Sondages de l’Elysée : un coup de poker du juge Tournaire ? <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Sondages de l’Elysée : un coup de poker du juge Tournaire ?
©Reuters

Coucou, le revoilà

L’affaire des sondages de l’Elysée a connu ce mercredi 3 juin, deux coups de théâtre : le premier avec le placement en garde à vue de six anciens collaborateurs de Nicolas Sarkozy…Le second avec leur remise en liberté en fin d’après-midi. Sans avoir été mis en examen. Un coup de bluff du juge d’instruction ? Que mijote-t-il pour la suite ?

Gilles Gaetner

Gilles Gaetner

Journaliste à l’Express pendant 25 ans, après être passé par Les Echos et Le Point, Gilles Gaetner est un spécialiste des affaires politico-financières. Il a consacré un ouvrage remarqué au président de la République, Les 100 jours de Macron (Fauves –Editions). Il est également l’auteur d’une quinzaine de livres parmi lesquels L’Argent facile, dictionnaire de la corruption en France (Stock), Le roman d’un séducteur, les secrets de Roland Dumas (Jean-Claude Lattès), La République des imposteurs (L’Archipel), Pilleurs d’Afrique (Editions du Cerf).

Voir la bio »

- A l’issue d’une bataille juridique intense qui a duré deux ans, l’affaire des sondages de l’Elysée a fini par être instruite. 

- Le placement en garde à vue de trois anciens très proches collaborateurs de Sarkozy, Emmanuelle Mignon, Claude Guéant et Xavier Musca laissait présager une éventuelle mise en examen… Il n’en a rien été.

- L’instruction n’est pas pour autant terminée. De plus, le délai de 48 heures de garde à vue n’a pas été épuisé… A moins que les six collaborateurs de l’ancien chef de l’Etat soient bientôt entendus par le magistrat ou qu’aucune charge contre eux ne soit retenue

- Ce mercredi 3 juin, le personnage central de cette affaire à tiroirs, Patrick Buisson, n’avait pas été convoqué à la Brigade de répression de la délinquance économique (BRDE)

Avec le juge parisien Serge Tournaire, on n’est jamais à l’abri d’un coup de théâtre. C’est exactement ce qui s’est passé avec l’affaire des sondages de l’Elysée dont on pensait qu’elle avait connu, ce mercredi 3 juin, une brusque accélération. Certes, six anciens très proches collaborateurs de Nicolas Sarkzozy, parmi lesquels son ex-directrice du cabinet, Emmanuelle Mignon, l’ancien secrétaire général de l’Elysée, Claude Guéant et le successeur de ce dernier, Xavier Musca étaient placés en garde à vue… Sans doute, pensait-on, pour être, à l’issue de leur audition par les enquêteurs de la Brigade de répression de la délinquance économique ( BRDE) présentés au juge Tournaire. Eh bien non ! Coup de théâtre en fin d’après-midi, ils ont tous été remis en liberté. Sans être mis en examen. Alors, que s’est-il passé ? Le juge envisage-t-il de les convoquer plus tard ? Attend-il des éléments probants qui pourraient justifier une mise en examen ? Une chose est sûre : le magistrat est loin d’avoir épuisé le délai de garde à vue - 24 heures, renouvelable 24 heures - Et puis, depuis quelques temps, il semble que les juges ne prolongent pas la nuit, les gardes à vue, celles-ci se révélant peu efficaces.

Reste qu’aujourd’hui, l’information judiciaire n’est pas achevée et qu’au centre de celle-ci, apparaît l’ancien conseiller de l’ombre de Sarkozy, Patrick Buisson, la boîte à idées de l’ex-chef de l’ Etat, celui-là même qui souffla à l’ancien maire de Neuilly-sur-Seine, la création d’un ministère de l’Identité nationale et de l’Immigration. Buisson, qui connaîtra une nouvelle heure de célébrité dont il se serait bien passé, avec la divulgation de ses divers enregistrements révélés par Atlantico, fut l’homme des sondages sous Nicolas Sarkozy avec Pierre Giacometti.

Le bras séculier de ces sondages : la société Publifact, animée par Buisson, qui va conclure de nombreux marchés avec la présidence de la République. C’est ainsi qu’en 2008, Publifact empochera 392 278 euros – 1,5 million de francs pour fruit de son travail de sondage. Une somme rondelette à laquelle il faut ajouter 10 000 euros d’honoraires mensuels pour Buisson. D’autres sommes semblent être tombées dans l’escarcelle de l’ancien directeur de Minute. Tout aurait pu aller pour le mieux dans le meilleur des mondes des sondeurs, si la Cour des Comptes, en 2009, se penchant sur le budget de la présidence de la République découvrit que le marché passé entre cette dernière et Publifact, ne brillait pas par une orthodoxie juridique impeccable. Jugez plutôt : d’abord, les limiers de la rue Cambon apprirent que le dit marché avait été signé sans le moindre appel d’offres, ensuite qu’il avait été rédigé sur une seule page et en prime, sur papier libre.

