Crise des migrants : qu’avons-nous vraiment les moyens de faire pour les demandeurs d’asile ?<!-- --> | Atlantico.fr
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D’un point de vue matériel, est-il possible d’héberger durablement de nouveaux flux migratoires ?
D’un point de vue matériel, est-il possible d’héberger durablement de nouveaux flux migratoires ?
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Champ des possibles

L’expulsion des 186 migrants sous surveillance policière de la caserne de Château-Landon, met en lumière l’absence d’anticipation des problèmes liés à l’arrivée massive de migrants depuis le début de cette année. Alors que les migrants sont aujourd’hui à Paris, l’Etat peine à proposer des solutions pérennes et concrètes et a toutes les apparences d’une situation de crise.

Emmanuelle Auriol

Emmanuelle Auriol

Universitaire, Emmanuelle Auriol est chercheur à l'IDEI (Institut d'Economie Industrielle), membre de l'école d'économie de Toulouse (TSE) et professeur d'économie à l'Université Toulouse 1 Capitole.

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Laurent Chalard

Laurent Chalard

Laurent Chalard est géographe-consultant, membre du think tank European Centre for International Affairs.

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Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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Atlantico : Quels moyens concrets sont aujourd’hui disponibles pour accueillir les migrants dans des conditions décentes ? D’un point de vue matériel, est-il possible d’héberger durablement de nouveaux flux migratoires ? Dans quelle limite peut-on gérer l’arrivée de migrants sur le sol ?

Laurent Chalard : La France dispose de deux types de structures pouvant accueillir des migrants en situation irrégulière sur son territoire : les centres d’accueil pour migrants (Calais, Pouilly-en-Auxois) et les centres de rétention administrative (le plus grand est situé au Mesnil-Amelot en bordure de l’aéroport de Roissy). Ce sont cependant des centres d’accueil temporaire (avant expulsion pour les seconds) à l’hébergement limité. Or, les flux migratoires clandestins ne sont pas réguliers, ils arrivent par vagues, ce qui sous-entend, que lorsqu’une vague importante arrive, l’Etat français est débordé, n’ayant pas de capacités d’accueil supplémentaire suffisantes, comme ce fut le cas suite aux Révolutions Arabes en 2011 et l’est de nouveau aujourd’hui.

Concernant la possibilité d’héberger durablement de nouveaux flux migratoires, tout n’est qu’une question de volume. Si les flux sont de l’ordre de quelques milliers de personne, c’est en théorie possible, étant donné le nombre de logements vacants sur notre territoire et/ou de locaux d’activités inoccupés reconvertibles en centre d’accueil pour migrants. Si l’Etat choisi d’y mettre les moyens financiers, il est donc possible d’héberger durablement de nouveaux flux migratoires sous réserve que le volume soit peu important. 

Dans le cadre de la législation actuelle et des accords internationaux que la France a passés, l’arrivée des migrants ne peut être contrôlée qu’en amont, c’est-à-dire aux portes d’entrée de l’espace Schengen. C’est donc un problème européen. En effet, seules la sortie de l’espace Schengen et la remise en cause des traités européens de libre circulation des personnes pourrait potentiellement permettre à la France de reprendre le contrôle de ses frontières.

Concernant la possibilité d’héberger durablement de nouveaux flux migratoires, tout n’est qu’une question de volume. Si les flux sont de l’ordre de quelques milliers de personne, c’est en théorie possible, étant donné le nombre de logements vacants sur notre territoire et/ou de locaux d’activités inoccupés reconvertibles en centre d’accueil pour migrants. Si l’Etat choisi d’y mettre les moyens financiers, il est donc possible d’héberger durablement de nouveaux flux migratoires sous réserve que le volume soit peu important.

Dans le cadre de la législation actuelle et des accords internationaux que la France a passés, l’arrivée des migrants ne peut être contrôlée qu’en amont, c’est-à-dire aux portes d’entrée de l’espace Schengen. C’est donc un problème européen. En effet, seules la sortie de l’espace Schengen et la remise en cause des traités européens de libre circulation des personnes pourrait potentiellement permettre à la France de reprendre le contrôle de ses frontières.

Emmanuelle Auriol :La gestion des flux migratoires dépend beaucoup de la nature du mouvement migratoire : lorsqu’il s’agit d’immigrants pour raison économique, qui viennent pour travailler, alors il n’y a pas de tension liée à leur arrivée : ils parviennent à trouver du travail, à se loger et finalement à s’intégrer. Mais lorsque l'on parle des réfugiés qui fuient les zones de conflit, la situation est plus compliquée : il s’agit en général de familles, traumatisées par la guerre puis par leur passage vers l'Europe. Ces personnes ne sont pas prêtes pour une installation durable dans un pays dont elles ne connaissent pas la langue, elles doivent surmonter la situation immédiate de crise et dépendent donc des tissus associatifs qui leur permettent de se stabiliser. La France peut gérer des situations d’urgence, sur un lapse de temps très court, mais il n’y a pas de solution durables à disposition, surtout en matière de logement. L’été, la situation est acceptable, mais l’hiver, ça coince toujours. Il n’y a déjà pas assez d’HLM pour les Français les plus pauvres, et le mal logement est un problème qui s’est installé en France. 

Si on fait abstraction du casse-tête du logement, les autres problèmes sont moins difficiles à traiter : bien que les questions sanitaires puissent sembler préoccupantes, les hôpitaux français sont dans l’obligation de prodiguer des soins en cas d'urgence et la possibilité d’épidémie est donc limitée. Pour ce qui est de l’intégration économique, bien sûr, cela peut prendre du temps, d’autant plus lorsque les migrants sont pauvres et n’ont donc pas de qualification. Cependant, il ne faut pas s'affoler. Ainsi si on répartit 75 000 migrants sur les 28 pays de l’Union Européenne, cela veut dire que chaque pays doit accueillir moins de 3 000 personnes. Pour les pays de la plus riche zone économique du monde ce n'st rien du tout. Cette idée  s'applique également au niveau national. Pour éviter les problèmes de la formation de bidonvilles et son lot de misère et de délinquance, une solution est de répartir les réfugiés que la France choisit d'accueillir sur l’ensemble du territoire, en veillant toutefois à ne pas séparer des familles ou des membres d'un même village. Après le traumatisme du déplacement, il est souhaitable que les migrants restent à proximité de leur communauté.

A lire, le sondage Ifop exclusif pour Atlantico : 79% des Français approuvent les démantèlements de camps de migrants

Après la situation de crise, est-on en mesure de proposer rapidement des solutions plus durables et d’absorber à terme ce flux ?

Laurent Chalard :Tout dépend l’objectif des migrants clandestins présents sur notre territoire. En effet, certains d’entre eux sont en situation de transit vers d’autres destinations, en particulier le Royaume-Uni, et n’ont donc pas vocation à s’installer sur notre territoire. C’est d’ailleurs pour cela que l’Etat français ne s’est jamais réellement attaqué de manière sérieuse au problème de l’immigration clandestine à Calais, partant du principe que les migrants finissent tous par réussir à passer un jour ou l’autre au Royaume-Uni. Cependant, si certains de ces migrants souhaitent s’installer en France, nous avons les moyens d’absorber ces flux, car par rapport à l’immigration légale, ils demeurent relativement limités. En effet, si la France peut accueillir 200 000 entrées légales chaque année, 20 000 personnes de plus ne changent pas grand-chose. Par contre, il faudrait construire plus de centre d’accueil pour migrants, en particulier en Ile de France, principale région réceptrice de ces flux et mener une politique d’intégration de ces populations. 

L’arrivée massive des migrants sur les côtes italiennes depuis le début de l’année ont-elles provoqué une anticipation de l’arrivée massive d’une partie de ces migrants sur le sol français de la part du gouvernement ?

Laurent Chalard : Bien évidemment que non, les gouvernements, de gauche comme de droite, ayant de grosses difficultés à gérer l’immigration légale, ne parlons pas de l’immigration clandestine… Cette dernière est complètement subie et nos dirigeants agissent au coup par coup, espérant surtout que les migrants disparaissent dans la nature, ce qui permet de faire oublier leur présence. La France souffre d’une politique migratoire indigne d’un pays développé et ce depuis plusieurs décennies, pour la bonne raison que nos dirigeants n’ont jamais assumé l’immigration auprès de nos concitoyens. Il existe une véritable "politique de l’autruche" dans ce domaine.

Emmanuelle Auriol : Les pouvoirs publics n’ont pas préparé ni réfléchi au problème de l’immigration. Il n’y a toujours pas de politique migratoire pour l’Europe et c’est devenu un sujet tabou. Les Italiens ont beau essayé de recevoir correctement ces naufragés, ils ne reçoivent pas le soutien des autres partenaires européens, qui se crispent dans une attitude attentiste. Or, les pouvoirs publics se trouvent aujourd’hui confrontés à l’opinion qui leur reproche de n’avoir rien préparé et de n’avoir aucun pouvoir dans la gestion de l’immigration. Cette absence de réaction et d'anticipation a créé une peur maintenant bien installée en Europe. La position officielle de notre gouvernement est de dire que les frontières sont fermées, et pourtant tous les jours les médias montrent l’arrivée de migrants : comment l’opinion publique peut-elle alors donner sa confiance dans le discours de ses représentants ?

