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Il n’y avait pas que le Rana Plaza : pourquoi tous nos vêtements sont passés entre les mains d’un travailleur exploité
©Reuters

Tailleur

Depuis l'effondrement du Rana Plaza une véritable prise de conscience internationale s'est attaqué aux conditions de vie des ouvriers du textile. Deux ans après, les industries du textile ont multiplié les signes affichant une volonté de mieux faire, mais la division des travaux et la multiplication des intervenants compliquent le contrôle de la chaîne de production, au point où trouver des "fringues propres" relève de la gageure.

Pierre-Samuel  Guedj

Pierre-Samuel Guedj

Président & fondateur d’Affectio Mutandi, spécialiste de la RSE, du lobbying et de la communication sensible, Pierre-Samuel Guedj bénéficie d’une expérience de près de 20 ans, exerçant auprès des grandes entreprises françaises et internationales une activité de conseil en matière d’affaires publiques, d’influence, de responsabilité sociétale, de réputation et de communication de crise.

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Atlantico : En plus des ouvriers qui assemblent les vêtements, comment les entreprises peuvent-elles se responsabiliser à tous les stades de la chaîne de production d’un vêtement, de la récolte des matières premières, au traitement des tissus, jusqu’à la destruction des invendus ? Est-ce que les industries peuvent avoir le contrôle réel sur l’ensemble de la chaîne?

Pierre-Samuel Guedj : Les industries du textile ont engagé ces démarches depuis plusieurs années mais il est clair qu'il a fallu un drame humain pour faire avancer en partie la situation. Il faut bien comprendre que ces acteurs opèrent dans des pays ou le respect des grandes règles internationales comme celles du droit du travail ou des droits de l'homme n'est pas parfait, et qu'en même temps cela contribue au développement économique et social de ces pays.

Nous, consommateurs européens, attendons des produits au tarif extrêmement compétitif... cette course au bas prix nous a coûté notre industrie du textile mais permis à des pays de développer leurs économies locales. Il faut revenir à un principe de prix juste sur l'ensemble de la chaîne et c'est aussi, voir surtout, un choix de consommateurs.

Certains acteurs, comme la marque Veja, ont fait le choix d'un contrôle très strict et exigeant de leur chaîne de production, mais cela est plus facile lorsque vous créez une marque, par ailleurs très innovante notamment en terme de design, alors que lorsque vous avez déjà une très large gamme de produits et entre 30 000 et 100 000 fournisseurs, vous avez un effort de mutation important à faire.

Il est possible de mettre en place une chaîne de valeur responsable, entre le sourcing des matières premières via notamment des labels qualité, bio, éthique ou encore en évitant le coton ouzbèke issu du travail forcé des enfants, en sélectionnant avec soin leurs partenaires sur les bases d’un respect de la réglementation internationale notamment et en inscrivant les relations commerciales avec eux sur les bases d’un contrat durable : engagement de 18 mois plutôt que 3 mois ce qui ne leur permet pas d’investir sur le plan industriel mais aussi social ou environnemental, engagements en matière de qualité de vie des employés, collaboration technique…   C’est une question d’investissement de chacun, y compris du consommateur, mais surtout de l’ensemble des clients de ces fournisseurs. Une marque européenne ne représentant que 5% des commandes et des volumes de production d’une unité textile au Bangladesh,et n’a donc que… 5% d’influence. C’est pourquoi nous préconisons des regroupements entre donneurs d’ordre européens pour mutualiser les audits mais aussi les investissements locaux, les attentes éthiques, ou les programmes mis en œuvre à l’attention des employés par des ONGs de développement, plus légitimes que les entreprises à pallier les insuffisances des états sur les questions d’éducation, de sécurité, de santé ou même de contrôle de conditions de sécurité. Il faut se rappeler qu’il n’y avait que 55 inspecteurs du travail pour contrôler les 4 000 unités textile du Bangladesh… Les entreprises n’ont pas toutes les clés en main.

Malgré l’engagement affiché de beaucoup de marques de textile, qu’est ce qui limite aujourd’hui le pouvoir de l’industrie à changer les conditions de vie des travailleurs les plus pauvres ?

La coordination des travaux entre l’ensemble des acteurs, et pas seulement les entreprises européennes donneuses d’ordre, plus de moyens pour que les états fassent respecter les réglementations internationales sur le travail ainsi que les droits humains, une facilitation de la représentation syndicale dans ces pays qui n’ont pas cette culture… les leviers sont nombreux et pas tous du ressort des entreprises. Les accords d’échange bilatéraux entre ces pays et l’Europe prévoient ainsi des règles sur le respect du droit du travail et des droits humains… ces accords ne sont pas respectés… car nous avons aussi besoin de leur vendre des produits de plus haute technologie pour garantir notre propre activité économique ainsi que notre paix sociale. C’est aussi une question de volonté politique.

Depuis le Rana Plaza, les choses se sont améliorés sur un certain nombre de points mais bien évidemment tout ne peut se faire en si peu de temps et sans traiter l’ensemble des secteurs, pas seulement celui du textile, sans plus de moyens et de volonté politique des autres acteurs notamment politiques locaux. Les audits viennent finalement remplacer les contrôles des autorités locales… les entreprises ne peuvent remplacer les états jusque dans la fixation de salaire minimum ou de salaire décent. Même Patagonia, marque fortement engagée sur ces questions, n’est pas certaine que tous ses fournisseurs, notamment dans certains pays à la démocratie naissante, soient parfaitement respectueux de toutes les conventions internationales mais continue à rechercher et mettre en place des systèmes de production éthique. C’est de toute façon une attente forte des citoyens des pays développés et notamment de l’Homo Ethicus Numéricus qui exprime fortement ces attentes par des mobilisations en ligne, des campagnes de boycott et bientôt des class actions en ligne. Avec cette ambiguïté qu’il n’a peut-être pas les moyens de payer le prix juste pour son éthique.

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