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L'Europe est-elle prête à se lancer dans un nouvel approfondissement de l'Union (ou François Hollande, Nicolas Sarkozy et les autres parlent-ils dans le vide) ?
©Reuters

Métamorphose

Alors que ce week-end Nicolas Sarkozy s'interrogeait sur les moyens permettant de pérenniser la zone euro, François Hollande, dans une tribune publiée par le Journal du Dimanche, affirmait que la France était prête à participer à une organisation conjointe renforcée de la zone euro. La crise grecque semble avoir mobilisé les politiques autour de l'Union européenne, en perpétuelle construction.

Ulrike Guérot

Ulrike Guérot

Ulrike Guérot est l'ancienne directrice du bureau berlinois du Conseil européen des relations étrangères. Elle a travaillé pendant vingt ans dans des think-tanks européens et a enseigné en Europe et aux Etats-Unis. Elle est la fondatrice et directrice de l'European Democracy Lab à l'European School of Governance de Berlin.

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Pierre Verluise

Pierre Verluise

Docteur en géopolitique, Pierre Verluise est fondateur du premier site géopolitique francophone, Diploweb.com.

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Atlantico : A l’aune de la crise grecque, certaines insuffisances dans le fonctionnement de la zone euro ont été mises en lumière. Nicolas Sarkozy et François Hollande se sont exprimés à ce sujet ce week-end, défendant une coopération politique entre les pays dans la zone euro. Au-delà de l’Allemagne et de la France, d’autres pays seraient-ils susceptibles de soutenir ce projet ? Quid des citoyens européens, pourraient-ils épouser cette idée ?

Pierre Verluise : Les insuffisances de la zone euro sont consubstantielles de ce projet politique né pour tourner la page des malentendus franco-allemands au moment de l’unification de l’Allemagne (1989-1990). Ce n’est donc pas la crise grecque qui les a mis en évidence. 

En dépit de sa théâtralisation, la récente crise s’est terminée comme prévu. Premièrement l’euro survit. Deuxièmement les gouvernants se saisissent de l’aubaine de cette crise pour – une fois de plus – resserrer les boulons, c’est à dire les conditions de participation à la zone euro.

Il s’agit de glisser d’une faible gouvernance politique à une gouvernance économique – déjà bien engagée par le fédéralisme budgétaire injecté à la faveur de la crise – vers une gouvernance politique qui empêcherait les dérives qui mettent en danger l’ensemble. Cette idée de coopération politique est dans les tiroirs depuis longtemps, il ne faut pas en attendre d’effet "baguette magique" parce que ceux qui la promeuvent sont eux-mêmes plein de contradictions. Ils souhaitent céder le moins possible de souveraineté et gagner le plus possible d’espoirs d’amélioration du fonctionnement d’un système initialement mal conçu. Les pays qui tiennent à l’euro comme élément de puissance et de garantie pourraient se retrouver dans ce projet.

Les citoyens, malmenés par les chocs émotionnels des crises à répétitions sont évidemment bien en peine de trancher. D’ailleurs, personne ne le leur demande vraiment. Une des fonctions de ces crises est de faire avaler la potion d’un resserrement des conditions.

Ulrike Guérot : C’est très bien qu’on arrive sur le débat d’une union politique ou économique… La dénomination change selon les uns et les autres, les Allemands parlent d’union politique, les Français d’un gouvernement économique, mais dans le fond ils parlent de la même chose. Je voudrais d’abord souligner que l’on découvre cette nécessité 5 ans après la crise. On le savait dès 1992 avec le Traité de Maastricht. Deux conférences gouvernementales étaient au programme : la première sur l’union monétaire, la seconde sur l’union politique. On a trainé des pieds pour organiser cette dernière.
Qu’il ait fallu de tels déchirements au sein de l’Europe tel que celui de la Grèce pour enfin se souvenir qu’en 92 on a voulu faire quelque chose d’autre, cela est regrettable.  Cette idée ne tombe donc pas du ciel, ce n’est pas une proposition de François Hollande ou Nicolas Sarkozy, ce projet était dans les tiroirs depuis les années 90.

