Référendum britannique sur l’UE : comment faire d’un défi perfide une chance pour forcer l’Europe à renouer avec la démocratie<!-- --> | Atlantico.fr
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David Cameron a annonce que le référendum britannique sur la sortie de l'Union européenne aura lieu en 2016
David Cameron a annonce que le référendum britannique sur la sortie de l'Union européenne aura lieu en 2016
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Albion, mon amie

Le référendum britannique sur la sortie de l'Union européenne aura lieu en 2016. C'est ce qu'a annoncé David Cameron à l'issue de son élection ce week-end. L'occasion pour l'organisation supranationale de renouer avec le concept de démocratie, à condition qu'elle saisisse cette chance.

Jean Luc Sauron

Jean Luc Sauron

Jean-Luc Sauron est Haut fonctionnaire, professeur de Droit européen à l'Université Paris-Dauphine.

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Florent Parmentier

Florent Parmentier

Florent Parmentier est enseignant à Sciences Po et chercheur associé au Centre de géopolitique de HEC. Il a récemment publié La Moldavie à la croisée des mondes (avec Josette Durrieu) ainsi que Les chemins de l’Etat de droit, la voie étroite des pays entre Europe et Russie. Il est le créateur avec Cyrille Bret du blog Eurasia Prospective

Pour le suivre sur Twitter : @FlorentParmenti

 

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Atlantico : Un destin commun en Europe est-il vraiment envisageable ? Si oui, quelle forme pourrait-il prendre ?

Jean-Luc Sauron : En réalité, c'est le fondement même de la démocratie que Valéry Giscard d'Estaing pose lorsqu'il se demande "Comment un citoyen britannique de la base peut-il se faire une opinion sur l'avantage ou l'inconvénient de rester dans l'Union européenne ?". La construction et le fonctionnement de l'Union européenne ne sont pas plus complexes ou plus simples à connaître que l'appréhension précise des compétences entre les différents niveaux territoriaux en France (Etat, régions, conseils départementaux, conseils municipaux). Qui sait réellement qui fait quoi ? Et pourtant, la population est attachée et se sent représentée par ses élus en France. Par ailleurs, le gouvernement britannique a fait une trentaine d'audits, secteur par secteur, pour voir ce que l'Union européenne apporte ou non à la Grande Bretagne. Le citoyen britannique, qui veut se renseigner, a une qualité d'informations que le citoyen français est loin de posséder.

Florent Parmentier : Il est évident que le discours qui a prévalu après la Seconde Guerre mondiale, présentant l’Europe comme une chance historique pour la paix sur le continent, n’est plus efficace. Il garde un pouvoir d’évocation pour les anciennes générations ; les quadragénaires continuent de voir l’Europe à travers le prisme de la réunification du continent après 1989 ; en revanche, un européen de vingt ans aura vu l’Union européenne depuis une dizaine d’années comme une institution en crise politique (référendums de 2005), économique et financière (dysfonctionnement de la zone euro) et incapable d’anticiper les risques géopolitiques (Printemps arabe et conflit en Ukraine).

Cette diversité d’approche ne se fait donc pas seulement sur des lignes nationales, mais également sur des lignes générationnelles. De là, l’Europe doit repenser son projet en remobilisant les énergies, tant sur le plan économique que politique et culturel. L’Europe ne fera pas l’économie d’une réflexion en termes culturels.

Quel rôle la France pourrait-elle jouer dans ces débats pour le référendum britannique, quel intérêt y aurait-il pour la France à consolider un axe Paris-Londres, et quelle forme cette coopération pourrait-elle prendre ?

Florent Parmentier : Il est vrai que la France ne peut compter que sur les Britanniques pour les questions de défense, Londres et Paris étant les seuls à maintenir une armée capable d’intervenir sur plusieurs terrains d’opérations. Français et Britanniques ont également l’habitude de travailler conjointement sur un certain nombre de sujets, malgré des divergences d’intérêts. La consolidation d’un axe Paris-Londres est possible à travers un certain nombre d’initiatives, quand bien même Londres se compare aujourd’hui davantage à New York qu’à Paris.

Dans le même temps, si la France perdrait au départ du Royaume-Uni de l’Union européenne, tout comme les autres pays, elle pourrait également profiter de cette situation pour repenser considérablement sa politique d’influence à Bruxelles. La nature ayant horreur du vide, la place laissée par les Britanniques devrait faire l’objet d’une compétition féroce. En outre, le Brexit aurait des conséquences sur le sort de l’Ecosse, dont les Européens ne peuvent se désintéresser.

Dans une interview donnée quelques jours auparavant, Valéry Giscard d'Estaing se demande "comment un citoyen britannique de la base peut-il se faire une opinion sur l'avantage ou l'inconvénient de rester dans l'Union européenne ?". Dans quelle mesure est-ce que l'ancien chef de l'Etat met-il le doigt sur le réel problème de l'Union européenne, à savoir une union rationnelle, spontanément pas compréhensible ?

Florent Parmentier : Les Conservateurs de David Cameron ont obtenu une victoire beaucoup plus large que prévue dans les récentes élections. Ce résultat était obtenu en toute connaissance de cause, David Cameron ayant affirmé le principe d’un référendum depuis maintenant plusieurs années. Cependant, on pourrait tout aussi bien renverser la formule de Valéry Giscard d’Estaing pour se demander si ce ne sont pas plutôt les élites britanniques qui ont du mal à se faire une opinion sur l’opportunité de rester dans l’Union européenne. En effet, les eurosceptiques britanniques, en réalité plutôt eurohostiles, mesurent mal l’efficacité de la politique britannique au sein de l’Union européenne, où les lobbyistes et les agents d’influence britanniques sont redoutablement efficaces. Le mouvement eurosceptique est appuyé par des relais médiatiques puissants, par des puissances d’argent influentes et des politiciens peu au fait des enjeux. Néanmoins, l’ancien président pointe à raison la difficulté qui existe à comprendre la politique européenne, qui s’appuie sur une construction juridique et de nombreux compromis institutionnels. La dynamique européenne est une très belle machine à produire des compromis, mais cela ne la rend pas lisible pour autant.

Le Premier ministre britannique a également souligné le problème que pouvait représenter les immigrés européens, éligibles aux prestations sociales britanniques. Au-delà de ces thématiques qui aimantent le débat, quels avantages y aurait-il à élargir les enjeux de ce référendum à l'Union européenne ?

Florent Parmentier : Le Premier Ministre britannique semble oublier que les immigrés européens attirés par l’économie britannique constituent pour son pays, dans l’ensemble, un avantage en termes de rayonnement. En effet, même si le Royaume-Uni ne souhaite pas aller avec le noyau dur de l’intégration européenne, elle garde son influence grâce à ses performances économiques et à son marché du travail flexible. Néanmoins, il existe un agacement réel et profond d’une partie de l’opinion britannique à l’égard des immigrés européens, essentiellement des dernières arrivées en provenance de la Roumanie et de la Bulgarie. Cet exemple montre que les débats sur l’Europe sociale prennent des formes très différentes selon les pays, sans qu’il soit possible d’en faire un sujet pour l’ensemble des pays européens. En effet, cette problématique s’adresse aux grands pays de l’Europe de l’Ouest et beaucoup moins à ceux de l’Europe centrale, pour lesquels la perte de ces populations peut constituer une source de difficulté.

Les revendications britanniques se retrouvent-elles dans d'autres pays de l'Union ? Et à l'inverse, quelle diversité dans les attentes des Européens envers l'Union européenne observe-t-on ?

Jean-Luc Sauron : Vos questions sont intéressantes en ce qu'elles soulignent que sous un vocable commun (le problème de l'immigration) chaque Etat membre connaît des difficultés spécifiques. La Grande Bretagne a fait un choix logique avec son soutien aux Pays d'Europe centrale et orientale lors de leur adhésion en 2004 à l'Union européenne. Elle se retrouve maintenant avec près d'un million de ressortissants polonais avec leurs églises catholiques, leurs magasins d'aliments, etc. Ce qui est étrange c'est que les Britanniques vivaient jusqu'à maintenant très bien avec les communautés indiennes ou pakistanaises, hindouistes ou musulmanes. L'optique des Etats membres situés autour de la Méditerrannée n'est pas la même ! Ainsi les autorités allemandes facilitent la circulation et l'installation d'émigrés diplômés issus d'Italie, de Grèce, du Portugal ou d'Espagne. Il serait facile de donner des exemples de ces fausses identités de problèmes: la vision et le contenu des craintes restent en très grande partie nationaux, d'où la quasi-impossibilité d'y apporter une solution commune.

Florent Parmentier : L’exaspération d’une partie de l’opinion britannique se retrouve en effet autour des questions d’intégration : on peut se souvenir de certaines campagnes anti-européens de l’Est aux Pays-Bas, ou du plombier polonais en France. En France, c’était d’ailleurs moins les prestations sociales que la concurrence fiscale déloyale qui constituait l’objet d’inquiétude. Les espoirs et les attentes des Européens envers les institutions sont donc extrêmement divers, tant dans les attentes de protection, tant dans la protection d’un modèle au-delà des frontières.

Comment ne pas retomber dans les erreurs du passé, dans ce qui a pu alimenter l'idée que l'Union européenne était une union trop rationnelle et technocrate ? Le refus de payer des prestations sociales aux européens vient perturber l'idée selon laquelle un repli émanerait de difficultés économiques, alors que l'économie britannique voit ses indicateurs au vert... Comment la question de la souveraineté des Etat membre doit-elle être posée ?

Jean-Luc Sauron : Votre question est double. La Commission européenne est dans une bonne démarche en tentant d'élargir aux Etats membres sa politique de "mieux légiférer", qui vise surtout à moins légiférer. Cette difficulté touche le cœur même de l'Union européenne: elle s'est construite aux travers des normes qu'elle adoptait et qu'elle faisait ensuite transposer dans les législations nationales. D'autres modèles existent : le niveau d'harmonisation entre les différents Etats composant les Etats-Unis est bien moindre que celui réalisé entre les Etats membres de l'Union européenne. Il s'agit vraiment d'une question culturelle qui appelle des réponses originales. Pour ma part, il me semble que la question de la souveraineté des Etats est une question "chiffon rouge" et dont chacun a une idée faussement précise. Que reste-t-il aujourd'hui de la souveraineté des Etats ? Si les grands Etats étaient réellement souverains, pourquoi s'obstinent-ils à signer des accords internationaux avec la terre entière ? Dit autrement, quel est le contenu de la souveraineté étatique au XXIème siècle et quelle autre valeur fondatrice devrions-nous lui substituer ?

Florent Parmentier : Si l’économie britannique a un taux de croissance supérieur à bon nombre de voisins notamment la France, son déficit public y est bien supérieur, et ce depuis plusieurs années. Le traitement de la crise proposé par le gouvernement Cameron a également suscité bon nombre de crispations, ces tendances étant encouragées par le parti UKIP, hostile à l’égard des immigrés européens. De ce point de vue, il faut bien différencier la situation de Londres de celle du reste du pays.

Le débat sur la souveraineté des Etats membres prend des tournures différentes selon les pays concernés : en France, la difficulté pour l’Etat de mener une politique industrielle dans le marché unique constitue une remise en cause de la souveraineté économique de la France. Chez les conservateurs polonais, Bruxelles constitue un épouvantail souhaitant limiter la capacité de la Pologne à défendre des valeurs conservatrices. En Grèce, le mouvement Syrisa a fait campagne sur la réappropriation d’une souveraineté populaire au détriment des donneurs d’ordres internationaux.

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