La Corée du Nord ou l’empire de la provocation : la stratégie de Kim Jong-un derrière sa fausse bourde sur ses usines à anthrax<!-- --> | Atlantico.fr
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Kim Jong-un.
Kim Jong-un.
©Reuters

Machine de guerre

Le régime de Pyongyang fait encore parler de lui. A l'origine, des rumeurs annonçant sa possible production d'armes chimiques alors que le régime n'a pourtant pas les possibilité légales de se procurer les composantes chimiques nécessaires à leur fabrication...

Barthélémy Courmont

Barthélémy Courmont

Barthélémy Courmont est enseignant-chercheur à l'Université catholique de Lille où il dirige le Master Histoire - Relations internationales. Il est également directeur de recherche à l'IRIS, responsable du programme Asie-Pacifique et co-rédacteur en chef d'Asia Focus. Il est l'auteur de nombreux ouvrages sur les quetsions asiatiques contemporaines. Barthélémy Courmont (@BartCourmont) / Twitter 

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Atlantico : Le régime de Kim Jung-un a récemment été accusé de développer des armes chimiques. Que sait-on de la véracité de cette accusation ? 

Barthélémy Courmont : Ce n’est pas la première fois que la Corée du Nord est accusée de détenir des armes chimiques. Dès 1954, soit immédiatement après la fin de la guerre de Corée, l’Union soviétique et la Chine transférèrent des armes chimiques au régime de Kim Il-sung, sans doute en préparation d’une nouvelle offensive qui n’eut finalement jamais lieu.

On estime par ailleurs que le régime est capable, depuis la fin des années 1980, de produire ses propres armes chimiques. Cette période coïncide avec la fin de la Guerre froide, et le développement de capacités balistiques permettant a priori à la Corée du Nord de frapper sur son voisin sud-coréen, mais aussi sur le Japon.

Les accusations actuelles sont dès lors à relativiser, en ce qu’elles ne constituent pas un évènement ou une révélation concernant ce pays. Elles s’ajoutent cependant aux multiples critiques formulées par Séoul et Washington, et si ces accusations sont avérées, elles n’apportent cependant rien de nouveau. La preuve de ces accusations réside dans plusieurs photos sur lesquelles figurent les produits chimiques.

Le régime dictatorial avait-il l'intention d'être pris en flagrant délit ou est-ce une erreur de sa part ? Si c'était intentionnel, quel en est le sens ? 

On peut en effet s’interroger sur une stratégie visant à provoquer des fuites apportant la preuve que le régime possède des armes chimiques. Ce ne serait d’ailleurs pas la première fois que Pyongyang procèderait de la sorte.

Ses activités nucléaires, maintenues opaques, furent systématiquement annoncées par le biais d’informations que le régime a volontairement laissé filer, afin de faire savoir à ses adversaires l’étendue de ses capacités. C’est un moyen assez habile pour se rappeler au bon souvenir de ses ennemis, et c’est sur cette stratégie du pire, qui s’accompagne de pressions, voire de marchandage, que Pyongyang a basé sa survie dans un contexte post-Guerre froide.

Pour cette raison, il ne serait pas surprenant que ces fuites soient intentionnelles et, de bout en bout, manipulées par le régime, comme une mise en scène de ce qu’il est capable de faire.

La Corée du Nord a expliqué qu'elle se sentait menacée par la Corée du Sud qui développait, elle aussi, de l’anthrax en tant qu'arme chimique. S'agit-il donc d'une vraie menace de la part de la dictature ou d'une énième provocation ?

C’est évidemment une provocation. Comment peut-on imaginer un pays comme la Corée du Sud, Etat démocratique membre du G20, se lancer dans une attaque à l’aide d’armes chimiques, et se mettre ainsi au ban de la communauté internationale ? Cette rhétorique est dans la lignée des justifications dont le régime est coutumier, et des provocations qu’il pratique à l’égard de son voisin.

Quant à la question de savoir s’il s’agit d’une menace, il convient bien sûr de rappeler que toute arme de destruction massive entre les mains d’un régime de ce type est en soi une menace. Mais à quel niveau, et à quelles fins ? Gageons que le risque d’utilisation d’armes chimiques par la Corée du Nord reste, à l’exception d’une situation dans lequel le régime serait poussé à bout, assez limité.

Si le simple but du régime de Pyongyang est de faire peur, en quoi cette affaire se distingue-t-elle des autres manipulations que le régime a pu mettre au point ?

En fait, il n’y a pas de différence fondamentale, c’est juste un argument de plus sur lequel Pyongyang va désormais s’appuyer pour alimenter sa stratégie de chantage.

C’est une stratégie qui fonctionne : le régime est toujours en place, il maintient ses capacités nucléaires, et en plus il obtient des gages de la part de pays qu’il place constamment sous sa menace. Il serait d’une certaine manière absurde de la part de Kim Jong-un de changer une recette qui marche.

Enfin, les autorités américaines souhaiteraient voir le régime jugé pour crimes contre l'humanité puisqu'il est suspecté d'avoir testé ces armes sur ses concitoyens. Que doit-on penser de cette nouvelle accusation ? Est-ce fondé ?

D’abord, il convient de noter que ces accusations ne sont pas nouvelles, et se sont simplement intensifiées depuis 2013, en marge de révélations selon lesquelles le régime nord-coréen aurait testé des armes chimiques contre les prisonniers politiques dans les camps de travail que compte le pays.

Difficile de savoir si cette accusation est fondée, les informations en provenance des camps de travail nord-coréens étant très maigres, et souvent exposées à la manipulation de Pyongyang. Quant au souhait exprimé par Washington de voir le régime jugé, disons qu’au-delà de l’inutilité d’une telle déclaration, qui revient à hurler face au vent, elle ne contribue pas au réchauffement des relations avec Pyongyang, et en ce sens ne fait que servir la stratégie du pire du régime nord-coréen.

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