Nutella à l’index : mais pourquoi cette hargne récurrente contre l’huile de palme ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Ségolène Royal a décidé de s'attaquer dernièrement à l'huile de palme à travers le Nutella.
Ségolène Royal a décidé de s'attaquer dernièrement à l'huile de palme à travers le Nutella.
©DR

Mise au pilori

Après avoir dénoncé l'utilisation d'huile de palme dans la fabrication du Nutella et donc sa consommation, Ségolène Royal a présenté ses excuses mercredi soir 17 juin via Twitter. Retour sur cet ingrédient polémique.

Alain Karsenty

Alain Karsenty

Alain Karsenty est docteur en sciences sociales et chercheur au CIRAD depuis 1992. Il travaille sur l’analyse des politiques publiques concernant les forêts, le foncier et l'environnement dans les pays en développement, en particulier en Afrique centrale. Ses plus récents travaux portent sur le mécanisme REDD (Réduction des Emissions issues de la Déforestation  et de la Dégradation) dont il est un des spécialistes.

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Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze est chirurgien à Perpignan.

Passionné par les avancées extraordinaires de sa spécialité depuis un demi siècle, il est resté très attentif aux conditions d'exercice et à l'évolution du système qui conditionnent la qualité des soins.

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Bruno Parmentier

Bruno Parmentier

Bruno Parmentier est ingénieur de l’école de Mines et économiste. Il a dirigé pendant dix ans l’Ecole supérieure d’agronomie d’Angers (ESA). Il est également l’auteur de livres sur les enjeux alimentaires :  Faim zéroManger tous et bien et Nourrir l’humanité. Aujourd’hui, il est conférencier et tient un blog nourrir-manger.fr.

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Atlantico : Ségolène Royal a décidé de s'attaquer dernièrement à l'huile de palme à travers le Nutella, avant de revenir sur ces propos mercredi soir. Dans quelle mesure s'agit-il d'une mauvaise huile pour la santé ?

Guy-André Pelouze : L'huile de palme rouge est un corps gras qui est issu de la presse du fruit du palmier à huile. Elle est consommée depuis des  millénaires. Comme toutes les huiles elle peut être ensuite raffinée pour obtenir une huile transparente et inodore. L'huile raffinée et cela est vrai pour toutes les huiles contient très peu de vitamines et de phénols qui sont importants pour notre santé. S'agissant de sa composition et bien qu'elle varie suivant les cultivars de palmier cette huile est riche en acide palmitique (43,5%) et en acide oléique (36,6%). Le premier est un acide gras saturé (cela signifie que la chaine de carbone ne contient aucune double liaison) et le second est un acide gras mono-insaturé qui est caractéristique de l'huile d'olive. L'huile d'olive contient 70% d'acide oléique et 13 % d'acide palmitique. Pour situer la composition la viande de boeuf contient dans son gras 36% d'acide oléique et 26% d'acide palmitique et le beurre 24% et 31% respectivement. L'huile de palme est donc un aliment parmi tant d'autres qui apporte des calories sous forme d'acides gras. Le gras est nécessaire à notre alimentation et il a été abondamment prouvé que manger allégé ne fait pas maigrir.

Il est souvent affirmé que les acides gras saturés favorisent les maladies cardiovasculaires. C'est une véritable histoire qui ressemble à celle de Popeye, des épinards et du fer. Cette assertion est répétée comme un leit motiv,  souvent par des personnes qui n'ont pas étudié la question, alors même qu'elle est fausse. Le déterminisme des maladies cardiovasculaires est polygénique et multifactoriel. Si l'on isole la consommation de graisses saturées dans les analyses de corrélation statistique les graisses saturées apparaissent neutres ni favorables ni défavorables sur le risque cardiovasculaire. En revanche le tabac, la sédentarité, le surpoids; l'obésité et le diabète type 2 sont de puissants facteurs de risque de maladies cardiovasculaires mais pas l'huile de palme. Elle est donc à juste titre autorisée à la consommation et à l'utilisation par l'industrie agro-alimentaire.

