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Congrès des Républicains : à peine nés et déjà décalés des attentes de leurs électeurs
©Reuters

Les Républicains face aux Français

Alors que les militants ont adopté à 83% le nouveau nom "les Républicains" vendredi, l'UMP tente de refaire peau neuve samedi lors du congrès de La Villette. Entre tentative de refondation et opération de séduction, la question des attentes des électeurs de droite est plus que jamais un enjeu que les cadres du parti doivent garder à l'esprit. Pourtant, un décalage idéologique profond semble poursuivre les élus UMP.

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Atlantico : Y a-t-il un décalage idéologique entre les cadres et la base des électeurs UMP ? Si oui, comment cela se manifeste-t-il ?

Jérôme Fourquet : On constate périodiquement que le centre de gravité idéologique des cadres et des élus, des dirigeants de l'UMP, est régulièrement en décalage avec les attentes et le centre de gravité idéologique de la base, militante ou adhérente, et même des électeurs. Pour s'y référer, on peut revenir par exemple à novembre 2012, au moment des élections internes à l'UMP avec les scrutins qui portaient sur les "mouvements", nom donné à l'époque aux courants de l'UMP. A la surprise de certains, le mouvement arrivé en tête était celui de la Droite forte amené par Guillaume Peltier et Geoffroy Didier avec 28% des voix, alors même que, sur un discours de fidélité à Nicolas Sarkozy, ce mouvement avait surclassé avec les voix des adhérents assez nettement le mouvement les Humanistes de Jean-Pierre Raffarin et d'autres personnalités. Ce mouvement d'ailleurs comptait un très grand nombre de soutiens parlementaires, un nombre de cadres bien plus important que ceux qui soutenaient la Droite forte notamment. Et pourtant c'est cette dernière qui est arrivée en tête, sur un discours assez droitier.

Autre illustration plus récente de ce décalage, au travers de la campagne de Nicolas Sarkozy en automne dernier lorsqu'il s'est présenté pour être élu président de cette formation politique. Sortant de sa retraite politique de l'année, quand il est rentré en campagne, on a pu voir qu'il a été surpris par beaucoup de réactions et que la ligne qu'il a défendue pendant cette campagne a évolué très rapidement par rapport à ses premiers discours. Il a fortement droitisé son propos au fur et à mesure qu'il faisait des déplacements car il se rendait compte que la base électorale de son parti était sans doute plus à droite qu'il ne le pensait. Il y a eu un changement de ligne marqué afin de répondre aux attentes de la base, des adhérents.

Immigration, lutte contre la délinquance et chômage, les priorités des électeurs de droite ne semblent pas correspondre réellement au programme de l'UMP notamment. Ce parti s'est-il détaché des considérations de sa base ?

Vincent Tournier : L’immigration, la délinquance et le chômage sont effectivement des priorités pour les sympathisants de l’UMP, mais ce sont aussi des priorités les sympathisants du Front national. Cela ne veut pas dire que ces deux électorats soient identiques, mais cela permet de mesurer toute la difficulté de la situation actuelle pour l’UMP puisque celle-ci doit à la fois satisfaire son électorat et se démarquer du FN.

Concernant le programme de l’UMP, on ne peut pas dire que celui-ci soit détaché de sa base pour la simple raison que le programme de l’UMP n’est pas encore finalisé. L’UMP a commencé à lancer ses « conventions thématiques ». Avec ces conventions, Nicolas  Sarkozy reprend la formule qui lui avait plutôt bien réussie en 2007, formule qui permet d’occuper progressivement le terrain. La première convention s’est tenue en mars et a porté sur le logement. Ce choix ne doit rien au hasard car une partie des électeurs UMP sont propriétaires de leur logement et s’opposent à la politique menée par la gauche, notamment la fameuse loi Duflot. En outre, la question du logement est un sujet plutôt consensuel entre les ténors de la droite.

On est donc dans une phase de montée en puissance. On voit bien, d’ailleurs, que Nicolas Sarkozy a commencé à envoyer des messages forts à ses électeurs potentiels, notamment sur l’immigration en déclarant qu’il voulait renégocier les accords de Schengen, au besoin en pratiquant une politique de la chaise vide.

La route vers l’élection commence la mobilisation de son propre camp. Cela implique de procéder par étape, en faisant certes des propositions, mais aussi en mettant sur la table tout ce qui a le don d’énerver ses électeurs pour leur donner un coup de fouet. Ce n’est pas un hasard si, dans ses ballons d’essai lancés fin 2014, Nicolas Sarkozy a proposé d’instaurer un contrat de cinq ans pour le recrutement des futurs fonctionnaires. On active ici la vibre « anti-fonction publique ». Car comme le montre le sondage de l’IFOP, s’il y a bien un sujet qui intéresse peu les sympathisants de l’UMP, c’est certainement l’avenir des services publics. Mais montrer du doigt l’Etat et ses fonctionnaires, c’est déjà davantage payant.

