Non, le réacteur ITER n'est pas sans danger <!-- --> | Atlantico.fr
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La controverse touchant la sortie du nucléaire place ITER sur la touche.
La controverse touchant la sortie du nucléaire place ITER sur la touche.
©Reuters

Zizanie nucléaire

Michel Claessens présentait il y a quelque temps le projet de réacteur nucléaire ITER sur Atlantico. Yves Lenoir, conseiller de Corinne Lepage sur les questions énergétiques, répond point par point et dénonce les risques encourus.

Yves  Lenoir

Yves Lenoir

Yves Lenoir est physicien. Il est responsable des politiques énergétiques pour le parti politique Cap 21, et conseiller de l'eurodéputée Corinne Lepage.

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Lorsque le directeur de la communication de la Commission Européenne - selon sa fiche autobiographique - Michel Claessens, monte au créneau pour faire l'apologie du projet de machine à fusion atomique ITER, on se sent interpellé. Si l'on prend le temps de chercher à savoir à qui on a vraiment affaire, un Dr ès Science chimie physique, alors on se dit que c'est vraiment du sérieux et qu'il faut regarder de plus près ce qu'écrit notre homme.

Le titre, « ITER : ce grand absent du débat sur le nucléaire, symbole d'une politique française court-termiste », surprend à plusieurs égards, et méconnaît la logique de la controverse politique en cours concernant la sortie ou non du nucléaire. Développons un peu ces préliminaires. La stratégie énergétique française est tout sauf court-termiste. Elle s'inscrit dans une suite de décisions prise à partir de la fin des années 1950 quand le CEA, en liaison avec le centre de recherche de Karlsruhe, lança un programme visant la réalisation de surgénérateurs au plutonium.

La controverse touchant la sortie du nucléaire, exacerbée par le désastre de Fukushima, place ITER sur la touche. À y regarder de plus près, ce n'est pas tout-à-fait vrai. Par exemple le programme de EELV contient l'abandon du projet. Le livre de Corinne Lepage, La vérité sur le nucléaire, le cite à six reprises pour en justifier, de même, la demande d'abandon. Dans leur livre En finir avec le nucléaire, pourquoi et comment ? les experts Benjamin Dessus et Bernard Laponche lui réservent un encadré que, par euphémisme, on qualifiera ici de très dubitatif.

En fait, point n'est besoin d'en parler pour l'usage que l'on fait de sa seule justification dans l'actualité : la relève hypothétique par une solution atomique prétendue « propre » d'une solution atomique sale, d'expérience. Pour ceux qui veulent sortir du nucléaire l'arrêt de toute recherche sur la fusion va de soi : ils misent sur les énergies renouvelables et l'abandon de l'idée que toujours plus d'énergie, c'est toujours mieux. Ceux qui veulent garder une place à la fission ont impérativement besoin de nourrir l'espoir d'un progrès décisif grâce à un usage des forces ultimes que l'on imagine tirer des noyaux atomiques. Dans les deux cas, la fusion, le projet ITER en l'occurrence, fait indissolublement partie du package, soit pour l'arrêter, soit pour le poursuivre. Inutile de s'appesantir et de diluer le débat.

Cela-dit, je crois que tout est dit ! En effet, le contenu « scientifique » du papier n'apporte rien de nouveau. Il réitère ce qui fait dire aux hommes politiques soucieux d'associer leur nom à un projet pharaonique, quel qu'il soit, qu'il faut avoir une vision. Il donne ainsi à croire que certains auraient évoqué un risque « Fukushima » à propos d'ITER. À vouloir trop prouver on s'emballe…

Il rappelle, tel un perroquet bien dressé, qu'ITER, réacteur où fusionner les noyaux de deutérium et de tritium, ne produira pas de déchet radioactif de haute intensité à vie longue. La belle affaire ! Le risque atomique n'est pas réductible à ce type de déchet ! ITER, s'il fonctionnait un jour, serait un surgénérateur à tritium, isotope radioactif de l'hydrogène de période 12,5 ans, pratiquement impossible à bien confiner car, comme tout gaz léger, il a la manie de diffuser au travers d'à peu près n'importe quelle matière comportant des microfissures, n'importe quel joint etc. C'est pour cette raison que les centrales atomiques, où il s'en produit par fissions ternaires, ont des autorisations de rejets très élevées, ainsi que les usines de retraitement. Par ailleurs les neutrons de très haute énergie qui véhiculent l'énergie des fusions vont immanquablement produire (outre la surgénération du tritium) une activation massive de toutes les structures du réacteur.

Ces structures seront donc très vite hautement radioactives et présenteront ainsi un risque radiologique considérable, bien plus que celui dû aux réacteurs atomiques de fission, dont le démantèlement pose pourtant des problèmes de radioprotection tels que l'on ne cesse d'en retarder l'exécution (on envisage maintenant d'attendre un siècle après l'arrêt définitif). Ces quelques défauts passés sous silence concerneraient cependant plutôt la production effective d'énergie de fusion. Ce qu'on peut escompter d'ITER n'est pas de cette dimension, mais bien plus inquiétant à bien des égards. Le rapport Dautray (2002), du nom de l'ancien directeur scientifique du CEA (plusieurs pointures au dessus de Michel Claessens), pose des questions d'autant plus gênantes qu'elles sont sans réponses, tant théoriques que pratiques, ce qui signifie que ITER fonce dans un certain brouillard conceptuel. Selon Robert Dautray, la preuve de la faisabilité scientifique de la fusion contrôlée comporte :
«– démonstration de l'ignition du mélange pendant environ 1 000 s ;
– démonstration de la possibilité de récupérer l'énergie ;
– démonstration du fonctionnement en continu ;
– démonstration de la possibilité de multiplier les neutrons (utilisation du béryllium, l'un des plus puissants poisons existant dans la nature) pour la surgénération du tritium dans des couvertures de Lithium6, sans trop perdre de tritium pour garder un rapport supérieur à un (le reste part se faire absorber dans les structures) ;
– mise au point des matériaux nécessaires ;
– récupération et purification du tritium ;
– fonctionnement, exploitation, maintenance et remplacement des composants ou des élément défaillants, malgré le niveau élevé de radioactivité ;
– étude de sûreté, de la radioprotection, tant pour les travailleurs que pour les populations et l'environnement, et traitement des déchets ;
– étude des problèmes de protection contre la prolifération [avec des neutrons rapides on fait du plutonium ultra pur à partir de l'uranium appauvri, facilement et sans frais, le by-product tant attendu de la surgénération du plutonium] ;
– tout cela se fera sur plusieurs (à cause de la radioactivité) machines devant, pour beaucoup, fonctionner à la puissance maximale d'expérimentation, i.e. entre 1 000 et 3 000 MWth, à cause de la non-linéarité des phénomènes [les essais à basse puissance ne permettent pas
d'extrapoler les résultats obtenus]. »

Dans sa conclusion Dautray se laisse à poser quelques questions de bon sens, clairement hors de portée de l'esprit de notre mercenaire atomique :
« … [tel encadré pointant des problèmes cruciaux] interdit-il de penser que la faisabilité scientifique complète, telle que décrite ci-dessus puisse advenir avant un nombre fort élevé de décennies ? Mais à cette distance dans le temps, aucune prévision de technologie, de durée, ni de succès éventuel, n'a de sens solide… Doit-on considérer que le premier point de l'encadré n'est même plus programmé faute d'un financement suffisant ?… Faut-il parler de faisabilité technique ? Ou bien, les éléments techniques nécessaires devront-ils être déjà, pour la plupart, dans la démonstration de faisabilité scientifique ? Etc, il déroule ses questions implacablement et commence sa péroraison par un understatement tout dans sa façon d'être : À ce niveau d'avenir incertain, la complexité de ces équipements, le couplage étroit de la capacité de penser le futur avec les technologies d'aujourd'hui, n'est-il pas préférable de s'arrêter, de dire qu'on est dans l'inconnu quand on veut prévoir si loin et donc de dire aussi que pour le moment la fusion thermonucléaire ne peut pas encore être comptée, avec certitude, parmi les sources industrielles qui contribueront dans les décennies qui viennent à maîtrise les changements climatiques ? » (cf. Gazette Nucléaire 201-202, automne 2002).

Quittons les généralités et concluons ces quelques considérations scientifico-techniques par les questions qu'une thèse soutenue récemment (novembre 2010, téléchargeable ici) pose à un spécialiste des plasmas et de la magnéto-hydro-dynamique, MHD, la science de base pour décrire les phénomènes ayant leur siège dans un réacteur de fusion atomique, Jean-Pierre Petit.
Tout tourne autour du comportement fondamentalement instable des machines telles qu'ITER, les tokamaks. Leur pilotage expérimental, entaché d'innombrables aléas, relève en fait de l'empirisme le plus complet. On sait depuis le début, les années 50, que le confinement du plasma est foncièrement instable. Tous les tokamaks ont été plus ou moins gravement endommagés suite au déclenchement de ces instabilités, qui conduisent à des phénomènes de disruption. On entend par là un effondrement de la température du plasma qui passe en un millième de seconde de 100 millions de degrés à quelques dizaines de milliers de degrés.