Sur le plan de l'alimentation des français ce qui représente un réel risque qui est bien documenté aujourd'hui c'est le passage de l'alimentation avec des produits frais peu transformés à la maison vers une alimentation de produits industriels qui contiennent beaucoup de calories, beaucoup de glucides rapides peu de protéines peu de micro-nutriments et même des acides gras trans... Cette consommation de produits est obésogène et augmente le risque de maladies chroniques. 
Le Nutella est un produit et il faut bien évidemment que chacun fasse l'examen de sa consommation personnelle pour se rendre compte de la proportion de produits par rapport aux aliments frais... Dans ce domaine les variations individuelles sont énormes si bien que les moyennes sont sans intérêt. Particulièrement chez les enfants et les citadins beaucoup de nos concitoyens sont au delà de 80% de leurs apports caloriques en produits industriels... Par ailleurs je rappelle que le Nutella c'est 56 g de glucides rapides pour 100 g de produit ce qui a un impact métabolique majeur. Notre responsabilité de consommateur et de parent est engagée et les oukases de tel ou tel ministre ne peuvent être que contreproductifs.

Bruno Parmentier :Le Nutella fait périodiquement la une des journaux et constitue pour les Français une excellente tête de Turc ! Ce produit d'origine italienne est vendu massivement en France : 84 000 tonnes par an, le quart de la consommation mondiale. L’usine normande de Villers-Ecalles en produit 155 millions de pots chaque année, le tiers de la production mondiale. Ce petit pot emblématique jouit d'un quasi-monopole dans notre pays puisqu'il représente 80 % des ventes de pâte à tartiner (mais heureusement il reste encore le miel et la confiture !). Si ce produit est très populaire pour les goûters de nos enfants, il ne l’est pas auprès de nombre d’intellectuels, qui font une fixation sur lui, plus que sur les autres produits phares du Groupe Ferrero (Rocher, Kinder, Mon Chéri, Tic-Tac, etc.). Il est devenu pour eux un symbole de la malbouffe et des dérèglements de l’agroindustrie.
On lui a récemment reproché, en 2008 de déforester et de provoquer l'extinction des orangs outans, en 2009 de contenir des phtalates, en 2011 d'écrire indûment sur ses publicités « bon pour la santé », etc. ; en 2012 le Sénat a failli voter un amendement « Nutella » triplant la taxe sur l’huile de palme, etc. C'est dans cette foulée que notre Ministre de l’écologie s'est laissé récemment aller à un dérapage lors d'une intervention à la télévision.
Bien entendu, il n'y a pas de doute, cette pate est très mauvaise, diététiquement parlant : c'est un véritable concentré de sucre et d’huile, plus des noisettes, du cacao et du lait, en gros de tout ce qui fait grossir, et elle est fortement additive ! Nul doute qu'elle est une des causes de l'obésité de certains enfants…
Elle utilise massivement l’huile de palme au détriment d'autres huiles concurrentes. En particulier à cause de son onctuosité : elle est semi-solide à température ambiante, son point de fusion se situe entre 35 et 42°C, et elle est stable à la cuisson, ce qui facilite son travail en usine, elle a un goût neutre et ne rancit pas. Elle représente donc un excellent substitut au beurre et autres graisses d'origine animale, et elle est végétale, contrairement aux margarines.
Du coup, Nutella est loin d’être le seul à vouloir rechercher ces qualités, ce qui fait que l’huile de palme est dorénavant présente massivement dans nos chips, croûtons, soupes, biscuits, lait pour bébé, sardines en boîte, bouillon de poulet, mayonnaise, sauce tomate, céréales, chocolat, glaces, fromage râpé, sauces, crèmes fraiches, pâtes à tartes, plats préparés, biscottes, brioches, biscuits salés et sucrés, etc. C'est ainsi que, de 15,2 millions de tonnes en 1995, la production mondiale d'huile de palme est passée à près de 60 millions en 2014.
Malgré cela, la consommation d’huile de palme des Français n’est « que » de 2,8 grammes par jour (3,3 g/j chez les 3-14 ans), ce qui ne représente en moyenne que 4% de l’apport en acides gras saturés chez les adultes et 7% chez les enfants ! Nutella est donc une sorte de tête de turc commode (et italienne !) d'un phénomène beaucoup plus large : les Français mangent beaucoup trop de sucres et des matières grasses, en particulier de matières grasses saturées (mais aussi sel, de viande, de lait et d’alcool…). Et l'obésité ainsi que d'autres maladies liées à une alimentation trop riche, comme le diabète ou l'athérosclérose, ne cessent d'augmenter dans notre pays.
La ministre de l’Écologie a affirmé lundi soir sur Canal + : " Il faut replanter massivement des arbres, parce qu’il y a eu une déforestation massive qui entraîne aussi du réchauffement climatique. Il faut arrêter de manger du Nutella par exemple parce que c’est de l’huile de palme." Dans quelle mesure interdire en France l'usage de l'huile de palme dans les produits permettrait-il de limiter cette déforestation ?