Plusieurs récents articles ont proposé ce que Hollande a présenté, en Allemagne notamment dès 2013 avec là aussi l’idée d’un budget européen spécifique, un gouvernement de la zone euro. En 2014 des Français ont répondu à ces propositions, tout en restant dans la même ligne. Il est heureux de voir des hommes politiques reprendre ces pistes aujourd’hui, et ce, même avec un certain délai. Cela ne se limite pas à l’Allemagne et à la France. Avant le début de cette escalade dans la crise grecque, d’autres pays que l’on observe un peu moins ont aussi formulé des propositions. C’est le cas de l’Espagne avec un document produit par le ministère des Finances du pays. En effet, il faut avoir une autre gouvernance de la zone euro, un budget commun d’au moins 3-4% de budget pour la zone euro et à administrer en commun, une assurance de chômage à l’échelle européenne est peut-être aussi une idée à creuser, un autre contrôle parlementaire pour ça… Toutes ces possibilités sont dans cet article espagnol. La France semble vouloir mettre en exergue ces propositions en les rendant publiques, contrairement, à ma grande surprise, aux Allemands encore discrets (même chez les sociaux-démocrates, les Verts etc.).

Quant aux citoyens européens, ils ont d’après moi soif d’une Europe politique et ils sont lassés de voir des politiques sur le plan national qui sont incapables ou qui n’ont pas la volonté de le faire. A Prague, Munich ou Bordeaux, j’observe une espèce d’émancipation politique des citoyens européens qui dans leur grande majorité sont européens et veulent une Europe différente. Le problème c’est que cette Europe n’est pas proposée dans les offres politiques. Or, l’Europe ne peut pas fonctionner ainsi. Les citoyens ne souhaitent pas plus ou moins d’Europe comme semblent le proposer les partis politiques, les citoyens veulent une Europe mais pas celle-ci. 

L’idée d’un leadership franco-allemand revient régulièrement à l’ordre du jour. Ainsi, ce week-end, Nicolas Sarkozy a insisté sur l’importance de "rapprocher nos économies, avec un leadership franco-allemand à la tête de l'Eurogroupe". Dans quelle mesure les autres pays européens accepteraient-ils cette configuration ? Les Français et Allemands ont-ils suffisamment d’intérêts communs afin de se mettre d’accord sur la nature de la politique économique à mener ?

Pierre Verluise : L’idée d’un moteur franco-allemand est ancienne. Elle a connu des hauts et des bas, mais force est de constater que peu de dossiers avancent quand la France et l’Allemagne décident de s’y opposer ensemble. A l’inverse, lorsque Paris et Berlin s’accordent, un dossier peut être débloqué, avec l’accord implicite ou explicite des autres partenaires qui obtiennent à la marge des compromis en échange de leur vote. Pour autant, les autres pays membres sont plein d’ambivalence : en cas de nécessité extrême, ils sont heureux de voir la France et l’Allemagne "mouiller la chemise" ; mais le reste du temps, ils tempêtent volontiers contre toute velléité de mainmise franco-allemande sur l’UE.

Les économies française et allemande sont bien différentes, cela a été démontré cent fois. Les mesures qui profitent à l’une ne sont pas nécessairement bénéfiques à l’autre.

Pour autant, les Français et les Allemands peuvent dans un esprit constructif distinguer des décisions plus ou moins favorables à ces deux pays voire à l’ensemble des pays de la zone euro. Le grand sujet reste sa compétitivité. Ce sujet est central et le restera. Il peut se détailler de bien des manières.

Ulrike Guérot : D’abord, Nicolas Sarkozy n’était pas le meilleur défenseur du projet européen ni un grand disciple du franco-allemand quand il était à la tête de la France. Néanmoins je me laisse toujours surprendre par le meilleur ! Je ne suis pas contre le tandem franco-allemand, je ne vous dirai donc pas que le duo ne fonctionne pas. Mais il faut aller au-delà de ce couple, et ce, même s’il peut apporter un certain dynamisme et être en tête du peloton. Cela est impératif si l’on veut se diriger vers une union politique, une démocratisation, une émancipation du politique et du social, voire, une républicanisation de l’Union européenne. Le tandem franco-allemand ne peut pas tout régler. Il est clair que si la France et l’Allemagne bougent, les chances que les autres pays bougent sont infiniment plus grandes. 

Dans une tribune publiée par le Journal du Dimanche, reprenant une idée de Jacques Delors, François Hollande propose un gouvernement de la zone euro ainsi qu’un budget spécifique et également "un Parlement pour en assurer le contrôle démocratique". La création de nouvelles institutions est-elle nécessaire ou les instances actuelles sont-elles suffisantes ?