Passons sur les détails : personne n'est à même d'expliquer le phénomène, de le prédire avec certitude et de le maîtriser. Ce qu'il importe de comprendre relève de connaissances partagées par tout le monde : si l'énergie du plasma s'effondre, c'est qu'elle sort, sous une forme ou une autre. Le transfert se fait selon diverses modalités toutes plus destructrices les unes que les autres : des forces générées par les courants induits atteignent plusieurs centaines de tonnes et tordent les parois et leurs structures comme des fétus de paille. On observe aussi un jet d'électrons relativistes qui volatilise le matériau de la région touchée. ITER devant contenir mille fois plus d'énergie que ses prédécesseurs, les dommages encourus ne seront plus gérables.

Les coups de foudre, immanquables, atteindront 15 millions d'ampères. À ce niveau de puissance la couche de béryllium de 1 cm d'épaisseur sera volatilisée et dispersera ce matériau hautement toxique et le tritium radiotoxique contenu dans le réacteur.
Les dégâts ne s'arrêteront pas là. Les modules tritigènes, où circule un mélange liquide lithium plomb brefroidi dans des échangeurs à eau seront certainement endommagés, avec un risque élevé de contact lithium-eau conduisant à une combustion strictement impossible à éteindre (le risque maximal des batteries lithium-polymère), entraînant la destruction complète de la machine.

Le phénomène de disruption représentait une gêne mineure dans les « petites » machines réalisées avant ITER. Cela se payait en temps de réparation et par un accroissement du coût de fonctionnement. Mais plus les tokamaks grossissaient et plus les destructions engendrées par ce phénomène s'aggravaient. Avec ITER, c'est la sécurité des employés et des populations alentours qui sera menacée. L'extrême
rapidité de l'accident rendra impossible toute mesure de mise à l'abri. Mais le pire est au delà : la destruction du système d'électro-aimants supraconducteurs : l'énergie magnétique stockée dans ses immenses bobines vaudra 51 GJ, équivalente à l'énergie cinétique du porte-avion
Charles De Gaulle, 38 000 tonnes,… lancé à 186 km/h !

Curieux que notre Dr ès Science soit passé complètement à côté de ces résultats scientifiques dont l'examen fait partie de sa mission d'information, pardon… de com', de propagande « éclairée » : n'a-t-il pas publié en 2009 un ouvrage intitulé « Science et communication : pour le meilleur ou pour le pire ». Bref un théoricien averti en cette matière aussi paradoxale que la « langue d'Esope » Pour conclure, l'observateur naïf que je suis, ne peut s'empêcher de tirer de l'histoire des recherches sur la fusion contrôlée dans un plasma deux enseignements qui devraient préoccuper au plus haut point tout responsable d'une judicieuse allocation des ressources publiques et des bonnes décisions à prendre :

  • La part des recherches sur la fusion contrôlée durant la période 1974 à 2003 représente, bon an mal an, 10% du montant de l'ensemble des recherches publiques mondiales du secteur de l'énergie. Rien n'indique que c'était moins, avant et depuis. Le projet de fusion contrôlée constitue donc la plus grande escroquerie scientifico-technique de tous les temps. Perseverare diabolicum…
  • Lorsqu'en 1956, le premier tore à plasma, ZETA, construit en Grande-Bretagne fut expérimenté, le lobby de la haute physique fit courir le bruit qu'il promettait la fusion contrôlée à l'horizon d'une dizaine d'années. Chaque nouveau tokamak était plus puissant que ses prédécesseurs et battait des records dont la signification pratique pourrait être discutée ; et à chaque fois l'horizon de la production d'électricité par fusion reculait.

Aujourd'hui, avec son optimisme peu convaincant M. Claessens annonce qu'ITER devrait être opérationnel en 2020, et qu'à partir de 2027, quand seront mis en œuvre les vrais combustibles de fusion, nous devrions savoir si ITER produira un bilan net d'énergie. Mais ITER n'est pas conçu pour produire de l'énergie récupérable sous forme d'électricité.

Ce privilège est réservé à une machine 10 fois plus grosse, déjà dans les cartons, DEMO. Il faut travailler les politiques au corps longtemps à l'avance pour les habituer à espérer et à payer le moment venu. En l'occurrence la belle devise de Guillaume d'Orange est amputée de sa première stance, et ne reste que la seconde, point n'est besoin de réussir pour persévérer ! Celle que tout homme médiocre peut faire sienne. « Si tout va bien », c'est à dire si les résultats obtenus avec ITER peuvent être présentés de façon aussi flatteuse que ceux de ses prédécesseurs, DEMO sera lancé vers 2050 pour une démonstration autour de 2080 à 2090. La haute physique atomico-plasmatique rejoint ici l'astrophysique et la cosmologie. Elle obéit en effet sans conteste à une duale de la loi d'expansion de Hubble : plus la dimension grandit, plus le temps s'étend et l'horizon recule. À méditer monsieur Michel Claessens ! Votre avenir de grand communicant est assuré au delà de l'âge de la retraite.

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