>> Lire également notre sondage exclusif Ifop : Et les priorités des Français pour les prochains mois sont...

Quid de l'écart idéologique entre les élus de l'UMP et les électeurs de droite ?

Jérôme Fourquet : Si l'on parle des électeurs de droite de manière plus globale, trois autres exemples sont intéressants concernant l'adaptation du positionnement et du discours dans le sens d'une droitisation pour plusieurs personnalités politiques qui se sont frottées à la réalité du terrain. Se faisant, ils ont découvert que leur base électorale était bien plus à droite qu'ils ne le pensaient. Quand Geoffroy Didier est arrivé à l'UMP, il était proche d'Hortefeux, il appartenait au mouvement la Diagonale rassemblant les sarkozystes de gauche. Voyez où il est aujourd'hui. Quand il est interrogé là-dessus, il explique être devenu conseiller régional dans le Val-d'Oise et qu'il a vu les problèmes sur le terrain. Laurent Wauquiez est aujourd'hui sur une ligne très droitière, souverainiste quant à la question de la construction européenne. Laurent Wauquiez vient d'un courant idéologique pro-européen, il est l'héritier spirituel de Jacques Barrot, vice-président de la Commission européenne de 2004 à 2009. Progressivement, Laurent Wauquiez a fortement droitisé son discours avec par exemple la dénonciation de l'assistanat, et ensuite la volonté de remettre complètement à plat l'Europe, repartir avec un noyau dur de quelques Etats, et remettre en cause les accords de Schengen. Dernière illustration : Bruno Le Maire qui fait partie de la noblesse d'Etat, il a fait le début de sa carrière en cabinet autour de Chirac. Il appartient à une droite plutôt classique et modéré. Aujourd'hui vous entendez le discours qui est le sien… Que s'est-il passé ? Entre temps, il s'est frotté au suffrage universel et a été élu dans l'Eure. Maintenant il appelle à une radicalité en politique, etc. Ces trois personnages venant de familles politiques différentes après d'être confrontés au terrain, à un électeur de droite de base, ont fortement bifurqué ! L'objectif est aussi de faire en sorte que l'électeur de gauche reste plutôt avec l'UMP plutôt que de rejoindre le Front national.

Ceux qui à droite ne sont pas sur ces positionnements-là, en simplifiant un peu, sont soit des élus issus du suffrage universel direct dans des territoires qui sont plutôt privilégiés comme Paris ou Bordeaux, soit sont des élus d'élus, comme sénateur, sans contact direct et quotidien avec le terrain.

Y a-t-il eu une évolution ces dernières années de la sociologie de des électeurs de droite ?

Vincent Tournier : La sociologie électorale de la droite a globalement peu changé, comme d’ailleurs la sociologie des partis en général. Les grandes spécificités restent à peu près les mêmes. Cela dit, d’après les chiffres de l’institut CSA, l’électorat de l’UMP semble s’être sensiblement féminisée depuis 2002, ce qui peut expliquer son évolution sur les questions relatives aux femmes. L’UMP semble aussi avoir gagné dans les milieux populaires.

Parallèlement, l’une des grandes constantes de l’UMP est de rester très implantée chez les personnes âgées et les retraitées. Cette caractéristique a des implications importantes. Les électeurs âgés sont par exemple concernés par la politique du logement car ils ont souvent un patrimoine immobilier. De plus, ces électeurs sont plus préoccupés par l’insécurité, à la fois parce qu’ils sont plus vulnérables mais aussi parce qu’ils sont des proies recherchées. Ce sont aussi des électeurs qui ont une mémoire et qui, de ce fait, ont conscience des transformations qui ont marqué la France depuis une quarantaine d’années.


Si pendant des années la gauche donnait le tempo en matière de priorités politiques, aujourd'hui la droite parvient à imposer ces thématiques favorites. Pourtant l'audience partisane de l'UMP reste en dessous des espoirs que pouvait susciter cette formation politique ; en 2015, 20% des Français en âge de voter désignent l'UMP comme le parti dont ils se sentent le plus proche. C'est ce que révèle un sondage CSA pour Le Figaro. Comment expliquer ce chiffre ?

Vincent Tournier : Peut-on vraiment dire que la droite impose ses thématiques ? Les militants de droite auront tendance à dire exactement le contraire. En fait, il serait plus juste de dire que la gauche s’est « droitisée » sur certains points (l’économie de marché, l’Europe, la réduction des déficits), ce qui tient davantage à une évolution de la gauche elle-même qu’à une victoire de la droite, laquelle s’est de son côté «  « gauchisée » sur les questions de société.

Concernant le soutien à l’UMP, il me semble que, au-delà de ce chiffre assez bas, dans lequel on peut surtout voir le reflet de la mauvaise image des partis politiques, il faut s’intéresser aux évolutions. Dans la période 2005-2007, Nicolas Sarkozy a impulsé une vraie dynamique puisque la proportion de Français qui se disaient proches de l’UMP était passée de 16% à 25%. Durant son quinquennat, ce soutien a ensuite baissé pour revenir à 17% en 2011, baisse qui s’explique par le phénomène classique d’usure du pouvoir.

