Mer de Chine méridionale : l’inquiétant nouveau théâtre des prétentions territoriales chinoises<!-- --> | Atlantico.fr
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Des marins de l'armée chinoise.
Des marins de l'armée chinoise.
©Reuters

Petite partie de Risk

Alors qu'un grand sommet de sécurité régionale doit se réunir à Singapour le week-end du 30 et 31 mai, la Chine poursuit sa stratégie d'appropriation et de construction dans les eaux internationales.

Jean-Vincent Brisset

Jean-Vincent Brisset

Le Général de brigade aérienne Jean-Vincent Brisset est chercheur associé à l’IRIS. Diplômé de l'Ecole supérieure de Guerre aérienne, il a écrit plusieurs ouvrages sur la Chine, et participe à la rubrique défense dans L’Année stratégique.

Il est l'auteur de Manuel de l'outil militaire, aux éditions Armand Colin (avril 2012)

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Valérie Niquet

Valérie Niquet

Valérie Niquet est Maître de recherche et responsable du pôle Asie à la FRS.  Elle est l'auteure du livre "La puissance chinoise en 100 questions" aux éditions Tallandier.

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Atlantico : Construction de ports, de pistes d'atterrissages ou autres infrastructures : la stratégie d'appropriation de terre chinoise continue dans des eaux internationales. Depuis quand date-t-elle ? Comment cette stratégie de grignotage se met-elle en place ?

Valérie Niquet : C'est à partir des années 1970 que la Chine a commencé à affirmer ses revendications dans la zone, et notamment à partir de l'affaiblissement du Vietnam qui était en guerre. Dans les années 1980, la Chine s'empare d'un premier archipel, celui des Îles Paracels, revendiquées par le Vietnam et qu'elle occupe aujourd'hui. Au fur et à mesure du développement de ses capacités navales, qui au début était très limitées, la Chine a étendu ses prises de position en fonction des opportunités en Mer de Chine Méridionale, en saisissant un certain nombre d'îlots qui appartenaient soit au Vietnam, soit au Philippines, dans l'archipel des Spratleys. Depuis la fin des années 2000, la Chine a renforcé considérablement ses revendications et ses avancées. En 2009, elle a notamment commencé à parler de ses intérêts vitaux sur mer -ce qui était nouveau- en multipliant les incidents et les incursions en Mer de Chine méridionale. La cible favorite étant les Philippines et le Vietnam.

Depuis cette année, la Chine a choisi une nouvelle stratégie. Pour essayer de conforter sa présence, elle renforce et multiplie les constructions sur les îlots. Les objectifs sont multiples : accélérer pour marquer son territoire ; renforcer ses revendications en Mer de Chine méridionale ;  et donner aux gardes côtes et aux bateaux de pêche chinois des lieux où relayer la présence chinoise, pour imposer ses positions dans la région.

Jean-Vincent Brisset : Plusieurs choses s'entremêlent actuellement, et certaines d'entre elles sont visibles depuis longtemps. Sur ce qu'elle estime être de son droit, la Chine s'étend et souhaite établir sa souveraineté, avec une vision à long terme. Pour le moment cette volonté est maritime, mais risque de devenir terrestre dans peu de temps car la Chine entretient de vieilles revendications terrestres avec la plupart de ses voisins. Un deuxième élément est la difficulté à laquelle se confronte le Président chinois, Xi Jinping, sur des questions de gouvernance. Pour s'imposer, il recourt à de vieilles techniques qui mêlent nationalisme, lutte contre la corruption et dénonciation de l'ennemi japonais. Ce sont des recettes qui ont toujours marché dans l'Histoire de la Chine, et qui ne datent pas du régime communiste. Enfin, si la volonté de réussir aux yeux du monde les Jeux-Olympiques de 2008 et l'exposition universelle de 2010 pouvaient représenter un frein, la Chine n'a plus de rendez-vous majeur pouvant contraindre une expansion agressive. Un dernier point important est le retour de la fierté chinoise chez la population, avec notamment l'importance des Jeux-Olympiques. Et qui dit fierté dit effacement des humiliations, et notamment des "traités inégaux".

Quels sont les objectifs réels de cette stratégie ?

Valérie Niquet : Le discours chinois mentionne le contrôle de ses routes maritimes, de ses intérêts sur mer, comme la pêche ou les ressources énergétiques (avec beaucoup de doute sur une présence réelle). Voilà pour le discours. Plus fondamentalement, il faut bien comprendre que l'avancée de la Chine sur la Mer, le renforcement des revendications chinoises et la hausse des capacités navales de la Chine ont un objectif essentiel : renforcer le prestige de la Chine et affirmer la puissance du régime au pouvoir. L'objectif premier de cette stratégie est de légitimer le Parti Communiste chinois, notamment depuis l'arrivée de Xi Jinping, qui propose un discours beaucoup plus nationaliste, sur le rêve chinois et la renaissance de la nation chinoise. Les objectifs de politique intérieure sont fondamentaux. Ce n'est pas pour des ressources énergétiques qu'il y a des tensions en Mer de Chine. La tension découle de la volonté du Parti Communiste de trouver de nouvelles sources de légitimité.

Jean-Vincent Brisset : Il y a donc une stratégie externe à long terme et un objectif interne de remobilisation nationale. Actuellement en Chine, les inégalités croissent, et la consommation intérieure n'est pas autant développée qu'on pouvait l'espérer. Le gouvernement tente notamment de combler les potentiels effets déstabilisants de ces inégalités internes par cette stratégie externe, pour légitimer son pouvoir. La Chine s'engage sur des objectifs à sa portée, qui sont en même temps des objectifs à long terme.