Quelles autres huiles pourraient remplacer éventuellement l'huile de palme ? Et que sait-on sur leur culture et leurs conséquences sur la santé ?

Guy-André Pelouze : Remplacer l'huile de palme dans la production industrielle alimentaire ne peut être fondé par des considérations nutritionnelles. Il s'agit donc d'enjeux économiques et environnementaux. 
Pour autant il faut savoir que les caractéristiques des huiles riches en graisses saturées (l'huile de coco en est une autre, le beurre aussi...) dans certains domaines comme la pâtisserie ou la biscuiterie ont permis de remplacer les acides gras trans. Ces acides gras présents dans les graisses partiellement hydrogénées sont athérogènes comme l'ont démontré une suite d'études au cours des 50 dernières années. Ils ne sont pas seulement athérogènes mais sont associés à une augmentation de la mortalité toutes causes. Il faut donc éviter de revenir à ces acides gras trans.
Il est possible cependant de simuler le remplacement de l'huile de palme.
S'il se fait par des huiles végétales riches en acides gras poly-insaturés comme le tournesol le carthame ou le maïs, la consommation d'acides gras saturés diminue mais celle d'acides gras oméga 6 augmente ce qui pose d'autres problèmes et ne permet de conclure à un avantage. Pour les huiles riches en oméga 3 comme le colza la substitution est favorable puisque notre alimentation est globalement déséquilibrée au profit des oméga 6 mais les caractéristiques de cette huile ne conviennent pas en pâtisserie et elle est trop oxydable en friture. 
Au total la meilleure alternative notamment en pâtisserie est le beurre. Mais l'apport en acides gras saturés est sensiblement le même. Il s'agit alors de gout et de coût mais pas de santé car faut il le répéter les acides gras saturés largement consommés en France ne sont pas associés à une surmortalité cardiovasculaire.

Bruno Parmentier : L’un des avantages de l’huile de palme est sa productivité à l'hectare, nettement supérieure à ses concurrents directs (soja, colza et tournesol) : à condition de bien sélectionner les terroirs, le palmier à huile a besoin de 7 à 10 fois moins de surface plantée pour produire autant d’huile que le soja… La différence est beaucoup plus faible en matière de productivité à l’heure de travail, car le soja ou le colza se cultivent sur d'immenses champs avec une forte mécanisation, alors que la récolte est encore manuelle sur le palmier à huile. Mais justement elle est produite dans des pays à faible coût de main-d'œuvre !

Or on a produit en 2012 54 millions de tonnes contre 43, 24 et 14 millions d’huiles de soja, colza et tournesol (et seulement 3 d’olives !). Il est donc plus que probable qu'on aurait utilisé beaucoup plus de surface si l'on avait préféré consommer d'autres huiles que celle de palme… En particulier on sait qu’en Amérique latine, l'expansion du soja pose aussi beaucoup de problèmes environnementaux.

Compte tenu de la très grande concentration de la production d’huile de palme, qui provient à 85 % de deux pays, l'Indonésie et la Malaisie, la déforestation a été massive dans ces deux pays, ce qui pose évidemment d’énormes dégats environnementaux. Mais la forte pression de différentes O.N.G. comme Greenpeace, a cependant pu être efficace auprès de grandes entreprises comme Ferrero, qui, soucieuses de leur image auprès du consommateur européen, ont fait de gros efforts dans les dernières années pour respecter la charte RSPO (Roundtable for Sustainable Palm Oil). On trouve sur le site de Greenpeace Philippines l’appréciation élogieuse suivante (ce qui est loin d'être le cas des autres entreprises analysées) : « Ferrero a mis en place une des politiques les plus progressives du secteur contre la déforestation et a défini un programme ambitieux pour 2015 pour sa mise en œuvre. Il s'est engagé à la traçabilité pour toute l'huile de palme qu'il utilise dans ses produits et planifie de rapporter publiquement sur ses réalisations tous les six mois ».
D'où le rétropédalage de notre Ministre !
D'une manière générale, l'augmentation massive du nombre de membres de classes moyennes sur la planète, en particulier dans les pays émergents comme la Chine ou l'Inde induit une pression totalement inédite sur les ressources naturelles, car la première manifestation de l'augmentation du niveau de vie, c'est le changement des habitudes alimentaires, pour des aliments à base de viande, de lait, de sucre et de matières grasses.
Il est donc particulièrement crucial que dans les pays où on mange trop, on réduise le plus rapidement possible la consommation exagérée de ces produits. De ce point de vue, à la fois pour notre propre santé et pour la santé de la planète, la Ministre a parfaitement raison, un peu moins de Nutella serait excellent, mais aussi moins de sucreries d’une manière générale, et aussi moins de viande et moins de produits lactés !

