Gestion des flux migratoires : pourquoi il est urgent que l’ONU prenne la main<!-- --> | Atlantico.fr
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Un camp de migrant à Calais.
Un camp de migrant à Calais.
©Reuters

Débordements

Le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve a annoncé 10 500 places d’hébergement supplémentaires pour "mieux accueillir les demandeurs d’asile, mieux mettre à l’abri, et mieux lutter contre les filières de l’immigration irrégulière".

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

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A propos des mesures présentées dans le cadre du plan de Bernard Cazeneuve sur l’immigration, le journal Le Monde fait les comptes sur qui reçoit et accueille le plus en Europe, en donnant des pourcentages, mais pas des chiffres, qui permettraient de mieux mesurer pourtant le nombre de ceux que la France accueille. On parle de son peu de générosité comme pour laisser entendre que la solution tiendrait dans le fait de donner plus de ce côté. Tout d’abord, le nombre de demandeurs d’asile ne cesse d’augmenter en France d’année en année et aussi le nombre des attributions de l’asile. D’autre part, ce n’est pas plus de générosité qui permettrait d’accueillir toute la misère du monde, chacun le sait, puisque nous en sommes là semble-t-il que d’en être la destination, avec d'autres.

Les migrations, un phénomène d’une ampleur inégalée et exponentielle, mal pensé

On est passé de 35 404 demandeurs d’asile en 2008 à 59 025 en 2014, avec une augmentation entre 2013 et 2014 de 27% de l’attribution de l’asile (Sources Ministère de l’intérieur).  On voit à quelle progression nous avons affaire alors que le nombre de demandeurs d'asile dans l'Union européenne a atteint un record, avec 625 000 personnes et une augmentation de 44% par rapport à l’année précédente (Source UE). Selon les services de renseignements transalpins, Il y a deux mois on évaluait entre 800 000 et 1 million le nombre de migrants qui se dirigeraient vers la Libye avec pour objectif de se rendre en Europe. 

On peut voir ainsi que ce n’est certainement pas en réduisant le problème à une question de générosité de tel ou tel Etat européen, que l’on pourra proposer raisonnablement quelque chose qui tienne concernant un problème des migrants qui atteint déjà ses limites. Le plan présenté par Bernard Cazeneuve, dont tout le monde reconnait la tentative de rechercher un équilibre entre accueil, asile et lutte contre l’immigration irrégulière, n’est pas plus pour autant à la hauteur du défi.On agit comme s’il suffisait d’amortir le choc en l’absorbant tel un mauvais moment à passer avant de retrouver le calme, mais cette idée est folle. Nous sommes face à un phénomène majeur du XXIe siècle qui marque l’Histoire et est en train de la modifier, avec un corps social des pays d’accueil qui risque d’en être profondément transformé, dont nous ne mesurons pas les conséquences relativement à la question de l’intégration.

On voit déjà les désordres que cela crée, à travers les campements de fortune qui s’installent un peu partout par exemple à Paris, prenant en otage les pouvoirs publics, avec des migrants que certains n’hésitent pas d’ailleurs à instrumentaliser en les mettant en risque, sans vouloir voir les conséquences. L’intervention des forces de l’ordre a donné l’image d’une France qui entend résister au lieu de celle qu’on lui donne facilement en général, de pays laxiste en matière d’immigration de là d’où elle part. On a délivré un message que l’on pense susceptible de jouer sur l’appel d’air, mais cela reste très illusoire. Si les flux continuent et s’accélèrent comme tous les indicateurs le suggèrent, vers quel désordre va-t-on et avec quelles conséquences politiques lorsque l’on voit remis au goût du jour la question du droit du sol par Nicolas Sarkozy, et un FN en embuscade qui attend d’en recueillir les fruits murs pour faire avancer la proposition emblématique de sa politique, la fameuse préférence nationale ? Un enjeu qui ne concerne pas que la France mais bien tous les pays développés qui sont dans cette injonction de l’accueil et de l’asile.

Un phénomène lié aux guerres mais surtout à la mondialisation économique

Ce phénomène tient de plusieurs facteurs. Il tient bien sûr au développement de conflits locaux, de guerres, comme les réfugiés Syriens l’illustrent bien. Mais aussi, dans ce contexte, à une immigration économique encouragée localement à partir vers des pays dits "riches" pris au piège de la mondialisation. L’idée de transgresser les frontières a été intégrée comme l’état normal des choses au point que l’on parle de "migrants" telle une sorte de nouveau "citoyen du monde" au rabais, sans ancrage, vis-à-vis desquels on ne se réfère plus du tout au fait qu’ils appartiennent à des peuples et à des nations, qui ont des responsabilités envers eux. Si on s’y réfère parfois, c’est seulement à la marge, à propos de l’aide au retour qui reste mineure dans la lutte contre ce phénomène. On oublie d’ailleurs, par là, des références essentielles sur lesquelles s’appuyer pour redonner du sens au pays de départ et à une façon d’y vivre qui n’a rien de déshonorante, bien qu’elle ne s’établisse pas dans la richesse matérielle occidentale peut-être, mais a sa cohérence et ses valeurs.