La France s’est toujours constituée en terre d’asile, est ce que cela l’oblige à faire des promesses qu’elle ne peut  pas tenir ?

Emmanuelle Auriol : Nous ne sommes plus du tout une terre d’asile : c’est un tournant sur les politiques migratoires. Jusqu’à présent, après la première vague d’immigration d’après-guerre qui était économique, la France a mené une politique humanitaire en termes d’immigration. Mais maintenant, ce n’est plus possible et c’est même sain de revoir nos positions. Il n’est pas aberrant de choisir notre immigration, de pouvoir offrir aussi de meilleures conditions d’accueil aux futurs arrivants. La position crispée autour de la terre d’asile n’a plus lieu d’être.

Laurent Chalard :Le problème de la France est le décalage entre un discours universaliste, présentant le pays comme la terre d’accueil de tous les persécutés de la planète, et une réalité du terrain, qui est que nos dirigeants ne souhaitent plus, pour des raisons électoralistes essentiellement, accueillir de nouvelles vagues migratoires. En conséquence, il existe une certaine mauvaise foi, puisque la politique des gouvernements successifs est de rendre la situation des immigrés clandestins la plus difficile possible pour les inciter à se rendre ailleurs, c’est-à-dire vers des pays européens plus accueillants. Il n’y a aucune volonté à mettre en place les structures d’accueil adéquate et donc de tenir les promesses, qui semblent être surtout faites par les dirigeants socialistes pour faire plaisir à leurs alliés politiques situés à leur gauche

L’opinion publique est-elle favorable à l’intégration durable de ces populations ? Quelles sont aujourd’hui les attentes des français dans la gestion de cette crise, et l’Etat français peut-il y répondre ? 

Laurent Chalard : Comme pour d’autres sujets, les Français sont divisés sur la question, en fonction de leur sensibilité politique et/ou de leur degré de compassion. Cependant, il est manifeste que depuis les années 1980, l’opinion publique française a largement modifié son point de vue concernant l’immigration clandestine. En effet, aujourd’hui, une majorité de nos concitoyens refuse l’arrivée de nouveaux flux migratoires, ce qui sous-entend qu’ils ne souhaitent pas que l’Etat français aident les clandestins, mais, au contraire, qu’il assume son pouvoir régalien, en expulsant les personnes dont la présence sur notre territoire est illégale, sachant que dans une démocratie, le contrôle des entrées et des sorties du territoire est effectivement un pouvoir de l’Etat. En théorie, l’Etat peut effectivement choisir la répression, mais pour des dirigeants de gauche prendre ce type de décision serait difficile, car ils risqueraient de s’aliéner une partie de leur électorat issu de l’immigration, mais aussi, pour une raison plus pragmatique, qui est que, de toute façon, cela ne servirait pas à grand-chose car certains migrants ne peuvent être expulsés vers leur pays d’origine, étant donné la situation conflictuelle qui y règne. 

Emmanuelle Auriol : Les hommes politiques, de droite comme de gauche, ont laissé au Front National le discours sur l’immigration. Dès lors le gouvernement est ficelé : l’opinion attend réellement une réaction forte du gouvernement, mais dans le même temps, ils ne veulent pas voir d’enfants se noyer en méditerranée. Il ne faut pas non plus oublier que nous vivons une période de crise économique et que beaucoup de Français sont aujourd’hui dans une situation de très grande précarité. Ce n’est pas acceptable pour eux de voir que des migrants bénéficieraient d’un traitement prioritaire leur dossier. Le gouvernement ne peut donc pas traiter trop bien les migrants.

Jérôme Fourquet: Les images choquantes de l’arrivée des migrants à Lampedusa a bien sûr énormément marqué l’opinion publique, et même si les Français ont compris que tous les migrants n’allaient pas venir en France, mais que beaucoup allaient transiter vers la Grande-Bretagne, ils savent aussi qu’un certain nombre vont rester sur place. Donc bien sûr, il y a une certaine crainte dans l’opinion, devant un flux qui semble hors de contrôle. L’installation à Sangatte a montré que ces camps créaient un appel d’air et une stabilisation de la situation, et le démantèlement de ces camps a simplement déplacé les migrants dans d’autres lieux de la ville, sans qu’une solution pérenne ait pu être trouvée. Les Français attendent maintenant que le gouvernement expulse les migrants, mais ils sont aussi lucides et savent que ça ne fait que déplacer le problème : on se rappelle que les personnes qui étaient reconduites chez elles avec une enveloppe de quelques centaines d’euros pour se réinstaller dans leur pays sont revenues quelques mois après. De même, beaucoup de demandes d’asile qui sont déboutées ne débouchent pas sur une reconduite à la frontière.

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