A grands coups de motions molles et de 49.3, que restera-t-il vraiment de l’héritage idéologique du quinquennat Hollande ? <!-- --> | Atlantico.fr
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L'ombre de François Hollande.
L'ombre de François Hollande.
©Reuters

Les héritiers

La rupture amorcée par François Mitterrand et le gouvernement Mauroy a profondément marqué la ligne idéologique de la gauche française. Malgré le tournant social-libéral dont il est à l'origine, François Hollande pêche cruellement par la clarté de son action politique.

Georges-Marc Benamou

Georges-Marc Benamou

Georges-Marc Benamou est producteur de cinéma et journaliste. Ancien conseiller de Nicolas Sarkozy, il est notamment l'auteur de Comédie française: Choses vues au coeur du pouvoir (octobre 2014, Fayard), ainsi que de "Dites-leur que je ne suis pas le diable" (janvier 2016, Plon).

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Frédéric  Métézeau

Frédéric Métézeau

Frédéric Métézeau est journaliste depuis 15 ans. Il a été journaliste pour France Bleu Nord, basé à Lille, et a présenté les informations sur France Inter avant devenir chef du service politique sur France Culture. Depuis août 2015, il est chef du service politique de France Inter.

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Jean-François Kahn

Jean-François Kahn

Jean-François Kahn est un journaliste et essayiste.

Il a été le créateur et directeur de l'hebdomadaire Marianne.

Il a apporté son soutien à François Bayrou pour la présidentielle de 2007 et 2012.

Il est l'auteur de La catastrophe du 6 mai 2012.

 

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  • Au Parlement comme pour une partie de l'opinion de gauche, la ligne sociale-libérale du gouvernement de François Hollande ne fait pas l'unanimité. 

  • Depuis 1983, le Parti Socialiste s'est converti à l'économie de marché. Le tournant, ou "l'inflexion progressive", entrepris par François Mitterand, après deux années d'euphorie, a impacté durablement la ligne idéologique de la gauche. 

  • S'il faut attendre la fin du quiquennat pour dresser un bilan pour l'exécutif, une conjugaison de plusieurs facteurs pourront permettre à François Hollande de laisser une empreinte durable sur sa famille politique et sa conception de la gauche. Pour le moment, le compte n'y est pas.

  • Au-delà du bilan économique qui occupe une place de premier plan, c'est également un art de la narration et une explication du projet de société qui manque à l'ensemble des Français.  

Atlantico : La ligne sociale-libérale défendue par Hollande et le gouvernement prend-elle à gauche ? Quels sont les effets concrets sur la ligne idéologique du PS ?

George-Marc Benamou : La gauche, le peuple de gauche et les sympathisants de gauche sont à la recherche d'une cohérence et d'une direction qu'on ne leur propose pas clairement. Je pense que le gouvernement ne s'engage pas assez clairement sur la ligne sociale-libérale. On observe les tatonnements du gouvernement de Hollande, de l'idée des 75% à une approche hyper prudente et presque effarouchée de la réalité économique pendant deux ans, et enfin la prise de conscience d'engager des mesures, que vous appelez le "tournant social-libéral". Mais la cadence demeure bien trop lente pour qu'elle puisse paraître claire.

Peut-être y-a-t-il au Parti socialiste une paresse de la pensée sur un certain nombre de problèmes, qui sont le rapport au peuple, aux ouvriers et aux salariés, sur le rapport à la laïcité, à la redistribution et à la création de richesse... Ce sont des chantiers qui ont été prudemment esquivés par la gauche. Pas par la gauche officielle, mais par la gauche des apparatchiks. Tout cela est camouflé par la personnalité, les manoeuvres et les combinaisons de Jean-François Cambadélis. C'est une des lectures que l'on peut faire du Congrès de Poitiers réuni il y a deux semaines.

Jean-François Kahn : L'expression "social-libéral", dans la bouche d'un socialiste, signifie "virage à droite". Mais, si on prend l'expression au pied de la lettre, la politique du gouvernement n'est pas très sociale, et n'est pas très libérale non plus. 

Je pense qu'une majorité de l'électorat à gauche est contre cette évolution vers le centre-droit. Une partie reste pour, notamment pour une raison simple : c'est que la presse de gauche l'est belle et bien : L'Obs, Le Monde, sans oublier Libé sont des journaux de gauche qui ont évolué et sont désormais assez favorables à cette ligne. Et ce positionnement a entrainé une partie de l'électorat, même si je pense que la fraction majoritaire est contre. 