Nous connaissons un phénomène de déstabilisation à une échelle jamais connue concernant les migrants. Aussi, une prise de conscience doit se faire jour, car c’est à une toute autre échelle, celle du monde en reflet de la mondialisation qu’il est nécessaire de poser la question de comment répondre à ce qui se passe en ce moment sous nos yeux.

C’est un phénomène qui est en passe de tout emporter sur son passage : le social, l’économique, le politique, la démocratie elle-même si nous d’y prenons pas garde, car cette situation peut amener des risques d’explosion sociale qui ne sont pas qu’une vision de l’esprit.

On peut saluer la volonté affichée de lutter contre le trafic de migrants, tout en empêchant les candidats à l'immigration de risquer leur vie en traversant la Méditerranée. Ceci étant, s’il est question depuis deux mois d'augmenter les moyens financiers et matériels des opérations de contrôle et de sauvetage ou encore, un programme pour les renvois rapides des migrants non autorisés à rester dans l'UE et une action avec les pays voisins de la Libye pour bloquer les routes utilisées par les migrants, c’est répondre à l’incendie avec un seau d’eau.

Il faut répondre à l’échelle des enjeux de la mondialisation, et avoir une vision-monde à l’image de la diversité des pays de départ des migrants, départs qui se font de plus en plus de loin. Il est certain que, sans une vision d’ensemble qui prenne les choses au niveau des relations internationales dans leurs grandes largeurs, tout ce qui est fait ici ne servira qu’à gagner un peu de temps. La fermeté contre l’immigration ne peut aller qu’avec la mise en œuvre d’une politique à l’échelle internationale où l’ONU joue un rôle pilote, puisque c’est bien seulement à ce niveau que peuvent se décider les choses.

Repenser la mondialisation avec l’ONU en lui donnant un nouveau rôle de gestion des flux migratoires

Pourquoi ne pas faire la proposition de la création d’un fond commun dans ce domaine qui serait abondé par les pays prioritairement concernés, mais aussi ceux qui jouent un rôle dans les conflits actuels, tels les pays de la coalition contre l’Etat islamique. Evidemment, il faudrait pour cela commencer par dépasser des questions d’influence et de marché en jeu pour les Etats, dans les relations entre les uns et les autres. Investir ainsi pour la France comme d’autres pays, les sommes qui sont mises en œuvre pour l’accueil et l’asile, dans un fond dédié à des projets de développement concertés, mais aussi de meilleure contrôle des situations locales, serait sans doute plus efficace sur le moyen-long terme. Ce qui permettrait de responsabiliser l’instance internationale ainsi que les Etats et les peuples auxquels appartiennent les migrants. Il pourrait être proposé de traiter les difficultés par zone géographique et politique, avec de véritables plans d’accueil de réfugiés intégrant des délais pour aller vers des accueils stables, et non des camps de fortune permanents où personne ne peut trouver du sens et une dignité. Un groupe de pays pilotes pourrait être désigné pour y travailler et rendre compte à l’ensemble des pays acteurs. Ne peut-on pas voir là la nouvelle dimension qui manque à bien des problèmes que connaissent les pays développés qui sont englués dans mille difficultés qui ne peuvent se résoudre en pensant à la fois petit et entre-soi, et aussi sans les nations et les peuples concernés. Si nous voulons voir s’inverser les flux migratoires, c’est au prix de l’élévation de la qualité de l’action menée en termes d’acteurs et de mobilisations de moyens, autant que de stratégie politique.

Il faut donc ne pas tarder à convoquer en urgence un sommet de l’ONU sur ce thème pour poser le problème afin aussi de dépasser les réticences interne à l’UE sur ce sujet qui constituent des enfantillages au regard de ce qui s’engage à cet endroit.  

Il n’y a là aucun temps à perdre, car attention au risque que l’Europe, et l’ONU dans le prolongement, ne soient décriées comme des institutions incapables de jouer leur rôle régulateur, à la fois matériel et moral, et aussi d’autorité des nations. Il en découlerait une crise bien plus grave encore que celle des migrants, une nouvelle crise de légitimité démocratique alors que la guerre fait rage dans de nombreuses parties du monde devant quoi les Etats engagés pour la contenir ne paraissent déjà pas à la hauteur. Le danger d’un désordre beaucoup plus grand guette l’avenir, si des décisions capitales concernant l’immigration ne sont vues et prises au niveau international, qui est la seule échelle correspondant à la problématique générale en cause, entre solidarité et responsabilité.

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