Construction européenne : pas si anti-démocratique que ça !<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Europe
Le référendum grec repose la question de la place du peuple dans la politique européenne.
Le référendum grec repose la question de la place du peuple dans la politique européenne.
©

Hymne à la joie

Le référendum grec repose la question de la place du peuple dans la politique européenne. Mais analyser l'histoire de l'Union européenne comme une construction élitiste qui néglige les aspirations populaires serait abusif...

Sylvain Kahn

Sylvain Kahn

Professeur agrégé à Sciences Po, où il enseigne les questions européennes et l’espace mondial. Sylvain Kahn est professeur agrégé au sein du département d’histoire à Sciences Po. Depuis 2001, il enseigne les questions européennes. Docteur en géographie et diplômé de géopolitique, agrégé d'histoire, normalien et chercheur au centre d’histoire de Sciences Po, il a publié aux PUF Histoire de l’Europe depuis 1945 ; Le pays des Européens avec Jacques Lévy chez Odile Jacob ; Géopolitique de l’union européenne et Dictionnaire critique de l’Union européenne, chez A. Colin ; et Les universités sont-elles solubles dans la mondialisation ? chez Hachette. Il est le responsable et le co-auteur du mooc Géopolitique de l’Europe, diffusé en ligne en français et en anglais sur les plates-formes Coursera et Fun. Chercheur au centre d’histoire de Sciences Po, ses travaux portent principalement sur deux sujets : la place et le rôle de l’Etat-nation dans la construction européenne ; la caractérisation de la territorialité de l’Union européenne.

Voir la bio »

Atlantico : Le débat autour du référendum grec proposé par le Premier ministre Georges Papandréou ne met-il pas en avant plus largement le déficit de légitimité populaire de la construction européenne ?

Sylvain Kahn : Jusqu’à la ratification du Traité de Maastricht, en 1992, les chercheurs en science politique ont pu parler de « consensus permissif », c’est-à-dire que les différentes étapes de la construction européenne ont été portées par des partis politiques qui bénéficiaient chacun du suffrage populaire lors des élections dans chaque pays. Il est par conséquent difficile de se contenter d’affirmer qu’il existe en Europe un déficit démocratique ! Dans les vies politiques nationales, le référendum est rarement utilisé pour faire passer une réforme. En général, celles-ci sont votées par les parlements – et donc par les représentants du peuple - et cela apparaît comme légitime.

Ainsi, lorsque j’entends dire que les peuples européens ne sont pas consultés, il faut relativiser : même pour réformer la constitution, le référendum est rarement utilisé en France.

Selon vous, prétendre que la construction européenne s’est faite sans ou contre le peuple est donc faux ?

Certains de mes collègues vous diraient que c’est le cas. Par exemple, le sociologue Marc Joly a écrit Le mythe Jean Monet où il affirme que la construction européenne a été réalisée par les élites. Un autre collègue allemand, Hans Magnus Enzensberger a décrit l’Europe comme un « Monstre doux » dans lequel il s’inquiète du pouvoir pris par la technocratie bruxelloise dans un certain nombre de législations qui concernent notre vie quotidienne. Il ne faut donc pas être euro béat : il existe un certain nombre de raisons pour affirmer qu’effectivement la construction européenne s’est bâtie sans l’aval des peuples.

Cependant, selon moi, il faut voir d’où l’on vient : les hommes politiques qui ont souhaité partager la souveraineté nationale dans les années 1950-60 l’ont fait car les classes politiques des années 1920 à 1945 avaient failli au nom du nationalisme, en développant des concurrences guerrières qui oubliaient le progrès social et économique. Donc l’idée qu’on ne pouvait plus faire confiance aux Etats n’est pas tombée de la planète Mars ! Dans un tel contexte, on peut comprendre la préférence pour la supranationalité.

Par ailleurs, prétendre que la construction européenne a été réalisée par une élite conduit à s’interroger sur ce terme : de qui parle-t-on lorsqu’on évoque une « élite » ? Des plus riches ? Des universitaires ? Des syndicalistes ? Des cadres politiques ?

Reste qu’il est vrai que depuis les années 1990, il y a une perte de confiance : avec l’accroissement des inégalités et la progression du chômage, les citoyens de différents pays d’Europe ont exprimé, à travers plusieurs référendums, leur attachement aux objectifs principaux de la construction européenne, présents dans le Traité de Rome initial :  à savoir le progrès économique et social ainsi que la réduction des inégalités régionales. Or,  l’Europe n’atteint plus ces objectifs.

Et si le référendum a effectivement lieu et que le peuple grec vote contre le plan de sauvetage ou contre l’appartenance de la Grèce à la zone euro ?

Le plan de sauvetage peut être perçu par les Grecs comme un affaiblissement de leur situation. Une majorité peut donc le refuser. Mais tout dépend de la question posée : s’agit-il de demander s’ils sont pour ou contre le plan de sauvetage ou pour ou contre le fait de rester dans la zone euro ? La situation sera bien plus difficile pour les Grecs s’ils sortent de la zone euro puisque l’Europe contribue puissamment au sauvetage de leur épargne.

Quoi qu’il en soit, si jamais les Grecs votent « non », ce sera bien-sûr un problème pour l’Europe, mais il ne sera pas insoluble.

Evidemment, quand on parle de référendum en Europe, on a tous en mémoire ce qui s’est passé en Irlande à l’occasion de la ratification du Traité de Lisbonne de 2008. Le pays a voté deux fois « non », au Traité de Nice en 2001 et au Traité de Lisbonne en 2008, avant de voter « oui » les deux fois un an plus tard. Mais il ne faut pas croire – comme on le présente trop souvent – que les Irlandais ont changé d’avis parce que les autres pays européens leur ont mis la pression ! Ils ont fini par voter « oui » car ils ont obtenu des modifications du projet de traité qui les ont rassurés.

Prenons également le cas du Royaume-Uni : dans les années 1970, le pays se trouvait dans une crise économique importante. Une nouvelle majorité travailliste gagna les élections en 1974 avec dans son programme une remise en cause de l’appartenance au Marché commun intégré un an plus tôt. Un référendum est organisé en 1975 et, contre toute attente, les Britanniques votent à une large majorité pour le maintien du Royaume-Uni dans l’Europe avec 57,2% de « oui ». Cela montre que rien n’est jamais joué d’avance.

Pour revenir à votre question sur les Grecs, on peut penser que Georges Papandréou s’est laissé impressionné par les manifestations dans son pays, mais il est difficile d’interpréter la représentativité précise de ces mouvements. Ils sont dirigés contre l’austérité drastique. On ne peut pas affirmer que ces manifestations rejettent en bloc la construction européenne. Et si ce référendum grec permet de lancer un débat citoyen et politique dans toute l’Europe, il n’y a pas de raison d’avoir peur.

On pourrait même, imaginer une alternative en disant :  puisque nous sommes à un tournant majeur où l’on passe à un fédéralisme budgétaire, pourquoi ne pas procéder à une auto-dissolution du Parlement européen et à de nouvelles élections ? Les partis feraient leurs propositions sur les réformes en cours et celles à mener pour régler la crise de la zone Euro, et les électeurs feraient leurs choix entre ces propositions.

Finalement, ces questions autour de la démocratie européenne ne se résument-elles pas à l’absence de « peuple européen » ?

Quoiqu’en dise Jürgen Habermas, on ne peut pas parler pas de peuple européen comme on parle d’un peuple national. Nous sommes, à l’échelle de l’Union européenne, dans une démocratie de troisième type qui correspond à la spécificité des institutions européennes. Il y a les démocraties nationales. Il y a le Parlement européen, issu du suffrage universel. Quant aux chefs d’Etats et de gouvernement, leur légitimité procèdent des majorités parlementaires issues d’élections au suffrage universel. Ceux qui prétendent que les Sommets européens, comme celui du 27 octobre dernier, sont adémocratiques se trompent.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !