Omar Sy : le cinéma français en passe d'en finir avec l'image du "bon noir"<!-- --> | Atlantico.fr
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Le film Intouchables relate la rencontre entre un riche aristocrate handicapé et un jeune de banlieue
Le film Intouchables relate la rencontre entre un riche aristocrate handicapé et un jeune de banlieue
©© Gaumont Distribution

Intouchables

Près de deux millions d'entrées pour sa première semaine en salles. "Intouchables" s'annonce comme le nouveau carton du cinéma français. Héros du film, Omar Sy illustre l'évolution de la représentation des noirs dans le cinéma français.

François Durpaire

François Durpaire

François Durpaire est historien et écrivain, spécialisé dans les questions relatives à la diversité culturelle aux Etats-Unis et en France. Il est également maître de conférences à l'université de Cergy-Pontoise.

Il est président du mouvement pluricitoyen : "Nous sommes la France" et s'occupe du blog Durpaire.com

Il est également l'auteur de Nous sommes tous la France : essai sur la nouvelle identité française (Editions Philippe Rey, 2012) et de Les Etats-Unis pour les nuls aux côtés de Thomas Snégaroff (First, 2012)

 


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Atlantico : Le film Intouchables relate la rencontre entre un riche aristocrate handicapé et un jeune de banlieue. Ce rôle est interprété par Omar Sy. Le fait qu'il soit noir a-t-il une réelle signification ?

François Durpaire : Son origine joue un rôle. C’est tout de même un film sur la différence et  le rapprochement. Ce qui sauve la caricature, c’est que l’on passe assez rapidement à une relation interpersonnelle entre les deux personnages qui va plus loin qu'une simple relation entre deux personnes appartenant chacun à une minorité visible, que ce soit celle du handicap ou de la minorité noire.

Sur le papier cela peut sembler caricatural, mais finalement nous l’oublions assez vite car c’est leur relation intime qui prime.

Quelques clichés persistent-ils néanmoins...

C'est l'éternelle question du verre à moitié plein ou à moitié vide ! Déconstruire les préjugés ne revient pas à nier totalement le réel. On peut être antiraciste en France sans nécessairement occulter la différence de l’autre. L’antiracisme français fonctionne beaucoup sur le mode  « j’ai besoin de feindre que je ne vois pas ta différence pour te respecter ».  Nous pouvons passer à un antiracisme un peu plus mature. 

Ce rôle d'Omar Sy marque-t-il une rupture avec la représentation des noirs dans le cinéma français ?

Je pense qu’il marque une évolution. Les noirs sont plus présents dans le cinéma français qu’auparavant. Les écrans sont moins monochromes qu’ils ne l'étaient il y a une quinzaine d’années et reflètent davantage la société française.

Mais la question ne touche pas seulement aux acteurs. Le vrai défi aujourd'hui est de renforcer la diversité des personnes présentes autour de la table lors de l'écriture des scénarios et de la conception des projets culturels. Si les scénaristes proviennent d’un seul groupe social ou d’un seul groupe ethnique, le résultat à l'écran ne sera pas conforme à la réalité de notre pays.

Bande-annonce du film "Intouchables"

En quoi l'image des noirs est-elle différente dans le cinéma français de celle que l'on peut trouver dans le cinéma américain ?

Le cinéma américain a connu plusieurs phases. Une première avec l'existence concomitante du cinéma hollywoodien (où la place des noirs n’était pas du tout présente) et du cinéma de la « Black Exploitation », c'est-à-dire des films noirs avec uniquement des noirs, dont l’idée majeure était : « puisque nous ne sommes pas sur les autres écrans, ayons notre propre cinéma ».  

La deuxième phase correspond à une phase de bonnes intentions où il est nécessaire que soient représentées toutes les tranches de la population. Cette phase est à la fois volontariste et artificielle.

Aujourd'hui, nous nous trouvons dans une phase post-diversité aux États-Unis : on ne se pose même plus la question de savoir si l'acteur est noir ou pas. Il y a une sorte de banalisation. Il se passe pour le cinéma ce qu’il se passe pour la politique. Durant la campagne présidentielle, Barack Obama était un candidat noir, aujourd’hui il est simplement le 44° Président des États-Unis.

Est-ce que le cinéma américain n’a pas pris de l’avance sur le cinéma français ? Dans notre cinéma national, il existe peu de "méchants" noirs, par exemple...

Si on analyse la situation française selon les trois étapes dont je vous parlais (invisibilité dans une première phase, bonnes intentions dans une deuxième avec une politique un peu volontariste et une troisième étape de post-diversité), nous nous trouvons actuellement en France dans la deuxième étape, la phase des bonnes intentions. Cela correspond à la période des années 1990 aux États-Unis.

Je préfère voir le verre à moitié plein et me dire que nous ne sommes pas dans l’invisibilité. Tout en ayant l'exigence d’aller vers un objectif où il existe des rôles pour tout le monde, indépendamment de son origine ou de son appartenance -réelle ou supposée- à une culture. L’idée est d’ouvrir les castings à tout le monde : récemment, une actrice d'origine togolaise née à Clermont-Ferrand me confiait qu'elle n'avait pas décroché un rôle parce qu'on lui avait indiqué qu'elle ne convenait pas : ils cherchaient "des Africains avec un accent"...

Le réalisateur noir-américain Spike Lee critiquait encore récemment les "magical negros", qu'il définissait comme un rôle de simple faire-valoir donné à un noir pour qu'il mette en valeur le héros blanc. Dans "Intouchables", peut-on dire qu'Omar Sy interprète un rôle de "magical negro" ? 

Je comprends la position militante de Spike Lee : c’est une position afro-américaine. Mais la société française ne correspond pas au même modèle.

Omar est-il un "magical negro" ? J’ai oublié cette question-là, car j’ai trouvé que la dimension interpersonnelle entre les personnages était suffisamment forte.

Et puis, faisons attention aux fausses polémiques sur ce genre de sujets. Prenons l’exemple récent du film La couleur des sentimentsqui traite du racisme aux États-Unis dans les années 1960 dans l’État du Mississippi. Ce film montre le racisme banal et les relations entre les gens. Ces relations sont moins violentes que dans le film Mississipi Burning  qui aborde le même sujet, mais elles décrivent une vexation beaucoup plus quotidienne. Alors quand on reproche au film le fait que l'héroïne principale soit blanche, je trouve cela injuste ; c'est faire preuve d'une discrimination inversée.

Autre polémique en France : le film Case départavec Thomas N'Gijol. L'un des succès de cet été. Plusieurs d’associations sont montées au créneau car l’esclavage était présenté sous forme de comédie. Cependant, si effectivement une comédie burlesque permet de parler de ce sujet et de rassembler un million de personnes, tant mieux !

Un dernier mot sur les discriminations : on parle beaucoup du manque de visibilité au cinéma ou à la télévision des noirs et des arabes. Mais pourquoi n'évoque-t-on jamais la quasi absence d'asiatiques sur les écrans français ?

Je suis d’accord avec vous : cela pose problème. C’est comme s’ils étaient en marge de la société nationale et que ça n'avait l’air de gêner personne. C’est une minorité visible encore plus invisible que les autres finalement.

Cela tient peut être paradoxalement, au degré d’intégration des communautés. La communauté asiatique (qui ne correspond pas à un ensemble homogène) est, sans jugement de valeur, surtout intégrée à elle-même ; elle fonctionne de manière communautaire. Mais il s'agit là d'une question tout à fait légitime qui concerne tous les enfants dont les parents sont issus de l’immigration vietnamienne ou cambodgienne.

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