Le FMI, l’institution qui disait tout et son contraire : plongée dans un univers d’injonctions contradictoires permanentes<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
La directrice du FMI Christine Lagarde.
La directrice du FMI Christine Lagarde.
©Reuters

Bâillonnez-les

Depuis le sommet de la crise, la recherche économique interne au FMI n’en finit plus de porter des coups de plus en plus violents contre une politique pourtant prônée par l'institution elle-même. Austérité, inégalités, marché du travail, dépenses publiques... ses dogmes volent en éclat.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

Voir la bio »

Alors que le FMI se révèle être l’acteur le plus dur dans le traitement du dossier grec, insistant notamment, et ce, de façon intransigeante, sur la nécessité de baisser le niveau des retraites dans le pays, voici que les économistes du même fonds considèrent que l’accroissement des inégalités est un frein à la croissance. Mais le FMI n’en est plus à une contradiction près. Car depuis plusieurs mois, ou même quelques années, les politiques prônées par le FMI s’obstinent à contredire la recherche économique interne du même Fonds monétaire International.

Ainsi, pendant que les économistes de Washington condamnent les politiques d’austérité ou la flexibilisation du marché du travail, affichent leurs doutes quant à la priorité donnée à la réduction de la dette, les instances exécutives du fonds continuent d’afficher leur fermeté, mettant ainsi en évidence un double jeu devenu inaudible.

En effet, dans un premier temps, et dès l’année 2012, le FMI a pu se rendre compte de ses erreurs concernant les programmes d’austérité, appelés "programmes d’ajustements structurels" (SAP’s). Dans son rapport prospectif 2012, le FMI indiquait alors :

"Le résultat principal, basé sur des données issues de 28 économies, est que les multiplicateurs fiscaux utilisés pour élaborer les prévisions de croissance ont été systémiquement trop faibles depuis le début de la grande récession, de 0.4 à 1.2 point". Ce qui signifie que les baisses de dépenses publiques, dont celles qui ont été directement recommandées par le FMI à certaines économies, ont eu un effet récessif bien supérieur aux premières prévisions. Au lieu de soigner le mal, le remède a contribué à empirer la situation.

Sur ce même sujet, lors de l’année 2013, l’organe d’audit interne du FMI tentait d’apporter un regard critique sur sa propre action durant la crise :

"Le bilan du FMI en matière de surveillance a été mitigé. Ses appels à des mesures de relance budgétaire à l’échelle mondiale en 2008–09 sont arrivés au bon moment et ont été très écoutés, maisson approbation en 2010–11 d’une réorientation de l’assainissement dans quelques-uns des plus grands pays avancés était prématuré. (…) "Ce dosage de la politique économique a été loin d’être pleinement efficace pour favoriser la reprise et a exacerbé les répercussions négatives."

Face aux résultats désastreux du cas grec, qui aurait dû, selon certains experts, retrouver la croissance dès 2012, le FMI a tout de même le mérite de reconnaître ses erreurs. Mais ce n’est pas le cas de tous. Car au même moment, Christine Lagarde, Présidente du FMI, tentait de siffler la fin de la récréation en réaffirmant le dogme local :

"Je crois profondément que recommander la consolidation budgétaire à des économies ayant des dettes importantes et croissantes, était la bonne décision".

Malheureusement pour Christine Lagarde, cette question de la dette vient également d’être mise sur la table par les économistes Jonathan Ostry et Atish Ghosh, dans une publication interne au FMI, indiquant tout simplement que la réduction de l’endettement d’un pays peut être mis en place autrement que par des coupes budgétaires :

"La simple possibilité de vivre avec des niveaux d’endettement relativement élevés, et de permettre au ratio de dette de baisser organiquement par la croissance est un peu perdue dans ce débat". (…) "En fait, et bien que la dette puisse être mauvaise pour la croissance, il n’est pas nécessaire de rembourser aussi vite que possible, même en faisant abstraction des effets keynésiens sur l’activité et la croissance".

L’observation faite par les deux économistes est qu’une politique de croissance suffit à mener une réduction de l’endettement, et ce, sans avoir à en passer par des coupes budgétaires. Mais les économistes vont encore plus loin, en démontrant que les plus grands pays développés ont encore une importante marge d’endettement :

Distance (en %) avant la limite d’endettement.

Cliquez pour agrandir

Selon ce rapport, en dehors des cas de Chypre, de la Grèce, de l’Italie ou du Japon, il n’existerait aucune raison de s’alarmer sur les niveaux d’endettement des pays représentés. Le catéchisme habituel du FMI prend de plus en plus de plombs dans l’aile, et l’attaque vient de l’intérieur.

Puis, dans un rapport déjà évoqué relatif à l’impact négatif des inégalités sur la croissance, c’est l’ensemble des à priori du FMI qui sont mis à mal. Car, selon les économistes Dabla-Norris, Kochhar, Suphaphiphat, Ricka et Tsounta, si la hausse des inégalités est un frein à la croissance, les causes mêmes de cette hausse des inégalités peuvent être listées ; mais entre la mondialisation et la financiarisation de l’économie, l’item le plus contradictoire est la flexibilisation du marché du travail :

"Une plus grande flexibilité (du marché du travail) peut poser des problèmes pour les travailleurs, spécialement pour ceux qui sont parmi les moins qualifiés, et jouer ainsi un rôle important dans le développement des inégalités".

L’outrage est maximal, mais les économistes enfoncent encore un peu plus le clou dans le cercueil des "programmes d’ajustements structurels":

"Cependant, en prenant en compte un large éventail de pays, l’évidence suggère que la régulation du marché du travail, (comme le salaire minimum, les syndicats, et les contributions à la sécurité sociale), en moyenne, tendent à améliorer la distribution des revenus".

Enfin, dans un article publié ce 16 juin, les économistes Selim Elekdag et Dork Muir recommandent directement à l’Allemagne d’accroître son niveau de dépenses publiques en infrastructure, indiquant que les bénéfices se partageront entre l’Allemagne elle-même et ses partenaires européens. La coupe est pleine.

La cohérence des principes défendus par le FMI est sérieusement ébranlée par le travail réalisé par ses propres économistes.  Mais pour le moment, rien ne change dans le traitement de pays dont le FMI à la charge. Il en va désormais de la crédibilité du fonds lui-même, pour enfin intégrer les résultats de sa propre recherche à ses programmes d’ajustements structurels.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !