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Alexandre Loukachenko : quand le dernier dictateur d’Europe se rapproche de l’UE
©Reuters

Une question d'intérêt

Dirigé d'une main de fer par Loukachenko depuis 1994, le pays possède tous les attributs d'une dictature : opposition muselée, liberté d'expression nulle, élections truquées.

André Filler

André Filler

Maître de conférences au département d’études slaves de Paris VIII, conférencier et enseignant de langues étrangères (russe, letton suédois et anglais), André Filler écrit des chroniques politico-culturelles mensuelles "Vues russes" et "Vues françaises" dans Borås Tidning, quotidien régional suédois.

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Atlantico : Concrètement, comment ont évolué les relations entre la Biélorussie et l'Europe de l'Ouest ? Quel est l'agenda des états Européens ?

André Filler : Dès le début de la crise Ukrainienne, la Biélorussie a adopté une politique de prudence. Le gouvernement de Loukachenko est resté neutre tout au long du conflit, il ne soutient ni l'Ukraine ni la Russie.

L'Union Européenne s'attendait à ce que le pays se rallie à l'ancien Président ukrainien Viktor Iouchenko, ce qui aurait pu donner lieu à un Printemps Biélorusse. Si, Loukachenko a toujours été russophile, il s'est montré fin stratège en imposant une neutralité extrême à son pays.  En outre, il a quitté cette image de brute épaisse qui lui collait pourtant à la peau !

Ce choix lui a valu d'être considéré comme intermédiaire désintéressée par la Russie tout comme l'Union Européenne. Ce qui soit n'est pas totalement vrai, puisqu'il dispose d'un agenda propre, notamment du point de vue des intérêts économiques du pays !  Peu importe, la majorité des sommets internationaux dédiés à l'Ukraine ont eu lieu à Minsk –capitale Biélorusse- signe extraordinaire de la reconnaissance de son régime et de sa personnalité. D'avantage, pour un Président qui jusque-là était frappé par l'interdiction de pénétrer dans l'espace Schengen !  Or, aujourd'hui il se pavane comme hôte généreux devant le monde entier, accueillant les Français, les représentants de l'Union européenne, les plus grands chefs d'Etat au monde… Cependant, si c'est une étape importante, cela ne veut pas dire qu'il se rend lui-même dans ces pays : les échanges et déplacements restent unilatéraux ! Le voilà endossant le rôle –très paradoxale- de juge de paix, c'est une victoire tout autant indiscutable qu'incroyable pour lui !

L'Europe a à présent tout intérêt à se rapprocher de Loukachenko. Non pas dans le but d'instaurer un régime démocratique en Biélorussie –le peuple n'y est pas près- mais en vue de transformer son Président en moyen de pression contre Vladimir Poutine.  

Ceci étant dit, Loukashenko va devoir apprendre à gérer quatre de ses faiblesses :

  • son objectif et son envie suprême de rester au pouvoir, sans abandonner son poste de dictateur.
  •  son projet de léguer, à terme, son pouvoir à son fils cadet, faisant de lui un dauphin des temps modernes.
  •  l'influence totale de Vladimir Poutine sur lui ce qui – le rendant achetable et influençable – pourrait lui jouer de mauvais tours.
  • sa soif sans fin de reconnaissance, bien plus à présent qu'il n'est plus uniquement le père de la nation, un gestionnaire efficace, mais aussi l'homme qui reçoit les plus grands !

En pariant sur ces quatre talons d'Achille, l'Europe espère se rapprocher du dictateur pour l'utiliser, ensuite, comme cheval de Troie nécessaire au dérèglement du système de Poutine.

Quelle est la position du gouvernement biélorusse vis-à-vis de l'Europe ? Se rapprocher de l'Europe ne serait-ce pas risquer ses relations avec la Russie ?

