11 janvier, 4 mois après : qui étaient vraiment les Charlie de la grande manif' ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Les personnes votant FN ont vu leurs convictions se renforcer après les attentats du 11 janvier.
Les personnes votant FN ont vu leurs convictions se renforcer après les attentats du 11 janvier.
©Reuters

Où est Charlie ?

La séquence des attentats de janvier, contrairement aux hypothèses émises, a renforcé dans leurs convictions et leurs certitudes toutes les personnes qui s'étaient déjà tournées vers le FN.

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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Atantico : Vous publiez avec Alain Mergier pour la fondation Jean Jaurès, le résultat d’analyses statistiques et d’une série d’entretiens qualitatifs auprès de personnes qui n’ont pas manifesté le 11 janvier. Quels sont les principaux enseignements de cette enquête ?

Jérôme Fourquet : D'un point de vue méthodologique, nous nous sommes basé sur des analyses quantitatives, auxquelles nous avons associé une méthode qualitative auprès d'une vingtaine de personnes. Nous avons mis l'accent sur les catégories populaires car ce travail s'inscrit dans la suite de travaux précédents que nous avions réalisés auprès de ces milieux avec Alain Mergier. L'objectif est de montrer quel a été l'impact des événements de janvier sur le vote FN. Donc il semblait que c'était sur les catégories populaires qu'il fallait se pencher étant donné qu'il constitue le cœur de cet électorat.

Deux thèses s'affrontaient à ce sujet. La première était de dire qu'étant donné le pédigrée des terroristes, le FN allait rafler la mise.  La seconde estimait que Marine Le Pen et son père ainsi que d'autres responsables du parti ayant été sur la défensive, ils se sont retrouvés marginalisés face à un moment d'unité et de communion nationale. Chose qu'ils risquaient de payer cher. Or, nos résultats s'inscrivent en faux de ces deux hypothèses car cette séquence a plutôt eu comme traduction immédiate d'ancrer dans leurs convictions et leurs certitudes toutes les personnes qui s'étaient tournées vers FN.

La séquence des attentats n'a pas pour effet de faire venir d'autres électeurs mais d'arrimer solidement les électeurs qu'ils avaient déjà rallié. Car pour beaucoup de personnes des milieux populaires que nous avons rencontrées, les attentats de janvier n'ont pas été une surprise. Beaucoup nous l'ont dit dans ces termes : "Il fallait s'y attendre" ; "Cela nous pendait au nez". Pour cette raison nous avons appelé cet essai "Le catalyseur" car pour les personnes interrogées, ces attentas ne sont que l'aboutissement de toute une série d'éléments qu'ils ont vus se développer depuis plus ou moins longtemps.

Comment les attentats sont-ils perçus par les catégories populaires ?

Quand on a travaillé auprès de ces personnes sur la perception de ces attentats, ils les ont mis en relation avec 4 grandes séries d'événement historiques :

  • l'historique de l'immigration en France ;
  • l'évolution de la situation dans les banlieues ;
  • le développement de l'islamisation ;
  • la géopolitique du djihadisme (printemps arabes et montée de l'EI).

Ces événements sont pour les personnes interrogées, l'illustration que nous avions des évolutions angoissantes depuis un certain nombre d'années. Ils n'ont pas été étonnés mais quelque part, ils ont souligné de manière plus ou moins caustique que tous ceux qui s'étaient sentis Charlie avaient "enfin ouvert les yeux". Car eux ne sont pas sentis Charlie. Et derrière les images spectaculaires de foules qui défilent en France, l'intensité de la mobilisation était variable d'une région à l'autre. Et dans beaucoup de villes, le nombre de manifestant était moindre relativement à ce que pouvait attendre. Ces taux de participation faibles renvoient à la géographie du vote FN, à la géographie de l'abstention et du "non" au référendum établissant une constitution pour l'Europe en 2005. Toute une France populaire ne s'est pas sentie Charlie, notamment car elle n'était pas sensible à la demande de liberté d'expression et plus profondément car tous ces événements ne l'a pas surprise et ne sont que le résultat d'une situation qu'elle avait clairement identifiée.

