Condamné à 4 ans de prison ferme pour une agression violente, puis totalement innocenté quelque temps après… L’affaire que devraient méditer ceux qui ont milité pour la suppression du juge d’instruction<!-- --> | Atlantico.fr
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La suppression du juge d’instruction conduit à des erreurs judiciaires.
La suppression du juge d’instruction conduit à des erreurs judiciaires.
©Reuters

Orange mécanique

Deux jeunes voyous ont été condamnés il y a peu à quatre ans de prison ferme en comparution immédiate. Au fil des jours, il apparaît que l’enquête a été trop vite bouclée. En réalité, un seul est coupable. La justice se reprend et finit par relaxer l’innocent.

Gilles Gaetner

Gilles Gaetner

Journaliste à l’Express pendant 25 ans, après être passé par Les Echos et Le Point, Gilles Gaetner est un spécialiste des affaires politico-financières. Il a consacré un ouvrage remarqué au président de la République, Les 100 jours de Macron (Fauves –Editions). Il est également l’auteur d’une quinzaine de livres parmi lesquels L’Argent facile, dictionnaire de la corruption en France (Stock), Le roman d’un séducteur, les secrets de Roland Dumas (Jean-Claude Lattès), La République des imposteurs (L’Archipel), Pilleurs d’Afrique (Editions du Cerf).

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  • A l’automne 2014, un particulier qui souhaite vendre sa voiture se fait sauvagement agresser par deux jeunes voyous au casier judiciaire chargé.
  • En comparution immédiate, le tribunal  correctionnel de Créteil les condamne tous deux à quatre ans de prison ferme, malgré les dénégations de l’un.
  • Après leur condamnation, grâce à une enquête de la mère des délinquants et la pugnacité de ses avocats, on apprend que l’un des frères n’a rien à voir avec l’agression.
  • Du coup, le 27 mai 2015, la Cour d’appel de Paris, après avoir ordonné un supplément d’information, l’innocente et  le relaxe.

C’est une histoire à la fois banale et terrible. Presque une caricature de la justice au quotidien. Avec ses errements et ses délinquants qui éprouvent toutes les peines du monde à retrouver le droit chemin. Une justice où un individu, avec un  casier long comme le bras, est forcément suspect lorsqu’un délit est commis. Et forcément coupable. Condamné dans le cas présent à 4 ans de prison ferme. Alors qu’il n’a rien fait du tout. Au-delà de cette histoire, c’est  bien la question de la comparution immédiate qui se pose. Avec cette question capitale : le juge d’instruction devrait-il être obligatoire même dans l’hypothèse où l’auteur d’une infraction apparait clairement identifié ?

Reprenons cette affaire, passée inaperçue, seulement évoquée par Le Canard Enchaîné.  Nous sommes le 14 septembre 2014. M. Lam Pham, propriétaire d’une Audi A Sport back a passé une annonce sur le site Le Bon Coin pour vendre son automobile.  A 12 heures 30, il a rendez-vous avec deux acheteurs potentiels du côté de la Place des Fêtes dans le XXème arrondissement de Paris.  A l’heure dite, les candidats, qui se présentent comme frères, arrivent. Puis, le trio se rend au parking privé souterrain du propriétaire de l’Audi. Ce dernier montre sa voiture, puis l’un des hommes conduit le véhicule avec à sa droite M. Pham, tandis que le troisième se tient à l’arrière. On commence à faire un petit tour dans la rue, quand, subitement, l’homme qui conduit l’Audi emprunte un sens interdit. M. Pham s’inquiète. Il a raison, car pour lui, c’est le début de l’enfer.  Un remake d’Orange mécanique. Il se fait tabasser. Des coups lui sont portés à la tête. Les deux agresseurs tentent de l’éjecter de l’Audi. La violence redouble. M. Pham parvient à désarmer l’un des agresseurs équipé d’un couteau. Quelques minutes plus tard, c’est la délivrance : il est abandonné sur l’autoroute A 4 au niveau de Joinville-le-Pont. Bilan : contusions multiples au visage, au thorax, à la tête et aux bras. A la clé, une incapacité  de travail  de 15 jours. 