Tout est une question de degrés et de marges millimétrées. Pour le moment, personne ne sait si l'attitude biélorusse relève d'un scénario orchestré par la Russie qui chercherait à annuler les sanctions qui lui ont été imposées par l'Union Européenne. Lukaschenko pourrait très bien agir en agent double, mais tout cela n'est qu'hypothèse… La Russie ne regarde pas le dictateur d'un mauvais œil, mais quelle est réellement la marge de manœuvre des uns et des autres…

Loukachenko joue aussi des intérêts à la fois économiques et commerciaux. Se doter d'une deuxième source de revenu -  autre que la Russie – serait un plus pour le pays. On peut supposer qu'avec une possible levée des sanctions pesant sur son pays, les entreprises européennes n'hésiteraient plus à délocaliser leurs usines dans un pays où la main-d'œuvre est disciplinée et peu chère.   

Bien que l'opposition soit peu importante, que pense-t-elle de ce possible rapprochement avec l'Europe ? Ne serait-ce pas pour elle une façon de maintenir son existence et éventuellement de gagner du pouvoir ?

Il existe trois sortes d'opposition en Biélorussie. La première est l'opposition historique, aujourd'hui dispersée à l'étranger. Elle est occidentaliste centrée autour de la figure de l'ancien président biélorusse. Elle se fonde sur deux principes : le retour à l'authenticité (aujourd'hui le pays est majoritairement russophile, le biélorusse étant très peu parlé) ainsi que le retour à une démocratie parlementaire à l'occidentale, libre et libertaire.

La deuxième opposition est intérieure au pays. Elle est en partie visible, avec des candidats se présentant régulièrement aux élections fantoches, de véritables hommes et femmes politiques… Néanmoins, ils sont tous sévèrement réprimés, muselés et parfois physiquement éliminés.

La dernière opposition consiste en la diaspora biélorusse basée majoritairement en France, Angleterre et aux Etats-Unis. Elle ne joue actuellement aucun rôle politique, mais si jamais le régime changeait elle pourrait être sollicitée et occuper des postes clefs au sein d'un nouveau gouvernement démocratique. 

Comment le président Biélorusse tient-il ses citoyens ? D’où viennent cette fascination et cette attirance presque pathologique pour le modèle soviétique ?

La Biélorussie aujourd'hui est la dernière dictature d'Europe. Je commencerai par rappeler qu'il y a une vingtaine d'années, la Biélorussie était une démocratie bouillonnante. Avec un front populaire et des revendications identitaires très puissantes, bénéficiant d'un grand soutien de la population, et un Président à sa tête. L'arrivée du Président Loukachenko, démocratiquement élu, est une sorte de "contre-réforme", un projet restaurateur. Mais n'est pas un projet de transition dictatoriale comme on peut l'observer en Asie Centrale, où des exemples de dictatures soviétiques ont été mutées en dictature post-soviétique. Il y a chez les Biélorusses, un souvenir ou la société était extrêmement libre et vibrante.

Le Président tient sa population par plusieurs moyens, et, comme toute dictature, par la coercition : musellement de l'opposition et de la liberté d'expression, omniprésence d'un système de service de sécurité intérieure, héritier du KGB, un système de délation, etc. Le Président tient également sa population en proposant un modèle rassurant. Le succès de toute dictature est son côté rassurant. Pinochet était rassurant, Batista était rassurant, Fidel Castro est devenu rassurant. La dictature rassure la majorité, et inquiète la minorité. Loukachenko a très habilement joué sur ce côté rassurant : oui, nous ne sommes pas riches ; oui nous ne sommes pas libres ; mais nous avons une forme de tranquillité et de minimum syndical, nos rues sont propres et le chômage est plutôt bas. Cette expérience peut marcher et tenir un certain nombre d'années, dans un tout petit pays. Dans l'Union Soviétique, le poids de l'Etat était beaucoup trop lourd. Loukachenko joue très habilement sur un côté émotionnel avec ses citoyens, pour leur vendre un modèle soviétique.