Les américains s'agacent de cette stratégie, quelles sont les réponses apportées ? Quels sont les réactions des voisins régionaux ?

Valérie Niquet : La première réponse est diplomatique. Depuis plusieurs années, les pays de l'ASEAN (l'Association des Nations de l'Asie du Sud-Est), riverains de la Mer de Chine, demandent à la Chine de signer un code de conduite, qui gèlerait les revendications des uns des autres (la Chine n'est pas la seule à avoir des prétentions dans cette mer, même si elle reste la seule à revendiquer l'ensemble de la zone). La Chine promet régulièrement de discuter de ce code de conduite, mais n'a jamais accepté de s'engager, jusqu'à maintenant, sur ce code, qui aurait pour objectif de limiter les tensions, en interdisant par exemple la construction de nouvelles pistes d'atterrissage sur certaines îles ou le recours à la force pour régler les litiges régionaux. Les pays de la région, qui étaient plutôt non-interventionnistes et prudents, sont aujourd'hui en forte demande auprès de puissances extérieures à la région, et qui ont la force militaire de contrôler les prétentions chinoises. Les Etats-Unis sont au premier rang, avec leur stratégie de "pivot", qui était notamment une manière de répondre aux inquiétudes des pays de la région. Beaucoup plus récemment, la Chine a fait plusieurs déclarations, en rappelant qu'elle s'opposerait à toutes transgressions dans ces eaux territoriales, autour de ses îlots. Les Américains demandent un point d'arrêt à cette stratégie chinoise, et font exprès de traverser les zones que la Chine revendique comme sienne sans aucun base légale, pour montrer à Pékin que sa stratégie de provocation n'a pas de résultats positifs. La Chine multiplie les avancées avec la "stratégie du salami" : elle coupe en tranche, petit à petit, et multiplie les avancées dans la zone. Mais en cas d'opposition frontale, la marine chinoise n'aurait pas les capacités de s'opposer à la marine américaine ou japonaise. La Chine ne peut avancer que si elle ne rencontre aucune résistance face à elle.

Jean-Vincent Brisset : Ce sont principalement les voisins régionaux qui sont concernés. Les Américains sont une partie de l'équation, mais pas forcément la plus grosse.Les pays les plus directement concernés sont les Philippines et le Vietnam. C'est assez extraordinaire, avec le Vietnam et les Etats-Unis, de voir que des pays qui se sont livrés une guerre dure se réconcilient et s'appellent à une aide mutuelle qui est en train de devenir militaire, contre un adversaire commun.

Il y a une volonté de réponse régionale. Les pays de l'ASEAN ne sont néanmoins pas alignés sur la réponse à apporter. Certains pays, Cambodge et Laos surtout, sont très dépendants de la Chine et "sabotent" toutes les tentatives faites au sein de l'ASEAN pour trouver une position commune, particulièrement l'établissement d'un code de conduite, demandé depuis des années par l'organisation économique.

Jusqu’où peut aller cette expansion chinoise ? Est-ce que l'équilibre actuel entre les deux plus grandes puissances du monde pourrait être menacé par cette nouvelle crise ?

Valérie Niquet : Tout d'abord, rappelons que les puissances ne sont pas équivalentes. La puissance chinoise est encore très loin d'approcher la puissance américaine, y compris d'un point de vue militaire –même si la Chine a fait de gros progrès dans le domaine. Les Chinois, depuis plusieurs années, avancent en évitant une implication américaine. Ces derniers, au-delà du pivot, veulent aujourd'hui donner des signaux forts au chinois, pour mettre un point d'arrêt à cette stratégie.

L'expansion chinoise peut difficilement  aller au-delà de la Mer de Chine. Cette expansion est déjà une avancée considérable par rapport aux décennies précédentes,où elle était beaucoup plus concentrée sur son territoire. Si on laisse la Chine développer ses capacités militaires et cette stratégie sans réagir, elle aura en revanche la tentation d'aller plus loin, et de repousser la présence américaine en Asie au-delà des limites du Pacifique Ouest et de la zone orientale du Pacifique. C'est ce que le Président chinois sous entendait quand il expliquait que le Pacifique était assez grand pour deux grandes puissances, avec l'idée du partage du monde entre Pékin et Washington.

Jean-Vincent Brisset : Les îles Spratleys sont entre le Vietnam, les Philippines et la Malaisie, donc très au Sud. Certaines revendications ont même concerné, il y a vingt ans, les îles Natuna, tenues par l’Indonésie, et donc encore plus au Sud. La Chine justifie sa volonté d'expansion des "souvenirs historiques" très difficiles à fonder. Et tant que la Chine pourra aller plus loin, elle essaiera. Il faut aussi comprendre qu’il y a un profond consensus national pour une domination chinoise régionale, un Empire du Milieu rétabli dans sa gloire et entouré de vassaux obéissants. Par contre, le fait de devenir une puissance mondiale dominatrice ne fait sans doute pas rêver tous les Chinois.

Pour l'équilibre, 40% des routes maritimes commerciales passent par la Mer de Chine du Sud. Une partie du commerce mondial dépend de la stabilité dans cette région. Un conflit dans la zone aurait d’abord des répercussions immédiates sur le commerce international et sur les approvisionnements dans beaucoup de domaines où la Chine, usine du monde, est en position de quasi-monopole. Mais il conduirait aussi, dans le plus long terme, à isoler un pays qui est désormais incontournable dans le concert des nations.

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