Bien que sérieusement amoché,  M. Pham se rend au commissariat  de Charenton-le-Pont pour porter plainte. En quelques minutes, les policiers rejoignent le parking où stationnait l’Audi.  Grâce aux caméras, ils récupèrent les clichés qui permettent d’avoir un signalement précis des agresseurs. Mais surtout, grâce aux coups de fils passés au moment du tabassage,  les enquêteurs identifient l’abonné. Il s’agit  d’une certaine Mme Nadia N, demeurant à Villiers-sur –Marne. Elle est mère de deux enfants, Mohamed,  26 ans, et Fallou, 22 ans. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’ils sont défavorablement connus des services de police. A leur compteur, des vols avec violence et une escroquerie lors d’une vente sur Internet. Pas de doute : ce sont eux les agresseurs de ce pauvre M. Pham. Ce dernier les a reconnus lors de la présentation de planches photographiques.  Enfin, preuve décisive, les enquêteurs découvrent qu’à quatre reprises, au début septembre 2014, la ligne téléphonique de Mme N a servi à contacter le propriétaire de l’Audi.  Interpellés le 27 janvier 2015, le duo nie farouchement  avoir participé à l’équipée sauvage du 14 septembre 2014. Les agresseurs sont néanmoins incarcérés, une procédure incidente étant ouverte contre Fallou qui aurait dérobé un GPS le 15 novembre 2014 sur le parking de la gare de Villiers-sur-Marne. Bref, les deux frères sont ficelés…Encore que leur mère, invitée à voir les clichés du parking pris le jour de l’agression, se montre formelle. Si elle reconnait son fils Mohamed, elle le dit haut fort : le deuxième homme n’est pas son fils.

L’audience a lieu le 28 janvier 2015 devant le Tribunal correctionnel de Créteil. Mohamed avoue avoir agressé M. Pham mais exonère son frère. Il a agi avec un autre copain, mais refuse de dire son nom.   Lequel nie à nouveau avoir participé à ce remake d’Orange mécanique. Seulement voilà : avec quinze condamnations en moins de deux ans, pour vol, agressions diverses, extorsion de fonds, menaces, contrainte de signatures tantôt devant le tribunal pour enfants, tantôt devant le tribunal correctionnel, comment voulez-vous qu’on lui accorde le moindre crédit ? Impossible. Il est forcément coupable. Aussi le verdict tombe le 2 février. Sans surprise : les deux frères sont condamnés à 4 ans de prison ferme. Illico, seul celui qui est exonéré par son frère interjette appel. Jusqu’à ce que, trois jours plus tard, surgisse un coup de théâtre. L’ancien conseil de Fallou vient en effet d’adresser une lettre à la Cour d’appel de Paris dans  laquelle elle innocente Fallou. Il n’est pas l’agresseur de M. Pham. Non, c’est un certain Lassana, surnommé Lasco, demeurant à Villiers-sur-Marne qui serait le véritable complice de Mohamed.  Falllou précise que le  Lasco en question s’appelle Lassana M. De plus, selon le procès-verbal d’exploitation des factures téléphoniques, on découvre que, quelques heures avant l’agression de M. Pham, une ligne téléphonique appartenant à un certain Penda D a contacté  Mohamed. Or, la dite ligne a été utilisée par le fils  de Penda D qui n’est autre que Lassana, lui aussi défavorablement connu des services de police.

De là à penser que Mohamed et Lassana s’appelaient pour régler les derniers préparatifs de leur mauvais coup, il n’y a qu’un pas. Qui laisse à penser que Fallou n’a rien à voir avec l’agression du 14 septembre 2014. A la décharge de ce dernier, il y aussi le témoignage, évoqué plus haut, de la mère des deux frères qui, dans un courrier adressé  le 28 janvier 2015 –jour du procès- au président du tribunal de Créteil, affirme que ses "deux fils ne sont jamais ensemble", qu’ils "ne s’entendent pas du tout", qu’ils ne "font rien ensemble et qu’ils n’ont aucune complicité" et que "ce malentendu total entre les deux dure depuis plus dix ans." Si on ajoute que la mère de Mohamed et  Fallou, lorsqu’on lui présente des clichés extraits de la vidéo-surveillance, n’en démord pas : seul le premier y est bien présent… Quant au deuxième individu, elle ne connait pas son identité. Décidément entreprenante, Mme N, convaincue de l’innocence de son fils Fallou, se met à rechercher le dénommé Lassana. Elle le localise. Et vient parler de cette affaire à deux avocats, Mes Francis Arragon et Aude Signoret, installés dans les Hauts-de-Seine, à Neuilly-sur-Seine… Loin, très loin des cités du Val-de-Marne. Pourquoi a-t-elle choisi ces deux avocats ? Mystère. Mystère ajouté à un autre d’une histoire ahurissante.  Le 31 mars, la Cour d’appel de Paris examine à nouveau le cas de Fallou. Certes, elle le maintient en détention, mais ordonne un supplément d’information réclamé par Mes Arragon et Signoret, forts des nouvelles révélations qui innocenteraient Fallou. Le 27 mai, le dénouement :  la Cour rend un arrêt relaxant Fallou, mais lui inflige cinq mois de prison, dans le cadre de l’affaire incidente, le vol du GPS. Cinq mois qui couvrent sa période de détention.  Une façon de reconnaitre une erreur, mais de ne pas se dédire totalement…

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