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Punie par excès d'orgueil : pourquoi la Chine paie le prix de la bulle boursière qu’elle avait alimentée
©Reuters

Fierté mal placée

Pour la première fois, la Chine est punie pour son excès d'orgueil. Désireuse de rattraper et dépasser les Etats-Unis lors des négociations d'octobre 2015 au FMI, la Chine a orchestré une gonfle artificielle de sa bourse... et provoqué le crash qu'on connait depuis le 12 juin.

Antoine Brunet

Antoine Brunet

Antoine Brunet est économiste et président d’AB Marchés.

Il est l'auteur de La visée hégémonique de la Chine (avec Jean-Paul Guichard, L’Harmattan, 2011).

 

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Atlantico : Comment expliquer la bulle qui s’était formée  sur les bourses chinoises  entre juillet 2014 et juin 2015 ?

Antoine Brunet : Effectivement, on a assisté sur les marchés chinois à la formation d’une bulle boursière tout à fait exceptionnelle entre juillet 2014 et juin 2015. L’indice Shanghai Composite, le principal indice boursier de la Chine continentale est passé entre ces deux dates de 2.000 à 5.100, soit une hausse de +150% en un peu moins d’un an. Il faut remonter à la trop fameuse bulle boursière de 1928/1929 sur le marché américain pour trouver une évolution aussi folle sur un grand marché boursier.

La hausse des profits au cours de la même période était insignifiante par rapport à la hausse des indices boursiers. Au pic atteint par l’indice Shanghai Composite le 12 juin, on estimait qu’en moyenne le cours des actions représentait 60 fois leur résultat annuel (Price/Earning Ratio à 60), ce qui était un indice majeur de la surévaluation atteinte par les bourses chinoises.

Dans le même temps, d’autres indications attestaient qu’une bulle boursière géante était en cours de formation.. Le nombre de courtiers en bourse augmentait spectaculairement. Le nombre de particuliers chinois ayant ouvert des comptes chez ces courtiers augmentait lui aussi spectaculairement pour atteindre 80 millions (on estime que le nombre d’adhérents au Parti Communiste Chinois est lui aussi autour de 80 millions).

Par ailleurs ces particuliers avaient la possibilité et ne se privaient pas d’emprunter à grande échelle auprès de ces courtiers pour financer leurs achats d’actions (pratique dite du « margin lending » très développée aux Etats-Unis avant 1929 et depuis lors, très stigmatisée par les autorités de contrôle boursier aux Etats-Unis) en espérant que leurs plus-values boursières excèderaient largement le coût de leurs emprunts. Ces achats boursiers sur emprunts se sont développés exponentiellement, en parallèle à la progression elle-même exponentielle des indices boursiers. A compter du printemps 2015 et jusqu’au 12 juin, on était en Chine dans une configuration psychologique folle où la hausse antérieure des indices bousiers alimentait et accentuait la hausse ultérieure.

Pour que de telles évolutions aussi ahurissantes aient pu prendre place en Chine, un pays qui est gouverné et qui est contrôlé d’une main de fer par le Parti Communiste Chinois (PCC) depuis 1949, on est obligé de conclure que le PCC ne s’est pas simplement contenté de laisser faire mais qu’il a en réalité encouragé et impulsé la formation de cette bulle boursière dont il espérait sans doute qu’elle n’éclaterait qu’après 2015.

Pourquoi Pékin et Xi Jinping se sont-ils montrés si ardents à faire grimper les indices boursiers chinois ?

L’explication essentielle, c’est que depuis au moins deux ans, Pékin prépare avec beaucoup d’activisme l’échéance diplomatique majeure que constitue le rendez-vous d’octobre 2015 au FMI.

A cette date, le FMI doit impérativement statuer sur la révision quinquennale de la définition et de la composition du DTS (droit de Tirage Spécial, la monnaie du FMI). Pékin espère, grâce à sa montée en puissance et grâce à une action diplomatique intense, que sa monnaie, le yuan, soit admise à définir le nouveau DTS aux côtés des quatre monnaies qui y sont actuellement présentes - le dollar, l’euro, le yen et le sterling.

