Grande Europe
Poutine seul pour ses célébrations de 1945 : pourquoi Moscou et Bruxelles auraient peut-être intérêt à se souvenir que l’Europe peut aller de l’Atlantique à l’Oural
Ce samedi, les Russes commémorent les 70 ans de leur victoire de 1945 sur l’Allemagne nazie. Un évènement très important dans la conscience nationale et pour lequel Vladimir Poutine a vu les choses en grand. Le président russe a convié 68 chefs d’Etat et de gouvernement, et pourtant aucun président ou Premier ministre occidental n’a souhaité s’y rendre.
Atlantico : Ce samedi, les Russes commémorent les 70 ans de leur victoire de 1945 sur l’Allemagne nazie. Un évènement très important dans la conscience nationale et pour lequel Vladimir Poutine a vu les choses en grand. Le président russe a convié 68 chefs d’Etat et de gouvernement, et pourtant aucun président ou Premier ministre occidental n’a souhaité s’y rendre. Qu’est-ce que cela révèle de l’isolement du pays sur la scène internationale ?
Michael Lambert : Les derniers évènements en Ukraine et en Moldavie, auxquels s’ajoutent la crainte d’une potentielle guerre hybride dans les pays Baltes, ont mis à mal l’idée que Moscou puisse diplomatiquement et culturellement se rapprocher de Bruxelles et Washington. A ces tensions, s’ajoute la rupture flagrante entre la perception historique de la Seconde Guerre mondiale par les occidentaux et les eurasiens. Les Européens de l’Ouest perçoivent la chute du Nazisme comme un élément fondateur de leur identité, à l’épicentre du souhait d’instaurer une paix durable sur le continent. La commémoration relate une expérience commune traumatisante qui pousse à se rapprocher les uns des autres.
A l’inverse, cette dernière décennie à été l’occasion pour le Président russe d’instrumentaliser cette période afin de justifier la mise en place de certaines des réformes. La Seconde Guerre mondiale, présenté en Russie comme la “Grande Guerre Patriotique”, ne commémore pas la victoire de la démocratie mais celle de l’Union soviétique sur l’Allemagne Nazie, et plus généralement sur tous les pays qui furent sous tutelle allemande, autrement dit les actuels membres de l’Union européenne. L’Histoire s’impose alors comme élément fondateur, mais dans un objectif de rappeler la puissance russe par rapport à la faiblesse des démocraties du continent.
Le contraste s’opère alors sur le perception des régimes totalitaires, avec les occidentaux qui considèrent le nazisme et le communisme avec une vision péjorative. Tandis que les russes cultivent une vision positive vis-à-vis du rôle de Staline, justifiant même les déportations de masse. Rappelons que Poutine présente la chute de l’URSS comme “la plus grande catastrophe géopolitique du XXème siècle”. La victoire de l’Union soviétique, comme le décrivait la sociologue Lev Gudkov, est perçue comme une victoire sur l’Allemagne nazie, mais plus généralement sur l’Ouest. En 2010, le Président russe avançait même l’idée que la guerre aurait pu être gagnée avec les seule troupes russes, sans l’aide des Ukrainiens, dans la mesure ou 70% des morts sont d’origine russe, ce qui constitue objectivement une mise en avant de l’importance de la Russie en tant que puissance apte à s’émanciper sans aide extérieure.
Ces éléments éloignent les Européens et les Russes. En janvier 2015, lors d’un sondage du Centre Levada, 52% des personnes ont répondu que Staline avait joué un rôle positif dans l’histoire du pays, soit 10% de plus qu’en 2006. A ce jour, plus de 37% des russes souhaitent la création de monuments pour rappeler l’importance de Staline commune figure commune. Un autre exemple frappant est le bonne perception de l’URSS par les citoyens russes, on le constate lors des Jeux Olympiques de Sotchi en 2014, ou la période d’industrialisation rapide est mise en avant comme une réussite nationale, sans évoque les déportations massives.