Et découverte ahurissante qui fit sursauter plus d’un magistrat financier, c’est Emmanuelle Mignon, la directrice du cabinet de Sarkozy qui avait apposé sa signature en 2007 au bas de la convention. Oui, Emmanuelle Mignon, conseillère d’Etat. Remis à la Commission des finances de l’Assemblée nationale, le rapport de la Cour des comptes fut divulgué sur le site de France Télévisions. Le scandale couvait. Tant et si bien que l’association Anticor, fondée en 2002 par Séverine Tessier qui sera assistante parlementaire de deux députés PS et  l’ex- juge Eric Halphen, qui instruisit jadis l’affaire des HLM de Paris et des Hauts-de-Seine, ne se fit pas prier pour porter plainte pour favoritisme et détournement de fonds publics. Le Parquet classera sans suite. C’était sans compter la détermination de l’avocat d’Anticor, Jérôme Karsenti, celui-là même qui sera à l’origine des poursuites contre François Pérol, le patron des Caisses d’épargne… L’avocat en effet, en novembre 2010, déposa plainte avec constitution de partie civile. Pour favoritisme. Visée ? Evidemment l’imprudence d’Emmanuelle Mignon.

Le juge Tournaire, tout juste arrivé de Marseille, habitué des dossiers hypersensibles se mit à instruire… Pas pour longtemps, le Parquet de Paris ayant fait appel de l’ordonnance du juge parisien. L’argument du Parquet ? Le magistrat ne peut instruire sur des collaborateurs du président de la République, ces derniers qui agissent sous la tutelle ou les ordres du chef de l’ Etat sont  couverts, comme le premier des Français, par l’immunité. Bref, c’est circuler, il n’y a rien à voir. En clair, M. le juge, vous ne pourrez aiguiser votre curiosité sur ces contrats de sondages, qu’en 2012… lorsque le président aura perdu son immunité et sera redevenu un citoyen comme les autres. Le Parquet fait donc appel de l’ordonnance de Serge Tournaire.

En novembre 2011, la chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris donnera raison au Parquet de Paris. L’arrêt écrit noir sur blanc : « L’instruction conduirait à exercer une action ou réaliser des actes d’information pouvant mettre en cause la responsabilité du chef de l’Etat. » Puis, se référant à l’article 67 de la Constitution, la chambre de l’instruction  estime que le président de la République ne pourrait pas « mener sa mission avec la sérénité nécessaire […] si ses collaborateurs proches pouvaient être l’objet d’investigations sur des actes directement liés à ses actions. » Et l’arrêt, très protecteur à l’égard du chef de l’Etat, conclut : « L’ouverture d’une information judiciaire aurait pour conséquence de permettre à un juge d’instruction[…] de réaliser une perquisition éventuellement au cabinet du Président de la République pour saisir les archives concernant la signature et l’exécution du contrat, ainsi que des auditions qui auraient pour but d’établir si le contrat a été conclu et exécuté à l’initiative exclusive de Mme Mignon où à la demande personnelle du président »

Effectivement, c’était le nœud du débat : si la directrice du cabinet a agi sur ordre du président, le principe de l’immunité semble absolu. Si tel n’était pas le cas, Emmanuelle Mignon pourrait être entendue. Depuis cet arrêt, beaucoup d’encre a coulé, notamment celle de la Cour de cassation qui est allée, le 19 décembre 2013, contre l’analyse de la Cour d’appel de Paris. Résultat : le juge Tournaire a pu instruire. Dans une atmosphère un peu pesante, chaque camp commençant à fourbir ses armes. Du côté de Me Karsenti, on assure que les sondages effectués lors des deux dernières années du quinquennat de Nicolas Sarkozy sont introuvables.

Du côté de Buisson, via son avocat Me William-Gilles Golnadel, on reproche à la garde des Sceaux, une éventuelle prise illégale d’intérêt puisqu’elle a fait partie du comité de parrainage d’Anticor… laquelle est à l’origine de l’information judiciaire ouverte sur ces fameux sondages. Ambiance. Mais de cela, le juge Tournaire n’est pas saisi. Ce qui l’intéresse, ce sont les dessous des signatures des conventions commandant  les dits sondages. Et pour quelles missions précises, ils ont eu lieu. Une chose est sûre : si l’instruction prospère quelques règlements de compte et phrases assassines contre  Patrick Buisson ne sont pas à exclure… Surtout quand on connait les fraiches relations qu’entretenaient par exemple Claude Guéant, Jean-Baptiste de Froment, l’ex-conseiller sondages et Julien Vaulpré, l’ex-conseiller opinion avec le maître sondeur de l’Elysée. Quant au publicitaire Jean-Michel Goudard, enregistré à son insu par Buisson, à coup sûr il ne  fera guère de compliments à la PJ ou chez le juge, sur son ancien complice élyséen.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !