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Petits espionnages entre alliés européens : ce qui nous unit est-il encore plus fort que ce qui nous sépare ?
©Reuters

Nous affons les moyens de fous écouter

Alors que les services de renseignements allemands sont accusés d'avoir espionné de hauts fonctionnaires du ministère français des Affaires étrangères, du palais de l'Elysée et de la Commission européenne pour le compte de la NSA, la question de l'unité européenne est plus que jamais d'actualité. Officiellement alliés, les pays membres n'hésitent pas à s'espionner les uns les autres pour servir leurs intérêts souverains.

Michel Nesterenko

Michel Nesterenko

Directeur de recherche au Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R).

Spécialiste du cyberterrorisme et de la sécurité aérienne. Après une carrière passée dans plusieurs grandes entreprises du transport aérien, il devient consultant et expert dans le domaine des infrastructures et de la sécurité.

 

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Pierre Verluise

Pierre Verluise

Docteur en géopolitique, Pierre Verluise est fondateur du premier site géopolitique francophone, Diploweb.com.

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Atlantico : Il y a un an à peine, la chancelière allemande Angela Merkel s'était offusquée après les révélations d'Edward Snowden selon lesquelles son téléphone portable était espionné par la NSA américaine depuis plusieurs années. "Espionner ses amis, cela ne se fait pas", disait-elle à l'époque. Les renseignements allemands sont maintenant accusés d'avoir espionné de hauts fonctionnaires du ministère français des Affaires étrangères, du palais de l'Elysée et de la Commission européenne pour le compte de la NSA. La France n'est-elle donc pas l''amie" de l'Allemagne ? Qu'est-ce que cela dit de la relation franco allemande et des liens entre les pays européens en général ?

Pierre Verluise : Angela Merkel démontre un principe de réalité : les pays même alliés s'espionnent les uns les autres car nous sommes dans un monde concurrentiel qui mêle coopération et concurrence. Le renseignement est une réalité du monde actuel. De plus, les moyens technologiques d'espionnage sont plus importants que jamais. Les pays européens, Israël ou la Corée du sud sont en général très actifs dans ce domaine.

Il y a une contradiction entre les grandes déclarations des traités européens disant que les pays européens défendent une vision politique commune. On avait déjà vu avec le programme "Echelon" que le Royaume-Uni espionnait notamment la France et que donc cette solidarité des politiques étrangères était plus déclaratoire qu'effective, en tout cas à 100%. L'Allemagne, à part en 2002-2003, quand elle s'est opposée sur la stratégie en Irak, a toujours été très proche des Etats-Unis. Mais il existe même en France un système proche de celui de la NSA. Tout cela n'est donc pas très surprenant.

Michel Nesterenko : Tous les pays qui en ont les moyens techniques et le budget se livrent à de telles pratiques et cela depuis toujours pour ainsi dire. Cela n'a rien à voire avec l'amitié ou l'absence d'amitié entre les peuples. Il faut faire la différence entre la vie politique d'une part et le fonctionnement plus ou moins autonome et furtif des services d'espionnage et de contre-espionnage d'autre part. Il ne faut pas oublier qu'à une certaine époque, encore proche, certaines personnalités politiques européennes de premier rang s'offraient le luxe d'espionner pour l'Union Soviétique, en pleine guerre froide. Et que même les services américains soupçonnaient les proches du Général De Gaulle, Président de la France, d'ouvrer pour l'ennemi.

Si l’espionnage est avéré, quel aurait été l'intérêt de l'Allemagne à le faire pour le compte de la NSA ?

Pierre Verluise : La France est un pays qui a une tradition diplomatique et géopolitique importante et a toujours à dire sur l'étranger. Les postures du gouvernement sont faciles à déterminer à l'avance. A partir du moment où vous prétendez être les premiers de la classe, il ne faut pas vous étonner à faire des jaloux dans la cour de l'école.

Michel Nesterenko : On ne peut pas vraiment dire que les services Allemands espionnent pour le compte de la NSA. Par compte il existe un marché pour "l'information" et les services des différents pays échangent ou se vendent mutuellement des informations de façon à gagner du temps et faire des économies.

Espionner les autres pays membres est-il courant dans l'Union européenne ? Quels pays seraient les plus susceptibles de le faire ?

Pierre Verluise : Les plus grandes puissantes économiques comme le Royaume-Uni, la France, l'Allemagne ou l'Italie, s'autorisent le plus ce genre de pratiques. L'Espagne et la Pologne sont sans doute aussi très actifs. Cela nécessite beaucoup de moyens financiers, humains et matériels, et donc de grandes ambitions géopolitiques et d'importants intérêts à défendre.

Michel Nesterenko : Bien sûr que la majorité des pays de l'Union s'espionnent mutuellement avec plus ou moins d'agressivité et de succès. La NSA espionne tout et tout le monde en permanence et en particulier toutes les personnalités politiques en recherchant particulièrement tous les arguments de chantage. Les services Britanniques qui ont un accord de partenariat privilégié avec la NSA et la CIA bénéficient d'un accès quasi illimité aux Banques de Données d'Information Américaines. Donc il est quasiment certain que la Grande Bretagne aurait la Palme du gagnant.

Alors qu'auparavant les Européens se sont retrouvés autour d'un même projet dans l'objectif de lutter contre le communisme mais aussi pour assurer la paix, que leur reste-t-il aujourd'hui ?

Pierre Verluise : Il reste une formidable réussite : 508 millions d'habitants qui forment un marché unique et qui sont en paix. Ce projet devrait se réinventer mais ce n'est pas un échec, malgré les limites et les contradictions. Il n'y a rien d'autre à proposer aujourd'hui.

Michel Nesterenko : Le grand enjeu pour l'Europe est l'intégration économique et sociale. L'Europe ne s'est pas construite par la force des armes. Chaque pays a postulé pour adhérer. Rien n'a changé en cela. Même si aujourd'hui la diversité et la disparité économique des nouveaux arrivants produit une certaine indigestion, car il y a une grande masse humaine et économique à intégrer en peu de temps. L'enfantement se fait dans la douleur mais en fin de compte tout le monde s'ajustera plus ou moins bien et plus ou moins vite. Les arguments proférés aujourd'hui à l'encontre de certains pays d'Europe de l'Est sont quasiment les mêmes que ceux proférés contre le Portugal et même l'Espagne il n'y a pas si longtemps.

En l'absence de projet commun et d’objectifs communs, y a-t-il finalement aujourd'hui plus de choses qui les séparent que de choses qui les unissent ? 

Pierre Verluise : Il reste des objectifs en commun : le marché commun, la politique extérieure, notamment sur le cas de l'Ukraine. Il ne faut pas survendre les contradictions. Il y a toujours eu des contradictions. Les crises sont dans la nature des affaires européennes et toutes les crises ont été surmontées, comme celle-ci le sera. Les affaires d'espionnage montrent simplement qu'en dépit de la construction européenne les Etats restent souverains.

Michel Nesterenko : Tous les Pays d'Europe partagent une histoire et une culture Judéo-Chrétienne commune. Nous semblons avoir tous oublié que le grand financier américain M. Soros avait aisément mis à genoux l'Italie et la Grande Bretagne en spéculant contre les monnaies nationales. L'Euro n'en déplaise à certains amnésiques a certainement été un grand facteur de cohésion et de stabilité. Même les Britanniques qui prônent la sortie de l'Europe ne se voient pas pour autant comme faisant partie de la communauté Arabe, ou Chinoise et même pas celle des États Unis.

Les intérêts souverains sont-ils supérieurs aux intérêts communs de l'Union européenne ? Les Etats membres ne se soucient-ils pas des conséquences de ce genre d'actes ?

Pierre Verluise : Il y a de moins en moins d'éléments de souveraineté et de plus en plus d'éléments communs. Avant la crise de 2008, il n'y avait pas de fédéralisme budgétaire mais juste un fédéralisme monétaire. Jusqu'à 2013 et la mise en place de ce fédéralisme budgétaire. Les Etats, à reculons, ont petit à petit cédé des éléments de souveraineté depuis 1957, en calculant les bénéfices politiques de ces compromis. Avec plus ou moins de succès. Nous sommes ici dans le dur de la souveraineté : les Etats ne sont pas près de partager leurs renseignements, contrairement à ce qui se passe dans de nombreux autres domaines.

Michel Nesterenko : Même au sein du fédéralisme américain il y a toujours eu et encore aujourd'hui une tension constante entre les prérogatives de chaque État et la primauté du Gouvernement Fédéral. Ce conflit constant se retrouve régulièrement dans les arguments auprès de la Cour Suprême Fédérale au vu du Droit Constitutionnel. De solution parfaite et permanente il n'y a point. Tout est en constante évolution avec le temps. L'Europe est en train de vivre ce même phénomène ni plus ni moins.

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