L’isolement de Moscou n’est donc pas uniquement lié à l’annexion de la Crimée, le conflit en Ukraine, ou encore le danger que celle-ci représente pour la stabilité sur le continent, mais à l’instrumentalisation de l’Histoire, qui ne s’accorde pas avec la représentation des pays occidentaux, et n’incite pas ces derniers à y assister.
Il y a vingt ans, lors de la parade du 9 mai à Moscou, on avait vu côte à côte Boris Eltsine, François Mitterrand, Hermut Kohl et Bill Clinton. Récemment, Vladimir Poutine n’a pas souhaité se rendre aux commémorations de la libération d’Auschwitz. Qu’est-ce qui peut expliquer ce refus d’une convergence mémorielle alors que les Alliés ont combattu le même ennemi, le nazisme ?
On assiste à une rupture nette entre les occidentaux et les Russes, car si ces derniers ont tous combattu le nazisme, ils ne l’ont pas fait pour la même raison. Les occidentaux ont essentiellement lutté pour libérer les pays sous la tutelle du nazisme, et pour rétablir la démocratie. Alors que la Russie ne s’est pas fixé comme objectif d’aider les européens, mais d’accroitre la puissance communiste, et par extension la culture russe, sur les pays de l’Est.
Staline n’avait aucune intention de libérer les pays, en atteste les pressions exercées par l’Armée rouge en Tchécoslovaquie afin de l’empêcher de rejoindre le camp occidental en 1947.
Ne pas se rendre à Auschwitz s’apparente alors au refus d’assumer une responsabilité partielle pour le triomphe du nazisme sur le continent. C’est également un moyen de ne pas avoir à évoquer les déportations pendant la période stalinienne, et ne pas engager le débat sur les crimes de guerre commis par les russes.
Aujourd’hui il semble que la Russie livre une guerre mémorielle au sujet de la 2nde guerre mondiale, notamment en punissant pénalement quiconque critique la version officielle. De son côté, un pays comme l’Ukraine accuse la Russie de propagande, quel est l’enjeu de cette guerre des mémoires ?
L’article (354.1) du code pénal russe à été mis en place et sanctionne toute personne qui présente le nazisme sous un jour favorable d’une amende de 8600 euros ou de 5 ans d’emprisonnement (dans le cas d’une diffusion dans les médias). Il n’est pas non plus autorisé de divulguer des informations “fausses” en ce qui concernent les actions de l’URSS pendant la Grande Guerre Patriotique.
Ces lois sont objectivement pour nier la réalité des actions commises par les soviétiques pendant cette période. On assiste un refus de reconnaitre la non-intervention de l’URSS pour aider les Polonais à lutter contre les Nazis, le viol des femmes en Europe de l’Est et en Allemagne par les troupes russes, et les tueries massives dont on ignore encore l’importance à ce jour en raison de la censure de certaines archives.
Il semble pertinent de rappeler que le nazisme constitua un rempart pour protéger certains pays des atrocités soviétiques. A titre d’exemple, les soldats allemands qui luttèrent contre la progression des russes en Europe de l’Est le firent pour protéger les populations, notamment les femmes et les enfants, et furent prêt à donner leurs vies pour ralentir la progression de l’Armée rouge et leur permettre de fuir une mort certaine et les viols de guerre.
Avec 27 millions de morts, l’URSS a subi le plus de pertes de tous les pays belligérants de la guerre de 39-45. Une guerre qui, en grande partie, s’est déroulée en Europe. Aujourd’hui on voit que les positions anti-occidentales du pays l’éloignent du continent pour se concentrer sur ses anciens territoires. Quelle forme pourrait désormais prendre un rapprochement russo-européen ?
La raison du nombre de mort est lié à plusieurs éléments, dont le manque de respect pour la vie humaine qu’éprouvait Staline. A ce phénomène s’ajoute la qualité des équipements russes par rapport à ceux de l’Allemagne, et explique pourquoi l’URSS à perdu tant d’hommes. Il faut également mentionner le fait que Staline n’hésitait pas à envoyer au front des personnes dont ils jugeait qu’elles n’avaient pas d’importance, ce qui constituait une technique abordable pour les éliminer, sans avoir à les envoyer au goulag. La guerre fut l’opportunité pour Staline de se débarrasser de nombreux opposants et minorités.
