les prix ne sont pas assez rémunérateurs.

Vous avez les zones qui sont habituées à aller dans la confrontation internationale. Les Pays-Bas n'ont jamais cherché à faire du camembert ou du comté, ils sont sur des produits industriels et produisent des fromages qu'ils peuvent stocker. Ils ont toujours fait ça, et disposent aujourd'hui de structures d'exploitations et des compositions de filières qui sont prêtes à ça. Ils ont été obligés, à la différence de nous, de mieux s'organiser en meute. Dans ces pays, vous avez souvent une seule coopérative nationale voire multinationale avec plusieurs pays. C'est la superstructure des agriculteurs qui va gérer la volatilité des prix et des revenus pour eux. Nous, on a un marché national porteur, on a énormément de produits de grande consommation comme le yaourt, les desserts. On a moins de produits dits industriels. On a une guerre plus forte entre opérateurs. On est moins en meute, on essaie de se piquer des parts de marché, et on affaiblie le monde la production.

Ce qui a énormément déstabilisé l'UE, c'est le dernier élargissement vers d'anciens pays sous domination soviétique. Dans ces pays, on a redonné la propriété aux grands propriétaires terriens spoliés en 1945. Si vous prenez l'exemple de la Bavière, les agriculteurs ne vont pas tarder à manifester, car ils vivent une même situation que nous sur des produits identiques à nous. Mais dans les Länd de l'Est, vous avez des domaines avec 3000-4000 vaches, on a reconstitué les grands domaines des propriétaires terriens de l'époque. La ferme des mille vaches, cela n'a rien d'exceptionnel en Europe. Par rapport à la Roumaine, la Pologne, c'est petit.  

Jean-Marc Broussard : Bien sûr que le type d’exploitation joue un rôle. Les "exploitations de subsistance" - typiquement, les exploitations africaines – sont peu affectées, parce qu'elles ne vendent pas grand-chose, et que les prix sur les marchés africains sont peu connectés au marché mondial  du fait des difficultés de transport. Les exploitations qui vendent sur des marchés de "niche" ou de "luxe"  - les producteurs de Beaufort, ou de Parmigiano Reggiano, par exemple -  peuvent conserver leur avantage (mais pas complètement, car si la différence de prix entre leurs produits et les produits standards est trop forte, leurs ventes finiront par s'en ressentir. Peut-être certaines grandes exploitations – la "ferme des 1000 vaches", par exemple – peuvent  passer la crise si elles parviennent à convaincre leurs banques de les accompagner dans le très long terme (et bénéficier ainsi de la hausse qui ne manquera pas de se produire un jour, on ne sait quand). Il faut donc s'attendre à une certaine redistribution des cartes. Mais il est difficile de dire exactement dans quel sens. C'est une question de chance, un peu comme en météorologie. 

Quelle est la marge de manœuvre des différents gouvernements nationaux ?

Patrick Ferrere : Aujourd'hui vous avez une politique agricole, un système de soutien et de paiement des agriculteurs qui est le même partout en Europe. Le gouvernement a souvent pris l'habitude d'accumuler les aides nationales et les aides européens. Le politique doit accompagner ses filières dans la nouvelle donne économique, qui est celle de la concurrence et de la segmentation de marché. Ce  n'est pas la première crise dans la viande, toutes les mesures sont les mêmes, et sont très limitées car Bruxelles ne nous permet pas de faire beaucoup plus. Mais quoi demain ? Ces mesures n'ont pas empêché des faillites, des fermetures. La réflexion ce n'est pas dire comment apporter 1 euro de plus à des agriculteurs qui seront contents d'avoir de l'argent. Ce n'est pas ça qu'ils veulent, ils veulent de la visibilité, savoir ce que qu'ils produisent et ce que ça va devenir. Et çà partir de ce moment ils y croient.

Jean-Marc Broussard : Si l’on s’en tient à l’esprit de l’OMC, les gouvernements nationaux ne doivent surtout rien faire. C'est au marché d'éliminer les "mauvais" et de garder les "bons". Cela dit, devant l’énormité de la catastrophe, et dans la perspective de la ruine complète de  certaines filières,  il faudra sans doute "faire quelques chose" . On habillera cela d’une façon ou d’une autre par de nobles sentiments, mais il faudra surtout  beaucoup de millions en subventions déguisées, en particulier pour assurer le remboursement des emprunts... 

Un secteur agricole en perte de vitesse en France ou ailleurs peut-il avoir des répercussions dans d'autres pays ? Peut-on s'attendre à une propagation de la crise comme des crises financières plus classiques ? 

Patrick Ferrere : Aujourd'hui on a un lien au marché. Prenons l'exemple du porc. Si la France produit moins de porc, le marché international du porc  est en progression. Face à ce marché en progression, des pays comme l'Allemagne ou l'Espagne ont augmenté leur progression. En France on diminue, pour des raisons qui sont internes à la France. Qui sont internes à la filière et aux réflexions que doivent se poser les acteurs de la filière. Et tous les acteurs de la filière sont concernées, pas uniquement l'Etat. Qu'est-ce qu'on fait pour que la France qui a la chance d'avoir une production importante avec des emplois etc. doit faire. Si on produit moins, que va-t-il se passer ? Ce sont les autres qui vont produire plus. Au fur et à mesure que la France ne prend pas des bons chemins, nous régressons, et ce sont les autres qui progressent, la crise ne sera que franco-française. Si on ne prend pas nos chances, la crise ne va pas se propager en Europe.

Jean-Marc Broussard : C'est en effet tout à fait possible. Les agriculteurs qui vont "sortir du lait" vont essayer d'autres activités, de sorte que l'on peut s'attendre à des hausses de production (et donc, des baisses de prix) ailleurs que sur les produits laitiers. Et encore une fois, le phénomène a toutes les chances d'être mondial, dès lors que la libéralisation des marchés sera effective, et que les coûts de transport seront assez faibles pour permettre le transfert d'importantes quantités de produits  d'un continent  à l'autre... 

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