Pékin a par ailleurs réussi à inscrire à l’agenda d’octobre du FMI une réforme du système monétaire international qui vise à déboulonner le dollar monnaie du monde par le DTS monnaie du monde (première étape dans l’esprit de Pékin avant une deuxième étape qu’il a programmée, le remplacement du DTS par le yuan comme monnaie du monde).

Enfin, les réunions d’octobre du FMI vont devoir statuer sur une augmentation, devenue indispensable et urgente du capital du FMI. A cette occasion, Pékin entend bien obtenir une nouvelle répartition du capital en sa faveur et au détriment des Etats-Unis (y compris si possible retirer à cette occasion le droit de veto dont disposent encore les Etats-Unis au sein du FMI).

Face à tous ces enjeux, il ne suffisait pas pour Pékin de dénigrer les Etats-Unis pour leur recours pendant presque six ans au quantitative easing et pour le maintien du taux de la Fed à zéro depuis fin 2008.

Il fallait aussi que Pékin satisfasse une exigence de la communauté internationale, celle d’ouvrir son marché de capitaux aux investisseurs étrangers, y compris son marché boursier. C’est ainsi qu’à l’automne 2014, Pékin leur annonça que le marché de Chine continentale leur devenait accessible à travers la place de Hong Kong.

Aux yeux de Pékin, cette quasi-immersion soudaine du marché de Shanghai dans le marché boursier mondial présentait un risque : que les investisseurs chinois en profitent pour sortir du marché de Shanghai et que cela n’induise un krach boursier en Chine continentale au moment où il était au contraire essentiel pour les raisons diplomatiques déjà mentionnées, de faire reluire une économie chinoise en pleine santé……

C’est ainsi que l’on vit s’amorcer une politique ahurissante du Parti Communiste Chinois (et de l’Etat chinois avec lequel il est fusionné) ; cette politique consistait à utiliser les énormes moyens de propagande et d’influence dont il dispose pour convaincre la fraction la plus riche de la société chinoise de venir acheter toujours plus d’actions de sociétés de Chine continentale en sorte d’assurer que les indices boursiers ne reculent pas et si possible progressent.

Des pratiques jugées dangereuses par la plupart des experts financiers internationaux furent alors réactivées à grande échelle par le pouvoir communiste, en particulier la pratique du margin lending déjà évoquée.

Une fois que « la mayonnaise de la hausse » eut commencé à prendre, on assista, dans cette bulle orchestrée par le PCC comme dans les bulles boursières d’autres pays, à une dynamique psychologique par laquelle la hausse alimentait la hausse.

Le PCC s’en réjouissait parce que cela lui induisait à court terme toutes sortes d’avantages collatéraux :

1)     A un moment où les banques chinoises, affaiblies par le krach immobilier, étaient réticentes à prêter aux entreprises, celles-ci pouvaient pratiquer des augmentations de capital ou des IPO qui leur permettaient de lever l’argent fais qui leur était nécessaire.

2)     Le nombre d’actions en circulation augmentait en parallèle de la hausse du cours des actions, induisant une formidable progression de la capitalisation boursière de la Chine : le 12 juin 2015, celle-ci atteignait 40% de la capitalisation boursière américaine contre seulement 18% un an auparavant. Formidable opportunité pour faire reluire encore plus l’économie chinoise en comparaison avec l’économie américaine.

3)     La bulle boursière présentait aussi l’avantage aux yeux de Pékin de compenser le krach immobilier des dernières années. Les membres du PCC (c’est-à-dire les membres de la classe dirigeante) qui avaient perdu beaucoup d’argent sur l’immobilier trouvaient une formidable opportunité de s’enrichir à nouveau en jouant le jeu boursier que les dirigeants du PCC les invitaient à jouer.

Pourquoi et comment les places boursières chinoises ont-elles subi un krach retentissant depuis le 12 juin 2015 ?

Le PCC en invitant ses membres et plus généralement les riches chinois à participer à la grande bulle boursière qu’il orchestrait jouait à son insu les apprentis sorciers. La dynamique haussière sur le marché de Shanghai finissait par échapper à son contrôle. Un PER qui atteignait 60 aux alentours du 12 juin lui criait « casse-cou ».