Au regard de la politique actuelle du Kremlin, de son incapacité à négocier avec les Européens et les Américains et de la différence culturelle entre les deux espaces, il semblerait cohérent de ne plus tenter aucun rapprochement avec la Russie. Moscou est devenue l’ennemie des valeurs occidentales et considère l’OTAN comme une adversaire, tout comme l’Union européenne.
La seule attitude à adopter semble être celle du confinement pour protéger les intérêts de l’Union et de l’OTAN, la Russie n’étant pas un partenaire économique ou militaire viable, en témoigne la crise économique que traverse Moscou, et ses récentes actions en Ukraine.
Cette approche peut sembler radicale, mais légitime au regard des discours russes qui présentent les occidentaux comme hostiles. Nier cette réalité ne fait que repousser la création d’une armée commune en Europe, nécéssaire pour endiguer la progression du Kremlin et protéger la démocratie et les libertés occidentales.
Au-delà de la puissante propagande nationaliste du Kremlin, la Russie connait d’importants problèmes économiques, une population déclinante, voit la puissante Chine a ses portes. Si Moscou abandonnait sa propagande et était pragmatique, la Russie ne devrait-elle pas se rapprocher de l’UE ?
Sur un plan pragmatique, la Russie devrait tenter de compléter tous les standards européens afin de devenir une démocratie viable, avec le respect des populations, de la vie humaine, des droits de l’Homme et de la liberté de la presse. Dans la pratique, l’identité russe est eurasienne et se construit alors sur le mythe d’un occident qui veut détruire la civilisation russe.
Moscou ne dispose pas des ressources pour parvenir à émerger comme puissance mondiale, et son agressivité atteste de la jalousie du Kremlin vis-à-vis à de pays comme la Pologne et l’Estonie, qui n’ont de cesse de prospérer depuis a fin de la Guerre froide.
Russes et occidentaux ont toutefois, des racines communes, notamment au niveau de la religion, de l’histoire commune ou de la langue (indo-européenne). Dans un monde ou d’autres sphères culturelles puissantes émergent, les Européennes n’auraient-ils pas également intérêt à créer « l’Europe de l’Atlantique à l’Oural » ?
Les racines communes ne sont pas apparentes et servent essentiellement la propagande du Kremlin. Si le Président russe aime à mettre en avant le caractère chrétien du continent, il nie la différence fondamentale entre Orthodoxie, Catholicisme et Luthéranisme. Qui plus est, l’Union européenne s’est fondé sur les Droits de l’Homme et du citoyen, sur le respect de la vie et de la laïcité. Par contraste, la Russie s’est toujours basé sur l’autocratie et la violence.
Pour ce qui concerne la langue, nul doute que les Européens sont plus proches du continent américain. Le simple fait que l’URSS ait souhaité faire disparaitre la pratique de certaines langues européennes entre 1945 et 1991 atteste bien de la non appartenance du russe à cet espace.
Culturellement parlant, la Russie est donc eurasiatique et ne peut pas prétendre à appartenir à l’Europe. Moscou n’a ni la tradition démocratique ou humaniste pour prétendre au statut de pays “européen”.
Les Européens ont tout intérêt à se tourner vers les Etats-Unis pour renforcer leur puissance et accroitre leur sécurité. La Russie ne saurait être un partenaire valable et représente un danger constant. Si les Européens de l’Ouest pensent encore à Moscou comme une partenaire, les Européens de l’Est ont vécu l’occupation communiste. C’est la raison pour laquelle des Etats comme la Pologne et l’Estonie semblent à ce jour les plus à même de dialoguer avec la Russie et de représenter l’Union européenne et l’OTAN, c’est à dire pour faire comprendre au Kremlin qu’il n’a pas sa place sur le continent et que l’Union et l’Alliance sont prêt a répondre fermement en cas d’attaque, pour préserver la liberté d’expression et la Démocratie occidentale face à la violence russe, en atteste la violence qu’exerce le Kremlin sur les pays qui ne sont pas membres de l’Union européenne et de l’OTAN, et sont sans défense face à Moscou.
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