Les Etats-Unis ont décidé de bannir mardi 17 juin les acides gras trans des produits alimentaires. Sont-ils plus néfastes que l'huile de palme ?

Guy-André Pelouze :Deux points importants. Les Etats Unis ont par le passé contraints les industriels à l'étiquetage des acides gras trans. Le consommateur doit savoir combien d'acides gras trans se trouvent dans 100 g du produit à la vente. Il est regrettable que nous ne disposions pas de cette information en Europe et particulièrement en France. Cette disposition est clairement insuffisante car elle ne peut s'appliquer à la restauration par exemple. Or les huiles de friture ou d'autres préparations peuvent contenir des acides gras trans sans que le consommateur en soit averti. Logiquement la FDA en vient aujourd'hui à l'interdiction. Elle se fera sur trois ans ce qui est très long. Le meilleur conseil que l'on puisse donner aux français est de ne pas consommer d'acides gras trans sous quelque forme que ce soit. Et le meilleur conseil au régulateur européen c'est celui de se pencher rapidement sur la question et de protéger les consommateurs. 

La deuxième partie de votre question concerne la comparaison avec l'huile de palme. Les acides gras trans sont le produit d'une hydrogénation partielle industrielle des graisses insaturées. Il faut pour cela de l'hydrogène, de l'énergie et un catalyseur au Nickel. Les graisses trans sont manifestement néfastes pour l'homme. C'est un fait solidement documenté. Leur interdiction est logique mais le consommateur peut se protéger et protéger ses enfants en évitant les produits industriels contenant des graisses partiellement hydrogénées. En restauration c'est plus difficile car des produits circulant librement en Europe en contiennent et sont préparés en suite dans le cadre de la restauration collective. 
En revanche l'huile de palme, une huile végétale n'est pas dangereuse pour la santé et est reconnue comme telle. 
Le seul commentaire rationnel que la situation actuelle m'inspire est de m'étonner que certains s'acharnent sur un corps gras qui est neutre et que les mêmes laissent faire la production, l'utilisation et la consommation d'acides gras trans...

Pourquoi l'huile de palme, auprès des associations et des pouvoirs publics, reste l’objet de fantasme alors même que la réalité semble différente ?

Alain Karsenty : Le développement considérable des surfaces de palmier à huile ces dernières années pose de vrais problèmes de déforestation. Les planteurs ciblent les surfaces boisées car non seulement elles constituent un précédent favorable pour le palmier, mais ils peuvent aussi vendre le bois des forêts abattues, ce qui est très lucratif. Il est vrai que les grandes entreprises s’efforcent de plus en plus de s’approvisionner de manière responsable, avec des labels comme le RSPO (Table Ronde sur l’huile de palme) ou, plus récemment, la volonté d’avoir des chaînes d’approvisionnement « zéro déforestation ». Ces tendances sont très prometteuses, mais on est encore loin, au niveau mondial, du découplage attendu entre la croissance des surfaces de palmier à huile et la déforestation. Maintenant, il ne sert à rien de diaboliser une plante qui, lorsqu’elle est plantée dans des zones hors forêt, permet souvent, grâce à sa productivité remarquable, de sortir les petits paysans planteurs de la pauvreté. Le problème vient de l’absence de volonté politique des gouvernements d’aménager les territoires ruraux, cédant souvent aux lobbies des entreprises de palmier à huile qui préfèrent s’étendre sur les espaces forestiers.

Reste le problème de l’huile de palme elle-même qui, d’un côté, présente les plus fortes teneurs en acide gras saturés (« mauvais gras »), mais qui, de l’autre, ne requiert pas - au contraire d’autres huiles végétales - d’être hydrogénée pour être semi-solide. Or, ce procédé industriel entraine la création de gras trans, le plus mauvais pour la santé. L’huile de palme n’en contient pas. Cette ambivalence de l’huile de palme au regard des nouvelles attentes des consommateurs (« la santé par les aliments ») contribue certainement à cette mauvaise réputation injustifiée.

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