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Qui déménage où ? Les surprises de la carte du nouveau visage de l’Europe des migrations et flux de population
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Grands déménagements

Alors que la question de l'immigration préoccupe la plupart des sociétés européennes, un institut allemand de recherche sur l'urbanisme (BBSR) a dévoilé sa carte d'une rare précision, résultat d'une collecte de données publiées par tous les municipalités d'Europe sur la démographie.

Gérard-François Dumont

Gérard-François Dumont

Gérard-François Dumont est géographe, économiste et démographe, professeur à l'université à Paris IV-Sorbonne, président de la revue Population & Avenir, auteur notamment de Populations et Territoires de France en 2030 (L’Harmattan), et de Géopolitique de l’Europe (Armand Colin).

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Atlantico : Depuis le tournant du millénaire, entre 2001 et 2011, quels sont les principaux changements démographiques qu’a connus l'Europe ?

Gérard-François Dumont : Les évolutions démographiques sont extrêmement contrastées selon les pays et, à l’intérieur des pays, les dynamiques territoriales sont très différenciées. Quatre types d’évolutions possibles se distinguent. D’abord, celui de territoires connaissant une croissance démographique portée à la fois par un accroissement naturel - c’est-à-dire par un excédent des naissances sur les décès - et par un accroissement migratoire - c’est-à-dire par un excédent de l’immigration sur l’émigration -. C’est le cas du Royaume-Uni ou de la France qui se talonnent[1].

Deuxième type d’évolution, des pays dont la croissance démographique est uniquement due à l’accroissement naturel alors que leur solde migratoire est négatif, comme l’Albanie ou le Kosovo.

Troisième type d’évolution, des pays avec un solde naturel négatif mais néanmoins une croissance démographique positive les années où le solde migratoire est assez élevé pour compenser l’excédent des décès sur les naissances, comme en Italie. Enfin, le quatrième type concerne des territoires en dépeuplement, avec des soldes naturel et migratoire négatifs, comme la Bulgarie ou la Roumanie.

En examinant désormais chaque pays, de nombreuses diversités apparaissent en leur sein. Par exemple, le rideau de fer semble toujours partager l’Allemagne, avec une différence d’évolution démographique très nette entre les Länder de l’ancienne Allemagne de l’Ouest et les Länder de l’ancienne Allemagne de l’Est. Dans l’ex-Allemagne de l’Est, la diminution de la population est générale à l’exception non de Berlin, mais de communes limitrophes de la capitale situées dans le Land de Brandebourg. L’Espagne, en dehors de la forte croissance de Madrid, connaît également une évolution presque duale. La moitié occidentale perd globalement des habitants à l’exception de ses villes principales, de l’extrême nord-est (pays Basque) et de l’extrême sud-est. La moitié orientale du pays gagne en moyenne des habitants, tout particulièrement sur les rives méditerranéennes. Au Royaume-Uni, les territoires de l’Angleterre sont quasiment tous en croissance, mais les plus fortes croissances concernent quelques territoires de l’Ecosse, comme la région maritime d’Aberdeen, attractive en raison de sa proximité avec les champs d’hydrocarbures de la mer du Nord.

Quid de la France ?

En France, l’urbanisation est quasiment terminée. Sauf exception, il n’y a plus de croissance significative des grandes villes par rapport au reste du territoire, même si quelques accroissements négatifs se constatent, surtout dans des communes du Massif central ou de l’intérieur de la Bretagne. Ces dernières décennies, des personnes ont pu choisir comme domicile des communes rurales, notamment en raison de l’amélioration des réseaux de transports due, en particulier, à la prise en charge par les régions des transports express régionaux qui se sont considérablement améliorés ces dernières années. Outre ce facteur, un nombre accru de Français considère que la meilleure qualité de vie ne se trouve pas nécessairement dans les grandes villes. Paris en est la parfaite illustration. La croissance démographique de son agglomération est surtout due aux apports migratoires internationaux et à leurs effets sur la natalité, alors que le solde migratoire de cette agglomération est fortement négatif. L’émigration de l’agglomération de Paris, qui est donc une émigration urbaine à rebours de l’émigration rurale d’autrefois, est compensée par un solde naturel positif assez élevée dû à la composition par âges jeune de la population et à une fécondité plus élevée sur certains territoires comme la Seine-Saint-Denis. Toujours en France, il faut aussi noter un certain appétit de nos contemporains pour habiter des territoires littoraux ou sublittoraux. Cela concerne notamment les retraités (Var, Charente-Maritime, Vendée…), une migration qui entraîne la création d’emplois pour satisfaire les besoins spécifiques de ces personnes.

Quels sont les contrastes les plus nets à relever ?

En Europe, les contrastes d’évolution démographique les plus nets se trouvent dans la partie orientale : les villes principales y sont généralement en croissance depuis qu’elles se sont ouvertes avec la fin du communisme. Ces croissances démographiques urbaines s’expliquent par l’émigration rurale des habitants du pays et par des migrations internationales entrepreneuriales. A l’inverse, nombre de territoires ruraux de l’Europe orientale connaissent une décroissance démographique qui s’explique par le départ d’actifs vers les principales villes, et un solde naturel négatif avec donc plus de décès que de naissances. C’est par exemple le cas de la Roumanie ou de la Bulgarie. En Pologne, le contraste est moindre grâce à la meilleure dynamique économique du pays depuis la fin du communisme. De son côté, l’Italie demeure presque coupée en deux : le nord est souvent en croissance démographique grâce aux apports migratoires internes et internationaux, et la moitié sud de l’Italie compte de nombreux territoires en dépeuplement car elle est toujours une région d’émigration vers le nord.