A quoi ressemble la vie quotidienne d'un biélorusse moyen ? Ou travaille-t-il ? Rêve-t-il de s'enrichir dans un pays converti au capitalisme ?

L'écrasante majorité des citoyens travaillent pour le gouvernement. Comme dans toutes les sociétés qui veulent masquer le chômage, le gouvernement invente des fonctions, et multiplie les postes. On observe ainsi des surveillants qui surveillent les surveillants, eux-mêmes surveillés par d'autres. On arrive très facilement à six échelons. Si chacun reçoit 10% de ce que vaut réellement le travail, l'Etat ne fait pas faillite, et le chômage se retrouve proche de zéro. Les biélorusses se retrouvent confrontés à des emplois démultipliés au sein du secteur public. Le modèle biélorusse laisse peu de marge à l'initiative économique du citoyen.

Les instituts de sondage en Biélorussie sont extrêmement orientés. Il est difficile de savoir si les Biélorusses souhaitent voir le développement de l'économie de marché et l'élargissement du secteur privé.

L'Ukraine s'est révoltée et est aujourd'hui en guerre. La Biélorussie pourrait-elle connaître ce destin ? Pourrait-elle s'inspirer de son voisin du Sud ?

Aujourd'hui, la Biélorussie est extrêmement prudente. Toutes les rencontres autour de l'Ukraine, impliquant des partenaires occidentaux, ont eu lieu à Minsk (où se sont rendus Monsieur Hollande et Madame Merkel). La Biélorussie s'est taillé un rôle de juge de paix, et n'est pas du tout partie prenante dans le conflit ukrainien. La Biélorussie joue le rôle politique du "yoyo" entre l'Occident et la Russie. Elle joue sur le durcissement des menaces pour influencer les sanctions et dotations.

Si demain, le Président Poutine décide de couper le fil qui le lit avec la Biélorussie, ce dernier se transforme en Etat banqueroute. Le lien économique est très fort, et la Biélorussie de Loukachenko est entre les mains de la Russie. Poutine utilise régulièrement Loukachenko, notamment dans les médias qu'il contrôle, pour paraître en démocrate. Ce qui lit les deux Présidents, c'est leur dépendance au soutien populaire.

Le Président Loukachenko a été extrêmement prudent au moment des protestations de Maïdan, en Ukraine, expliquant qu'une telle révolte est impossible dans un pays ou le peuple et le pouvoir ne sont pas en rapport d'antagonisme. Il n'a pas soutenu le Président Viktor Ianoukovytch. Enfin, il est un des grands gagnants économique du conflit, en étayant son commerce de produit de consommation venu d'Occident. La Biélorussie ne dispose d'aucune sortie maritime, mais on observait des situations inédites : tout le saumon norvégien était par exemple reconditionné en Biélorussie et réexpédié, en tant que production biélorusse, à destination de la Russie.

Pour Loukachenko, si le conflit perdure, il devient précieux aux yeux de l'Occident ; se rend indispensable aux yeux du Président Poutine ; et il justifie enfin le durcissement de son régime, pour éviter contestations et oppositions.

Comment obtenir un visa pour la Biélorussie ? Peut-on faire du tourisme dans la dernière dictature européenne ?

Certains types de visa russes permettent d'accéder à la Biélorussie, et il existe une Union douanière entre la Russie et la Biélorussie. Cela reste très compliqué, même si ce n'est pas la Corée du Nord.

Le tourisme n'existe pas. Il n'y a, et il faut s'en féliciter, pas de tourisme idéologique, comme il peut y en avoir en Corée du Nord. La Biélorussie a été martyrisée pendant les combats de la Seconde Guerre mondiale, et il y a peu de chose à voir, outre le château de Niasvij et une très belle nature. Ce qui ne veut absolument pas dire, que se rendre en Biélorussie en tant que touriste est impossible. Pour se rendre dans ce pays, il suffit d'acquérir un visa auprès des autorités russes, ce qui est relativement simple. 

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