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Les primaires, le contraire de nos institutions ? Pourquoi François Bayrou pourrait bien avoir raison
©Reuters

Fausse bonne idée

Dans une interview publiée par le Journal du Dimanche le 18 juillet, François Bayrou se montre particulièrement critique à l'égard des primaires en politique qui séduit aussi bien le PS que Les Républicains. En effet ce système de sélection n'est pas toujours bénéfique pour la vie politique française.

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : François Bayrou, dans un entretien accordé au Journal du Dimanche, a déclaré redouter le mécanisme des primaires. D'après lui, "c'est le contraire de nos institutions". Pourquoi cela ? Quels sont les défauts des primaires en politique ?

Jean Petaux : Le discours et les prises de position des acteurs politiques sur les primaires sont, plus que toute autre question politique, essentiellement dictés par leur propre situation (ou par celle de leur favori) dans la course. Dit autrement : ils y sont favorables tant qu’ils pensent l’emporter. Ce n’est pas très « sport » comme attitude mais cela peut parfaitement s’entendre. Plusieurs exemples le montrent.

Au PS d’abord. Les primaires ouvertes, telles qu’elles ont fonctionné à l’automne 2011 ont pu se dérouler parce que le parti avait encore en mémoire l’énorme tricherie du congrès de Reims qui avait vu s’affronter Martine Aubry et Ségolène Royal et qu’il fallait sortir de ce duel dans un « champ-clos ». S’il était clair (surtout après le Sofitel de New-York) que deux ou trois personnalités étaient en mesure de l’emporter (Hollande, Aubry ou Royal, dans une moindre mesure) tous ceux qui se sont alignés au départ de ces primaires avaient une raison d’y aller, quelque chose à y gagner… Ce n’est donc pas du tout par volonté d’élargissement démocratique que cette pratique a été mise en place. C’est essentiellement pour trouver de nouvelles ressources dans la compétition interne.

L’UMP, devenue LR, tout aussi empreinte que le PS de la guerre des chefs et des clans après la pantalonnade Fillon-Copé n’a pas eu non plus d’autre voie de sortie que celle des « primaires ouvertes ». Mais on a bien vu (et on voit encore) comment Nicolas Sarkozy fait tout pour les saborder, les faire imploser et les réduire à une consultation minimalement ouverte aux sympathisants les plus mobilisés, voire réduits dans leur masse, aux militants et à leurs proches… Autrement dit à ceux qui sont réputés voter pour lui et pas pour Alain Juppé. Donc les primaires répondent à une autre utilité que celle qu’elles sont censées remplir : elles camouflent, pour les partis politiques, un état de délabrement interne avancé.

Mais au-delà de cela, et sur ce point François Bayrou a parfaitement raison, elles sont totalement hétérodoxes par rapport à la lettre des institutions de la Vème République. Il n’y a pas de primaires prévues dans la constitution de 1958 (modifiée 1962 avec l’élection du PR au suffrage universel) tout simplement parce qu’il y a deux tours. Le premier tour doit servir de primaire et le second est conçu pour choisir. Premier tour présidentiel synonyme de primaire à droite et au centre-droit : les duels Pompidou – Poher en 1969 ; Chaban – Giscard en 1974 ;  Giscard –Chirac en 1981 ; Chirac –Barre en 1988 ; Chirac –Balladur en 1995. Même chose à gauche,  dans une moindre mesure, quand s’affrontèrent Defferre (NPS), Duclos (PCF) et Rocard (PSU) en 1969 ; Mitterrand et Marchais en 1981 ou encore Jospin (PS) et Hue (PCF) en 1995. Seulement en 2002 « c’est le drame »… La classe politique française découvre que l’équation « au premier tour on choisit, au second élimine » n’est plus possible parce qu’elle est soumise à l’hypothèque Front National. Rien d’extraordinaire à cela. La constitution du 4 octobre 1958 portait en elle une intention fondatrice : celle d’une bipolarisation de facto de l’expression politique française renforcée par la binarité de la pratique référendaire-plébiscitaire chère au général de Gaulle. On était « pour » ou « contre » lui ; « de son côté » ou dans le « camp d’en face ». Peu importe que ce camp soit divisé et morcelé, c’était « Lui face au reste du monde ». Il est clair que la présence d’un « tiers parti » comme le FN dans ce fonctionnement perturbe la totalité du jeu qui, de duel au second tour, prend l’aspect d’un triangle au premier. Autrement dit la présidentielle n’a plus qu’un tour (puisque les partis politiques autres que le FN et le FN lui-même considèrent que ce dernier est « quasi-qualifié » d’office pour le second tour). C’est cela qui a conduit à ajouter une compétition (les deux étages d’une sélection publique et ouverte propre à chaque grande formation politique dans l’opposition) en amont du premier tour. Nous voilà donc, de fait, avec 4 tours à affronter pour quiconque, au sein du parti de gouvernement dans l’opposition, souhaite entrer à l’Elysée… C’est totalement surréaliste et surtout ravageur pour tous les candidats sérieux. 
La solution est très simple pour éviter cette dérive et redonner tout son lustre et sa valeur à un second tour présidentiel où le choix démocratique doit s’exprimer : autoriser les trois candidats arrivés en tête au soir du premier tour à se présenter au second. Plus besoin d’organiser des primaires compliquées, susceptibles de tricheries et surtout pas si démocratiques que cela en amont du premier tour et surtout éviter, en changeant la « règle de qualification » que le FN ne vienne totalement fausser le jeu de la « phase finale » de la présidentielle. Pour cela il faut une réforme constitutionnelle. Elle n’est pas très compliquée à faire passer dans la mesure où tous les partis démocratiques et républicains y trouveront leur intérêt…