Pour la Turquie, la mosaïque très particulière des évolutions avec de forts contrastes tient au fait que la superficie des territoires proposés est particulièrement grande. Comme la modernisation de l’agriculture se poursuit, l’émigration rurale est encore très intense en Turquie. S’ajoute l’émigration de certains kurdes habitants dans des régions délaissés par le pouvoir et espérant un meilleur sort économique en partant vers les grandes villes comme Istanbul.

Qu’est-ce que ces changements démographiques préfigurent-ils pour l’avenir en France et en Europe ?

Les changements démographiques en Europe préfigurent d’abord une évolution géopolitique significative dans la mesure où le traité de Lisbonne organise au Conseil européen un nombre de voix des pays proportionnel à leur population[2], ce qui a de l’importance pour toutes les décisions relevant d’une majorité qualifiée. En conséquence, le nombre de voix de la France, du Royaume-Uni ou de l’Irlande est susceptible d’augmenter au Conseil européen, alors que celui de la Bulgarie, de la Roumanie ou de la Hongrie risque de baisser puisque leur nombre d’habitants diminue.

Les calendriers des migrations internes selon les pays s’avèrent différents. En France, l’émigration rurale est quasiment terminée, ce qui n’est pas le cas de la Roumanie ou de la Bulgarie. Lorsque les populations rurales ne viendront plus s’installer dans les grandes villes de ces pays et y dynamiser leur démographie, si la fécondité reste aussi faible, on risque de constater ce que l’on trouve déjà dans certaines villes d’Allemagne de l’Est, soit une nette diminution de la population. Ce phénomène, assez nouveau, est donc jusqu’à présent surtout intense en Allemagne de l’Est. Mais, avec une Europe en « hiver démographique », il pourrait se diffuser ailleurs. Or, on ne gère pas de la même manière une ville dont la population augmente et une ville dans laquelle le nombre d’habitants diminue de façon significative.

En France, la dynamique rurale s’accroît même si elle est inégale selon les territoires ruraux[3]. Pourtant nos dirigeants politiques continuent de raisonner comme si la France connaissait un processus d’urbanisation et de concentration des populations dans les grandes villes selon des logiques radiales. Il s’agit de l’histoire d’hier, pas de la réalité d’aujourd’hui. Ainsi, les dernières lois territoriales sont désuètes et donc inadaptées aux dynamiques actuelles[4].

Concernant la migration internationale en Europe, elle a un effet démographique majeur dans la mesure où les migrants s’installant sont majoritairement jeunes, donc à l’âge de fécondité, et que, selon la formulation que j’ai proposée, « la migration, heureusement, ne rend pas stérile ! » Les immigrants ont donc des enfants sur les territoires où ils résident. Il faut donc, d’un point de vue démographique, considérer les migrants par leur nombre et aussi à travers la descendance qu’ils vont avoir. Ainsi, au milieu des années 2000, l’augmentation de la natalité en Espagne n’était pas due aux Espagnols mais aux immigrants, notamment d’Amérique andine. En France, le premier flux migratoire est toujours le regroupement familial qui contribue à la natalité.

Peut-on déterminer le centre économique européen de demain ? Et y a-t-il un lien entre le solde des populations sur un territoire et la situation économique de ce dernier ?

L’Europe de demain, comme celle d’aujourd’hui, n’aura pas de cœur économique unique. Les fonctions économiques se trouvent distribuées en de nombreux territoires en fonction de leur attractivité et de leur entrepreneuriat. Pour ne citer que les échelons les plus élevées, on peut distinguer Paris comme principale capitale des congrès,  Frankfort comme principale capitale bancaire, Londres comme principale capitale financière, Bruxelles comme principale capitale politique en matière de réglementation commerciale ou agricole, Rome comme principale capitale du tourisme religieux, Rotterdam et Anvers comme principales capitales portuaires…

Le lien entre dynamique démographique et situation économique est incontestable. Une bonne attractivité économique se traduit part une évolution démographique positive. Mais il convient de préciser que l’ attractivité économique est largement fonction de la qualité des gouvernances territoriales[5], à l’instar de la comparaison entre Londres et Paris ces deux dernière décennies, la première ville ayant gagné des centres de décision, la seconde en ayant perdu.

Propos recuellis par Rachel Binhas


[1] Zouari, Ilyes, « France - Royaume-Uni : un match démographique très disputé », Population & Avenir, n° 717, mars-avril 2014.

[2] Dumont, Gérard-François, Verluise, Pierre, Géopolitique de l’Europe : de l’Atlantique à l’Oural, Paris, PUF, 2015.

[3] Cf. Guieysse, Jean-Albert, Rebour, Thierry, « Territoires ruraux : déclin ou renaissance ? », Population & Avenir, n° 707, 2012 ; Pistre, Pierre, « Les campagnes françaises : un renouveau incontestable, mais très inégal », Population & Avenir, n° 715, novembre-décembre 2013.

[4] Cf. Dumont, Gérard-François, « Territoires : un fonctionnement radial ou réticulaire ? », Population & Avenir, n° 722, mai-juin 2015, p. 3. URL : www.cairn.info/revue-population-et-avenir-2015-3-page-3.htm

[5] Dumont, Gérard-François, Diagnostic et gouvernance des territoires, Paris, Armand Colin, 2012.

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