C’est ainsi que le PCC commença à vouloir ralentir la hausse sans toutefois la casser. Pékin détestait l’idée d’un krach boursier avant l’échéance d’octobre 2015 déjà mentionnée.

De premières mesurettes s’avérant insuffisantes à ralentir la hausse, Pékin pratiqua l’escalade en instaurant des limitations significatives au » margin lending » évoqué. C’est cette mesure qui brutalement effraya les courtiers et les investisseurs chinois : sans la drogue pour la bourse chinoise des achats d’actions à crédit, la bourse chinoise devenue très chère, ne pouvait que se retourner.

Après être passé brutalement de 2000 à 5100 en 11 mois, l’indice de Shanghai redescendait encore plus brutalement, de 5100 à 3500 en 4 semaines. Environ 3000 milliards de dollars de la capitalisation boursière chinoise se sont ainsi évaporés en l’espace de 4 semaines, avec toutes les conséquences qui en découlent...

Quelle est maintenant l’attitude de Pékin face au krach boursier ?

Après avoir pris peur mi-juin que la dynamique haussière du marché de Shanghai n’échappe à son contrôle, Pékin et le PCC redoutent maintenant que la dynamique baissière n’échappe à son contrôle pour déterminer un krach boursier encore plus significatif que celui déjà intervenu.

Cela minerait beaucoup l’image du PCC dans la population chinoise et aussi l’image de la Chine dans les instances internationales. A ces deux égards, le PCC a décidé cette fois d’interrompre la dynamique baissière pour revenir à une dynamique haussière, en tout cas jusqu’à la fin des négociations FMI, c'est-à-dire jusque fin 2015.

Très vite, furent prises des mesures significatives en ce sens : baisse du taux d’intérêt de la banque centrale, abaissement des réserves obligatoires exigées des banques, suspension des introductions en bourse, promesse des 21 principales sociétés de courtage chinoises d’investir 19 milliards de dollars sur le marché chinois, abandon des limitations au « margin lending »,enveloppe de 40 milliards de dollars attribuée par la banque centrale pour financer les institutions qui accordent du margin lending.

Dans la panique baissière qui s’était emparée du marché chinois, toutes ces mesures majeures n’eurent qu’un impact dérisoire. Cela tendait même à déconsidérer le PCC aux yeux de sa population et à ridiculiser Pékin aux yeux de la communauté internationale. Toutes choses intolérables ;

C’est alors que Pékin a décidé de frapper très fort. Depuis mercredi 8 juillet, le PCC mobilise l’immense pouvoir régalien attaché à son modèle totalitaire pour renvoyer l’indice de Shanghai à la hausse. Du jamais vu à cette échelle dans l’histoire boursière mondiale. Plus fort encore que ce qu’avaient entrepris les autorités américaines pour conjurer leur krach boursier en 2008/2009. Des mesures encore plus exceptionnelles, encore plus arbitraires, encore plus discrétionnaires.

1)     Le Ministre de la Propagande a interdit à tous les medias de donner des commentaires négatifs sur les actions des sociétés chinoises, cela sous peine de punitions significatives.

2)     Les sociétés cotées en bourse se doivent de soutenir par tous les moyens leurs cours de bourse et doivent établir un rapport quotidien  aux autorités de contrôle sur les efforts qu’ils ont déployés en ce sens.

3)     Les investisseurs qui ont été vendeurs net d’actions depuis le 12 juin doivent acheter des actions pour l’équivalent de 10% du montant d’actions qu’ils ont vendu depuis le 12 juin.

4)     Les ventes à terme d’actions sont rigoureusement interdites et sont désormais punissables.

5)     Les actionnaires détenant plus de % du capital d’une société sont dans l’interdiction de vendre leurs actions.

6)     Etc Etc

Le catalogue est lourd et rugueux. Gageons que sous la menace d’une telle répression, les investisseurs chinois vont finir par redevenir acheteurs du marché de Shanghai. Il n’en demeure pas moins que la prétention de Pékin à disputer à Washington la capitale du capitalisme de marché s’en trouvera durablement affectée.

Propos recueillis par Vincent Nahan

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