Pour cette France populaire, la question était bien plus grave que la simple remise en question de la liberté d'expression pour la presse. Ce qui se jouait à ses yeux c'est la prise de conscience d'une théorie de l'islamisation. Pour ces personnes, la société française était sous la menace de groupes politiques, religieux qui voulaient imposer sous différentes formes leur domination. Cela renvoie à la notion d'insécurité culturelle.

Pour eux, les attentats ne sont que la partie émergée d'un mouvement plus vaste. C'est d'autant plus inquiétant, que ces événements, et tous ceux qui les ont précédés, ont montré, que ces problèmes-là, constituaient ce que nous avons appelé un "terreau favorable" car la situation dans les banlieues était tellement dégradée depuis 2005, que nous sommes passés de la petite violence au terrorisme mais jusque peu était la situation était circonscrite géographiquement. Mais avec la montée de l'EI et l'ampleur des filières, on prend conscience qu'on est face à un phénomène de masse sur tout le territoire. C'est la stupéfaction lorsque l'on apprend qu'à Lunel dans l'Hérault plusieurs jeunes sont partis se battre en Syrie et sont morts. Là, on prend conscience que nous ne sommes plus dans un phénomène circonscrit. Et cette stupeur est renforcée lorsque l'on apprend que nous sommes face à des convertis. Cela crée un effet de stéréo permanent entre ce qu'on voit ici et ce qui se passe là-bas. Les décapitations sur You Tube, les jeunes d'ici qui partent là-bas, les attentats ici. Le cas de Sid Ahmed Glam en est un bon exemple cat les premiers éléments de l'enquête montrent qu'il était en relation avec un commanditaire en Syrie.

Comment ces événements ont finalement été bénéfiques au FN ?

Progressivement s'est mis en place une idéologie, c'est-à-dire un système autonome d'explication du monde de surcroit validé par les faits. On constate différentes clés d'entrée à cette idéologie. La première est une entrée "de proximité" avec une ambiance dans la vie de  quartier qui a pu changer (plus de femmes voilées, plus d'hommes barbus). Ensuite, l'actualité lointaine (décapitations, prises d'otages) et les débats ici en France en sont d'autres. Le flux d'actualité vient également alimenter l'idéologie. Le bruit de fond permanent de l'actualité (Sid Ahmed Glam, la progression de l'EI, les flux migratoire venus du Maghreb, etc.) donnent à voir la France en proie à l'islamisation. Dans ce cas, le FN n'intervient qu'assez peu ou en deuxième rideau, il n'a besoin d'être ultra présent car il est historiquement présent sur ces sujets. Les gens que nous avons rencontré sont de nouveaux électeurs mais estiment que les faits donnent raison au FN.

Progressivement,  le seuil du FN qui se situe à 25% depuis les dernières élections européennes pourrait se transformer en plancher. Effectivement, le nouvel électorat se solidifie et il y a des conquêtes possibles. Par ailleurs, comme les faits donnent raison au FN, cela contribue à consolider et à blinder totalement cet électorat. Donc toutes les attaques ou révélations récentes, ricochent sur ce blindage idéologique. Les accusations qui concernent les attachés parlementaires payés par Strasbourg mais travailleraient pour le compte du parti, les dérapages, tout cela n'est que très anecdotique et secondaire car la réalité des menaces est tout autre. La gravité des faits étant telle que ces événements glissent sur le FN. Et comme le FN a la primauté, est dépositaire de ce discours depuis très longtemps,  beaucoup de dirigeants et d'intellectuels sont discrédités car ils ne voulaient pas ou n'étaient pas capables de voir. "Tout cela nous pendait au nez, il suffisait de regarder", pour reprendre les propos des interviewés.

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