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Incident Baroin : les joutes parlementaires ne sont plus ce qu'elles étaient
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Parlementaire, mon cher Watson

François Baroin a créé la polémique en interpelant les socialistes lors de la séance parlementaire de mardi, les accusant d'avoir pris le pouvoir "par effraction" suite à leur succès aux législatives de 1997. Etait-ce si grave ?

Jean Garrigues

Jean Garrigues

Jean Garrigues est historien, spécialiste d'histoire politique.

Il est professeur d'histoire contemporaine à l' Université d'Orléans et à Sciences Po Paris.

Il est l'auteur de plusieurs ouvrages comme Histoire du Parlement de 1789 à nos jours (Armand Colin, 2007), La France de la Ve République 1958-2008  (Armand Colin, 2008) et Les hommes providentiels : histoire d’une fascination française (Seuil, 2012). Son dernier livre, Le monde selon Clemenceau est paru en 2014 aux éditions Tallandier. 

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Atlantico : François Baroin a indiqué ce mercredi qu’il refusait de s’excuser d’avoir accusé les socialistes, lors de la séance parlementaire de la veille, d'avoir pris le pouvoir en 1997 « par effraction ». A-t-il tort, selon vous, de ne pas s’excuser ?

Jean Garrigues : Je pense que par rapport à ce qu’est aujourd’hui l’anti-parlementarisme diffus et récurrent de la société française, cela aurait été  une bonne chose de dépassionner le débat et de s’excuser. Cependant, sur un plan politique, il est évident qu’une excuse est toujours considérée comme un recul et n’est donc guère payante. On peut donc comprendre qu’il ne s’excuse pas.

On peut aussi se demander si la sortie de François Baroin ne marque pas l’expression d’un refoulé : pour un chiraquien comme François Baroin, il peut exister le sentiment d’avoir été dépossédé de la majorité qui était la sienne suite à la dissolution de 1997. Ce n’est pas sûr qu’un sarkozyste se soit laissé aller à de tels propos.

En parallèle, il est clair qu’il y a eu surréaction de la part des socialistes suite à ces propos. Leur coup d’éclat médiatique correspond à une constante de la vie politique française. On peut le déplorer, mais il est d’usage désormais de surréagir.

Tout ceci fait donc partie de la mise en scène parlementaire. La Vè République confère au Parlement un rôle secondaire. Par conséquent, celui-ci est devenu aujourd’hui avant tout un lieu de spectacle politique.

François Baroin a relativisé ses propos mercredi en indiquant : « Il y a des joutes politiques, il y en a eu d'autres par le passé, il y en aura d'autres ».

C’est tout à fait exact, mais ce n’est pas une raison ! Cependant, l’emploi de la formule « par effraction » est tout à fait banal dans le débat parlementaire.

Souvenons-nous que dans l’entre-deux guerres, des insultes étaient échangées entre l’extrême droite et les communistes, que Léon Blum a dû faire face à des insultes antisémites, que, plus récemment, lorsqu’elle a proposé son projet d’IVG en novembre 1974, Simone Veil a été injuriée par les députés de sa propre majorité.

Comme autres exemples, on peut citer également les débats sur le PACS en 1998 où Christine Boutin se met à pleurer parce que Lionel Jospin lui dit qu’elle a des propos outranciers. Je me souviens aussi d’Alain Madelin en 1984 qui lance à la gauche « cessez le feu sur nos libertés ! » ou François d’Aubert, à l’intention du Premier ministre de l’époque Pierre Mauroy : « Pour l’instant vous êtes toujours le roi… je veux dire Ubu Roi… ». Nous sommes là dans le registre de la caricature, de la déformation. Ce genre de saillies existe bien-sûr aussi à gauche, Georges Marchais avait ainsi attaqué Pierre Messmer avec cette réplique : « Vous êtes le gouvernement du grand capital ». Tout cela va au-delà du « par effraction » de François Baroin.

L'incident entre François Baroin et les députés socialistes

Tombe-t-on parfois dans l’insulte au sein de l’hémicycle ?

C’est assez rare. Le seul exemple qui me vienne à l’esprit est en 1967 lorsque Gaston Defferre a un accrochage avec le député gaulliste René Ribière et qu’il le traite « d’abruti ». Cela donna d’ailleurs lieu à un duel à l’épée ! C’est la dernière insulte proférée dans l’Assemblée, me semble-t-il. Précisons que les conséquences de ce duel ont été sans gravité.

Quoi qu’il en soit, l’évolution va vers un adoucissement des mœurs au sein du Parlement. Cette évolution contraste avec la dramatisation systématique des petits accrochages.

Peut-on lier cet adoucissement des mœurs au développement de la langue de bois en politique, au fait que le discours semble désormais plus policé ?

Oui, tout à fait. C’est lié à la nature même du débat parlementaire qui s’est spécialisé, expertisé et est devenu de plus en plus technique du fait de la complexité de la législation. Mais aussi au déclin de la délibération : nous sommes aujourd’hui dans un système présidentiel et non plus parlementaire comme sous la IIIème ou la IVème République. Dès lors, à partir du moment où les mots ont moins de puissance politique, on est moins tenté d’en user ; et on en use d’ailleurs avec beaucoup moins de talent.

95% des textes de loi sont d’origine gouvernementale, comme c’était le cas sous la IIIème République. En revanche, la délibération parlementaire n'a cessé de décroître. Le coup d’éclat parlementaire médiatique est en ce sens une façon de contrecarrer l’érosion du pouvoir législatif.


François Baroin ce mercredi au Parlement revient sur l'incident, mais ne s'excuse paspar LCP

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