La loi Macron est une loi libérale, dans mon esprit, au bon sens du terme. C'est une loi qui n'est ni plus ni moins ce qu'avait préconisé le rapport Attali commandé par Nicolas Sarkozy. Ce dernier n'a jamais osé aller aussi loin. Pierre Gattaz, hier, expliquait que cette loi allait dans le bon sens, et soutenait le gouvernement dans l'utilisation du 49.3. Si la droite était cohérente avec elle-même, elle devrait soutenir cette loi. 

Frédéric Métézeau : Au Parlement, visiblement le compte n'y est pas : Manuel Valls recourt au 49.3. La loi Macron ne fait donc pas recette à gauche. Au sein de l'électorat, je pense que la ligne est partagée : au Congrès du PS, on observe un taux de participation aux alentours des 60%, ce qui nous interroge si, au coeur des militants de gauche, cette ligne a vraiment pris. Je pense qu'il faut distinguer les forces de gauche (militants, sympathisants) de l'électorat de gauche. Le PS est globalement social-libéral et social-démocrate par rapport aux initiatives alternatives du Front de gauche.  

Sur cette "ligne", je pense que le Parti Socialiste est converti à l'économie de marché depuis au moins 1983. Sous Jospin, cette tendance s'est confirmée, et sous Hollande, elle n'a pas été remise en cause. Martine Aubry, que l'on étiquette plutôt à la gauche du PS, devait, dans un scénario originel, faire campagne pour Dominique Strauss-Kahn, ne l'oublions pas (ce qu'on avait appelé le Pacte de Marrakech). Le candidat socialiste aux régionales dans le Nord-Pas-de-Calais, Pierre de Saintignon, a été longtemps dirigeant d'entreprises, et a mis une sorte de pacte de responsabilité régional dans le Nord-Pas-de-Calais. Je crois que le PS français est converti à l'économie de marché de fait, ce que vous pouvez appeler "social-libéralisme" ou social-démocratie", en fonction des ingrédients. 

Quelles conséquences le tournant de 1983, après deux années d'état de grâce, sous la présidence de François Mitterand, a t-il eu sur la gauche ? Quel héritage a t-il laissé ?

George-Marc Benamou : Dans les mois qui ont précédé ce qu'on appelle le tournant de la rigueur, il y a eu bien des hésitations. Mitterrand a hésité et a pris le parti de la réalité. la gauche n'a pas été repensée à ce moment là, c'est peut-être un rendez-vous idéologique raté. En 1988, la social-démocratie était un gros mot. Aujourd'hui, alors qu'elle est en crise depuis bien longtemps, on continue de la pratiquer. Ce tournant a aussi permis à la gauche de durer. Pour la première fois au XXème siècle, la gauche a pu avoir une expérience dans la durée, après des épisodes courts du Cartel des gauches, du Front Populaire et de Mendès-France. 

Jean-François Kahn : La gauche arrive au pouvoir en 1981, et lance une politique extrêmement à gauche. Cette politique est la plus à gauche que la France ait vue, encore plus à gauche que celle menée par le Front Populaire, lequel n'avait d'ailleurs pas lancé une telle campagne de nationalisation. François Mitterand applique quant à lui presque 90 propositions sur les 110 annoncées.

Après trois ans, la politique menée se heurte au réel et met la France dans une situation d'inflation extrême, lui laissant même imaginer la solution de quitter l'Europe, et de sortir du serpent monétaire. Le tournant est un retour à un certain réalisme, l'abandon de l'euphorisme, et le début de "la pause". Ce n'est pas une remise en cause, mais une forte inflexion accompagnée d'un retour à une rigueur budgétaire.

Frédéric Métézeau : En 1983, nous ne connaissions pas une BCE indépendante ni l'euro, mais une Banque de France autonome, avec la possibilité de dévaluer le franc. Aujourd'hui, les marchés financiers sont des acteurs économiques majeurs, quand à l'époque le contrôle du crédit et d'échange existait encore. En 1983, l'Europe compte 10 membres et n'a connu ni le traité de Lisbonne, ni celui de Maastricht. La donne économique a complétement changé. 

Politiquement, François Mitterrand a laissé une marque sur l'importance de l'Europe en France. L'héritage idéologique laissé par Mitterrand est de tenir compte de la montée de l'Europe en puissance et de la construction européenne, et de tenir compte de l'équilibre avec l'Allemagne. Cet héritage idéologique a durablement perduré, de Jospin (qui, une fois nommé Premier Ministre, file immédiatement signer le Traité d'Amsterdam) à Hollande, dans sa pratique du pouvoir. Ce qui a changé, c'est la conception de l'Europe : depuis 1979, le taux d'abstention aux élections européennes monte, et les Français n'ont plus les mêmes espoirs européens. 