D'après le président du MoDem, les primaires "remettent le choix du candidat dans les mains d'un public engagé, militant, partisan, forcément plus virulent que la France réelle, peu en phase avec un candidat modéré et nuancé". Est-ce le cas ?

De la part de François Bayrou qui n’a jamais été embarrassé, au sein des différentes formations politiques qu’il a présidées et qu’il dirige encore, par les « aléas démocratiques » (normal quand on a connu dans sa vie politique que des partis de cadres à faible potentiel militant), le commentaire sur les qualités et caractéristiques du public engagé, militant et partisan est assez cocasse. Mais, pour autant là encore, son appréciation ne manque pas de justesse. Il est vrai que le « public » qui se déplace aux primaires est sans doute plus politisé que la grande masse des électeurs. Plus « politisé » cela ne veut pas forcément dire plus « excité » ou plus « virulent ». Cela peut tout simplement être le signe de l’expression d’une « culture politique » « participative » comme l’ont définie Almond et Verba. Que signifie d’ailleurs « être virulent » ? Pour paraphraser la définition de « l’alcoolique » : « celui qui boit comme toi mais que tu n’aimes pas »… ; le « virulent" serait celui qui défendrait ses convictions, qui ne seraient pas les tiennes, et qui les exprimerait sans faillir… En tout état de cause, sur une échelle de « virulence » (qui ne veut pas dire grand-chose…), il est probable que le « sympathisant » soit plus nuancé que le « militant » ardent et adhérent…  Pour au moins deux raisons. La première c’est qu’un militant est acculturé à la compétition politique interne d’abord (au sein des clans et factions qui s’affrontent dans l’organisation) et développe très vite un surmoi manichéen qui n’incline pas à la nuance. La seconde veut qu’un sympathisant est soumis à des influences extérieures à sa « famille politique » de référence qui fonctionnent comme autant de forces centrifuges et l’éloignent du simplisme.

Finalement, le candidat « modéré et nuancé » auquel pense François Bayrou, en regardant derrière l’épaule d’Alain Juppé, qu’il pense condamné par Nicolas Sarkozy (d’une manière ou d’une autre) c’est bien lui évidemment. Et pour ce qui le concerne, la notion de primaire n’existe naturellement pas, qu’elle soit ouverte ou fermée. Il se présentera, si Alain Juppé est battu lors de la primaire et choisit de ne pas se présenter à la présidentielle (ce qui reste à voir…) et fera en sorte de faire battre Nicolas Sarkozy…

Dans quelle mesure les scores obtenus par les politiques lors des primaires ont une influence sur la vie politique et les partis notamment le parti au pouvoir ?

Votre question est essentielle car elle touche à l’une des raisons premières de la création des primaires. Je l’ai déjà dit : tout candidat aux primaires à quelque chose à gagner. D’abord parce qu’il prend la lumière. Il s’expose et peut exposer ses idées. Quatre exemples le montrent aisément.

En 2011, Manuel Valls sait qu’il ne sera certainement pas qualifié pour le second tour des « primaires citoyennes » de l’automne. Peu lui chaut. Il sait aussi qu’il se ralliera à François Hollande et que fort de ses modestes 5% il se distinguera de toutes celles et tous ceux qui ne sont pas entrés dans la compétition. Dès le soir du premier tour il annonce qu’il choisit Hollande, et dès le lundi matin, lendemain du second tour des primaires, il prend en main la communication du candidat présidentiel… La suite on la connait : l’Intérieur et Matignon ! Si tous les investissements promus par les Socialistes connaissaient un tel sort, la croissance du PIB serait à…. deux chiffres !

Lors de ces mêmes « primaires citoyennes » Jean-Michel Baylet est candidat…. Il n’a pas grand-chose à proposer. Il fait plutôt rigoler avec son accent du Tarn-et-Garonne. Il représente une France des vacances, du soleil, du foie gras et du cassoulet radical-socialiste… Sa candidature semble totalement dénuée d’intérêt mais en même temps elle a une double fonction : elle interdit à Christiane Taubira (ou à quelqu’un d’autre) de refaire le coup de 2002 en se présentant et en torpillant la candidature de Lionel Jospin et elle permet aux Radicaux de Gauche se s’asseoir à la table de la répartition des maroquins après le 6 mai 2012, après la victoire de François Hollande donc.