Pierre Verluise : Il s’agit d’habiller un glissement vers une plus grande coopération politique de la zone euro. Les dirigeants savent pertinemment que depuis les années 1950 la construction européenne se construit avec un véritable déficit démocratique – longtemps politiquement incorrect, notoire depuis le traité de Nice (2000) qui a prévu pour cela la Convention pour le projet de traité Constitutionnel. Il faut donc habiller, "légitimer" cette évolution de la nature de la construction européenne par une nouvelle institution. D’autant que zone euro et Union européenne ne coïncident pas géographiquement, dès lors le Parlement de l’UE n’est pas nécessairement adapté. Dans cette perspective, il faut donc "légitimer" le glissement par une institution idoine. Pour mémoire, je rappelle que les quatre derniers parlements européens ont été élus avec moins de 50% de participation… Dès lors, bien malin qui peut assurer qu’une énième institution ferait mieux et ajouterait de la lisibilité. Mais serait-ce vraiment sa fonction ?

Ce projet d'approfondissement de la zone euro a-t-il des chances de voir le jour ? Si un pas en avant était fait, quel visage pourrait prendre cette Union européenne "améliorée" ?

Pierre Verluise : Il semble envisageable que certains dirigeants cherchent à resserrer les conditions de participation à la zone euro. Quand on considère l’imbroglio grec, cela ne semble pas incohérent. Quand on considère le vaste monde et l’amenuisement du poids relatif de l’Union européenne et de la zone euro, comment imaginer que le laxisme, la facilité et la démagogie soient les solutions ? Reste à savoir comment fabriquer dans la rigueur une croissance à la fois durable et inclusive. 

Ulrike Guérot : Le diagnostic qui est fait aujourd'hui était déjà le même en 1992, mais comme le traité d'Amsterdam n'avait pas pu voir le jour dans son contenu originel, la réponse apportée alors s'est montrée trop diluée. Le député européen Jean-Louis Bourlanges m'avait dit à l'époque que le traité d'Amsterdam, pouvait s'apparenter à une injonction de dessiner un mouton mais avec une vache comme modèle, une Europe politique sans les moyens qui allaient avec. 

La crise que nous venons de vivre a donc révélé ces dysfonctionnements, elle est de ce point de vue bénéfique. Et c'était d'ailleurs le programme de Syriza qui voulait réformer son pays, mais que également que ces dernières s'accompagnent d'un changement de l'Europe en profondeur. Si l'on s'inspire de Michel Foucault l'ordre du savoir chez les Allemands consistait à dire que la zone euro était une zone économique optimale, mais que la Grèce était un problème. Aujourd'hui, Alexis Tsipras a réussi à attirer l'attention des Allemands sur plusieurs points comme le manque d'harmonisation budgétaire et fiscale en Europe, sur le fait que la BCE n'est pas dans son rôle lorsqu'elle se limite à juguler l'inflation, ainsi que sur les asymétries macro-économiques entre les différents pays. 

Politiquement, on ne parle que des déficits publics, mais on ne regarde jamais qui profite des marchés... Car c'est bien l'Allemagne. On ne parle que de la socialisation des pertes, mais jamais des gains. 

Est-ce qu'on a plus de chances aujourd'hui ? Peut-être... Mais il est peut-être aussi trop tard. Bien que le besoin d'une autre Europe soit palpable, que ce soit en France ou en Allemagne, les débats sur l'Europe ont été empoisonnés par les réponses simplistes apportées par les populistes, qui ont pu tirer les marrons du feu du manque de courage et de volonté des gouvernants depuis 15 ans. L’Europe politique et sociale doit se concrétiser. L’objectif est donc de construire le projet d’une union politique autour des citoyens de la zone euro. Nous deviendrons alors les citoyens d’une République européenne. Autre élément indispensable, une démocratie au niveau de la zone euro à la Montesquieu avec une division du pouvoir, c’est-à-dire un pouvoir législatif contrôlant l’exécutif. Cela passe par une constituante, des citoyens européens, décidant de vivre demain dans une démocratie. Il faut se lancer dans un travail intellectuel profond sans constamment sortir les recettes d’hier.

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