L'EI a du gaz mais ne peut pas l'exploiter seul : qui osera y aller ?<!-- --> | Atlantico.fr
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L’Etat islamique a mis la main sur plusieurs gisements de gaz dans la région syrienne de Homs.
L’Etat islamique a mis la main sur plusieurs gisements de gaz dans la région syrienne de Homs.
©Reuters

Blood gas

L’année dernière, l’Etat islamique a mis la main sur plusieurs gisements de gaz dans la région syrienne de Homs, mais n'arrive pas à les exploiter faute de compétences techniques et d'acheteurs potentiels. Aucune grande société ne peut en effet envisager d’être impliquée dans des activités énergétiques en lien direct ou indirect avec Daech aujourd'hui.

Francis Perrin

Francis Perrin

Francis Perrin est directeur de recherche à l'Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS, Paris) et chercheur associé au Policy Center for the New South (PCNS, Rabat).

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Atlantico : Sait-on à combien s’élèvent aujourd’hui les réserves de gaz naturel dont dispose l’organisation terroriste ?

Francis Perrin : Non, pas de façon précise car la situation sur le terrain est mouvante et il est déjà arrivé qu’un gisement de gaz soit sous le contrôle de l’Etat islamique pendant quelques ou plusieurs mois avant que les forces gouvernementales ne reviennent en force. Mais, avec les récentes ‘’conquêtes’’ près de Palmyre et ce qu’il avait déjà acquis dans l’est de la Syrie et près de Homs, Daech contrôle aujourd’hui une bonne partie de la capacité théorique de production de gaz de la Syrie. Théorique parce qu’après plus de trois ans de conflit et compte tenu des sabotages, des sanctions économiques occidentales contre le régime et du départ des sociétés étrangères, nombre d’actifs énergétiques en Syrie sont dans un très mauvais état ou ne peuvent plus fonctionner pour diverses raisons.

On sait que l'Etat islamique remplit ses caisses en revendant aux Turcs du pétrole de contrebande qu’il extrait de son territoire. Quels sont aujourd’hui les obstacles, techniques ou autres, qui l’empêchent d’écouler ses réserves de gaz ?

Le pétrole et les produits raffinés sont un élément important dans les finances de l’Etat islamique mais ce n’est pas le seul (‘’taxes’’, rançons, extorsion, trafic des antiquités et objets d’art, etc.) et la chute des prix du pétrole depuis l’été 2014 ainsi que les frappes aériennes de la coalition dirigée par les Etats-Unis ont réduit leur importance. Mais il y a de grandes différences entre pétrole et produits pétroliers, d’un côté, et gaz naturel de l’autre. Le gaz est plus complexe à commercialiser alors que l’on trouve toujours des marchés pour des liquides à condition d’accepter de casser les prix autant que nécessaire. De plus, certains des champs gaziers contrôlés par Daech n’ont pas été développés. Ils ne sont donc pas producteurs et, donc, non générateurs de revenus. Une autre différence est qu’une partie du pétrole contrôlée par Daech est utilisé par ce groupe pour ses propres besoins, sous forme de carburants, et pour approvisionner les zones qu’il contrôle, ce qui n’est pas le cas pour le gaz. Le pétrole et les produits pétroliers sont donc beaucoup plus importants pour l’Etat islamique que le gaz naturel. Par contre, son contrôle de plusieurs gisements gaziers prouve que l’Etat syrien a perdu beaucoup de terrain, ce qui est ‘’intéressant’’ sur le plan de la propagande.

Aujourd’hui quels acteurs du marché énergétique sont susceptibles de s’intéresser à cette ressource ? Quels sont les obstacles qui les retiennent encore ?

Il y a effectivement des acheteurs pour le pétrole et les produits pétroliers et, malheureusement, il y en a toujours. En l’espèce, on en trouve en Turquie et dans certains pays du Proche/Moyen-Orient. Mais le pétrole est actuellement la seule énergie indispensable. Tout le monde en a besoin, notamment dans le secteur des transports. Le gaz ne bénéficie pas du même ‘’statut’’ sur la scène énergétique. De plus, aucun acteur important au sein des industries énergétiques ne peut s’intéresser au gaz syrien contrôlé par Daech.

Les grandes compagnies gazières comme Shell, Exxon ou Gazprom pourraient être très intéressées par ce juteux marché, sans pour autant être très regardantes sur la provenance du gaz. Peut-on imaginer, à termes et la situation se stabilisant, leur entrée sur ce marché ?

Non, c’est impensable. Aucune grande société ne peut envisager d’être impliquée dans des activités énergétiques en lien direct ou indirect avec Daech. Le coût politique et en termes d’image serait énorme et il y a des sanctions pénales à la clé. Et n’oublions pas que Daech n’est pas un grand acteur énergétique. Il n’a pas beaucoup de pétrole, et encore moins de gaz, à vendre. Les ‘’clients’’ de Daech pour les liquides ne sont absolument pas de grandes compagnies pétrolières internationales mais des trafiquants travaillant au niveau local, national ou régional. On est sur une petite échelle au regard des flux pétroliers et gaziers mondiaux, qui sont considérables. Mais le ‘’problème’’ du pétrole, c’est que cela rapporte beaucoup d’argent. Le fait que Daech soit un acteur énergétique tout à fait mineur en termes de production et de commercialisation ne l’empêche malheureusement pas d’avoir des poches bien garnies en termes financiers.

Enfin, il n’y a pas de pénurie de pétrole et de gaz à travers le monde, bien au contraire. Il y en a trop et c’est pour cela que les prix sont bas. Si vous êtes Shell, ExxonMobil, Gazprom, Total ou BP, etc., vous savez très bien où vous pouvez acheter légalement et tranquillement du pétrole et/ou du gaz en grandes quantités. Pour les géants de l’industrie pétrolière et gazière, Daech n’est pas et ne sera jamais une option.

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