Depuis 2012, il y a eu un regain de popularité puisqu’on est revenu à 20-21%, conséquence logique de l’impopularité de la gauche. Le problème est que cette proportion stagne, ce qui laisse à penser qu’il n’y a pas de dynamique positive en faveur de l’UMP. Toute la difficulté pour Nicolas Sarkozy est donc de relancer une dynamique de progression. C’est pour cela que sa stratégie est orientée vers l’UMP. Cette stratégie comporte deux volets. Le premier est de renouveler l’image de l’UMP, d’où le changement de nom et de logo. Le second volet est d’attirer de nouveaux adhérents. Pour cela, Nicolas Sarkozy veut créer une sorte d’intéressement pour les adhérents. En somme, il leur fait miroiter la possibilité de participer à deux votes : le premier porte sur le changement de nom « Les Républicains » ; le second concerne la désignation des présidents de fédérations départementales. Ce dernier point est très important, non seulement parce que cela donne un nouvel intérêt à l’adhésion, mais aussi parce que cela va obliger les présidents de fédérations à faire la chasse aux adhérents.

On verra dans les mois qui viennent si cette stratégie réussie ou échoue. Le but est ambitieux puisqu’on parle de 500.000 adhérents, ce qui représente le double de la situation actuelle (il y avait officiellement 260.000 électeurs inscrits en 2014 lors du vote du président). La réussite ou l’échec de cette dynamique risque de peser lourd sur le résultat de la primaire, dont il faut rappeler qu’elle n’est pas encore complètement acquise à Nicolas Sarkozy puisque celui-ci n’a été élu qu’avec 64% des voix des adhérents. Or, pour cette élection, il n’avait en face de lui que Bruno Le Maire (qui a obtenu 29%) et Hervé Mariton (6%). Face à des personnalités comme Alain Juppé et François Fillon, l’issue n’est pas encore assurée.

51% des sympathisants de l’UMP sont âgés de 50 ans ou plus quand 61% de ceux du FN ont moins de 50 ans. Est-ce un avantage ou un inconvénient pour l'UMP ?

Jérôme Fourquet : On sait que les tranches d'âges les plus âgés sont les moins abstentionnistes. Ainsi en période de basses eaux l'UMP peut sauver les meubles ou alors prendre le large quand le parti a le vent derrière. Structurellement l'UMP est avantagé par cet électorat qui se déplace davantage. Ensuite avoir un électorat qui est majoritairement âgé pose des questions. Quelles sont les prises avec les jeunes générations, quelle écoute leur accorde-t-on… En matière de dynamisme et de renouvellement, des soucis peuvent se poser à terme.

13% des sympathisants du Front national sont des électeurs qui ont voté en faveur de Nicolas Sarkozy au premier tour de la présidentielle en 2012 mais qui affirment aujourd’hui plus proches du Front national que de l’UMP d'après un sondage CSA pour le Figaro. Comment les futurs Républicains peuvent arriver à séduire de nouveau ces électeurs perdus ?

Vincent Tournier : Ce que montrent les dynamiques électorales depuis une quinzaine d’années, c’est au fond qu’il existe trois électorats à droite. On a d’abord le noyau dur des électeurs FN. Ces électeurs sont dans une attitude de rupture profonde avec le système politique. Ils rejettent les partis de gouvernement et préfèrent s’abstenir plutôt que de voter pour les candidats du « système UMPS ». De l’autre côté, à l’opposé, il y a les électeurs qui récusent par principe le vote frontiste.

Donc, l’enjeu aujourd’hui pour l’UMP porte sur les électeurs qui se situent entre ces deux extrêmes. Il s’agit d’un électorat très critique, qui partage beaucoup d’idées avec le Front national, notamment sur l’immigration et l’insécurité. Cet électorat est tenté par le vote FN surtout depuis la « dédiabolisation » de Marine Le Pen. Il est prêt à voter FN pour exprimer son mécontentement, mais il reste proche de la droite traditionnelle et accepterait de revenir au bercail si l’UMP muscle son programme. C’est ce qui s’est passé en 2007, où Nicolas Sarkozy a littéralement siphonné l’électorat de Jean-Marie Le Pen qu’il a ramené de 17% en 2002 à 11% en 2007. La question est de savoir s’il pourra refaire le même coup en 2017 ? Ce n’est pas évident car il doit assumer son bilan d’ancien président, qui n’est pas jugé très bon par ces électeurs un peu radicaux. Pour compenser son manque de crédibilité, il va devoir durcir son discours. C’est déjà ce qu’il a déjà commencé à faire en mettant en avant l’islam et le respect des traditions nationales. Mais le risque est de heurter un électorat de droite plus modéré, qui pourrait lui préférer Alain Juppé dans une primaire.

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