Quel héritage se dessine-t-il pour François Hollande ? Et sur quels éléments cet héritage pourra-t-il se construire ? 

Jean-François Kahn : Le tournant de François Hollande est comparable à celui de Guy Mollet : ce dernier est poussé par un élan électoral qui demande la paix en Algérie, mais Guy Mollet soutient finalement la guerre. Aujourd'hui, le gouvernement Hollande, élu sur un programme de gauche et un discours véritablement social-démocrate, initie une politique de centre-droit (ou sociale-libérale comme vous l'appelez), avec notamment l'arrivée de Valls au pouvoir. Le tournant d'aujourd'hui est bien plus considérable, en témoignent les trous dans l'électorat qu'il provoque.

Si je devais résumer, je pense que l'on assiste à une période que l'on pourra appeler à l'avenir "La Grande Trahison". Dans l'Histoire, on a eu la Grande Guerre, la Grande Crise, la Belle Epoque... On évoquera, dans quelques années, le concept de Grande Trahison pour parler de cette histoire. Cette trahison est d'autant plus grande qu'en plus de ne pas réaliser la politique sur laquelle le gouvernement a été élu, ce dernier "trahit sa trahison" : non seulement le gouvernement ne tient pas un discours de vérité, mais en plus il n'explique pas que leurs promesses auraient conduit la France dans le mur. De surcroît, le gouvernement explique qu'il a bel et bien tenu ses promesses...

Frédéric Métézeau : Pour 1983, je parlerais davantage d'une inflexion progressive que d'un tournant. L'expression de tournant n'est pas fausse mais réductrice. La différence avec aujourd'hui c'est qu'en 1983, le constat est dit. Il est public et cela se sait.

François Hollande annonce son pacte de responsabilité le 31 décembre 2013, lors de ses voeux, et le précise le 14 février 2014 dans sa conférence de presse. Ces annonces sont faites à la façon d'un François Hollande : l'accouchement est donc difficile. Hollande ne veut jamais trop dire les choses, pour toujours avoir une porte de sortie. S'il dit trop clairement les choses, il a l'impression de se fermer les portes. Je pense néanmoins que Hollande est allé très loin dans l'évolution de la pratique économique. Il a été dans la continuité de ce qui a été commencé en 1983 et pousuivi quelques années plus tard par Jospin. Enfin, le bilan de Hollande sera simple : il se mesurera au retour de la croissance ou pas, à la baisse du chômage et à celle de l'endettement. La phrase de Clinton à ses conseillers est toujours d'actualité : "it's the economy, stupid". 

Quels facteurs empêchent actuellement ce quinquennat de laisser une marque forte ?  

Frédéric Métézeau : Aujourd'hui, il est difficile de tirer un bilan à chaud. Et un bilan ne suffit pas. Jospin est éliminé aux élections présidentielles en 2002 quand le chômage baissait considérablement car il n'a pas réussi à projeter les Français dans une narration. De mon point de vue, un certain nombre de mesures de Monsieur Hollande vont dans le bon sens, mais François Hollande a du mal à raconter les mesures entreprises, et à en faire la narration. Quand Mitterrand racontait la construction européenne, peu importait votre opinion, il y avait véritablement quelque chose. Aujourd'hui la construction européenne, c'est se mettre dans des clous comptables. La France est un vieux pays littéraire et d'éloquence, et les Français sont sensibles à la narration. 

En conclusion, pour laisser une trace dans l'histoire, je dirais que François Hollande aura besoin d'un vrai et bon bilan économique et social ; une capacité de raconter aux Français où il souhaite les emmener (et parler de projet de société) ; une vision et enfin, une réelection, contre tout attente en réussissant un tour de force politique auquel peu de personne croit aujourd'hui, laissera une empreinte forte.

Jean-François Kahn : François Hollande a toujours représenté, pour moi, l'aile droite de la gauche. Comme une sorte de "blairisme". Hollande a menti dans sa campagne électorale. Aujourd'hui, François Hollande, devant l'échec de sa politique, a été entraîné à devoir prendre des mesures dont il croyait qu'elles permettraient de sortir de la situation. Pour plusieurs raisons, ça n'a pas été le cas, et ceci explique aujourd'hui l'inflexion à laquelle on assiste. 

George-Marc Benamou : Je pense que Hollande a une politique bien plus courageuse et plus difficile à mener que son prédecesseur, mais François Hollande a pris beaucoup de retard à l'allumage. 

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