Troisième exemple : Bruno Le Maire apparaît comme l’une des clefs du second tour de la primaire « Républicaine » qui doit être organisée les 20 et 27 novembre 2016. Il est, en quelque sorte, dans la peau d’un Montebourg. Avec une ambition sans doute supérieure (si cela est possible… mais en politique tout est possible…) : non pas un « grand ministère économique » mais Matignon. Autrement dit plus il sera fort au sortir du premier tour de la primaire, plus il sera en position de négocier son ralliement à Sarkozy ou à Juppé. Et même s’il ne se présente pas, in fine, son choix ex-ante aura été marchandé avec l’un des deux poids lourds.

Dernier exemple, encore à droite. C’est le cas plus original de François Fillon. Celui-ci, d’une certaine façon, se place hors des primaires. Son cas est atypique mais il montre, en creux, toute leur importance désormais. Fillon pousse sa charrue et trace son sillon comme un paysan de la Sarthe avec un programme dont personne ne parle et qui est trop réfléchit et trop pensé pour être audible. Il est donc, de fait, « hors-jeu » dans les « tours de chauffe » « pré-primaires » mais il peut se livrer à cet exercice solitaire grâce au principe même des primaires. Et, dans la complexité de la configuration qui sera celle de la droite en 2016, s’il se rallie à Alain Juppé par pur rejet de Nicolas Sarkozy, il le fera aussi grâce aux primaires dont la scène lui aura permis d’exister tout simplement.

Pourquoi les partis politiques (PS, Républicains) semblent séduits par ce mode de sélection ? 

Pour les mêmes raisons que pour les candidats eux-mêmes. Elles leur permettent de prendre la lumière, d’occuper les plateaux des chaines d’information en continu et ainsi, par effet de saturation, de réduire au silence le camp d’en face. Entre septembre et novembre 2011 l’UMP et l’UDI ont été quasiment absentes des écrans radars médiatiques tellement les caméras étaient braquées sur le PS et sa compétition « interne ». Une autre raison, je l’ai dit, c’est que dans une phase de grande décrue militante, les primaires consistent à décentrer la scène politique. Les partis, confronté à une crise majeure de l’adhésion, trouvent dans les primaires une nouvelle forme de mobilisation. Ils l’appellent « citoyenne » parce que cela fait « démocratique », « républicain » et surtout à la mode dans un temps où il est de bon ton de donner la parole au plus grand nombre… Ce dispositif tient plutôt d’une pratique de déni : paralysés dans leur fonctionnement organisationnel, vieilles institutions encalminées dans le « pot-au-noir » de la disparition du projet politique, profondément divisés par les guerres intestines et les luttes de clans, les partis politiques ne fonctionnent plus du tout et ne sont même plus capables d’assurer deux fonctions essentielles : sélectionner les candidats pour qu’existe la démocratie représentative et aider à la tenue des bureaux de vote les jours d’élection. C’est alors qu’apparaissent les primaires…

J’aurais tendance à considérer que la primaire (télévisée) tient aussi de la télé-réalité… C’est « The Voice » en politique… Vous avez aimé « Nico » tapez 1, vous préférez « Alain » tapez 2… On y viendra assez vite…

Les primaires ont-elles un effet ensuite sur l'abstention lors des élections présidentielles par exemple ?

Il est sans doute trop tôt pour le dire. Finalement nous n’avons qu’un véritable cas qui a fonctionné avec 3 millions de participants, celui des « primaires citoyennes » du PS et de ses alliés à l’automne 2011. Est-ce que cela a apporté une participation supérieure à celle qui aurait eu lieu aux deux tours de la présidentielle de 2012 ? Aucun sondage, à ma connaissance, n’a posé explicitement la question. On peut considérer que celui ou celle qui a fait la démarche de voter aux primaires de 2011 était suffisamment « politisé » pour avoir eu envie de participer à la « grande élection », celle d’avril-mai 2012… En conséquence de quoi la primaire n’a pas eu d’effet mobilisateur pour la présidentielle. On peut aussi considérer que celui ou celle qui, s’étant déplacé pour choisir entre Hollande, Aubry et les autres, n’a pas vu sa championne ou son champion qualifié au sortir des primaires, en ait conçu un certain dépit l’amenant à s’abstenir à la présidentielle de 2012. Mais cette option est peu vraisemblable. Tant l’envie de rejeter Nicolas Sarkozy était forte dans la majorité de l’électorat… Il est aisé de constater, peu ou prou, que la présidentielle de 2012 a rassemblé le même nombre d’électeurs que les dernières éditions, primaires ou pas… J’ai donc tendance à considérer que les primaires n’ont pas d’incidence marquante sur le taux d’abstention mesuré lors de l’élection présidentielle qui les suit.

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