Cet étrange décalage entre ce que les hommes souhaitent pour leur épouse et pour leur fille (tout ça, 70 ans après le droit de vote des femmes)<!-- --> | Atlantico.fr
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Les hommes recherchent des femmes belles et gentilles, alors qu'ils souhaitent que leurs filles soient intelligentes et indépendantes.
Les hommes recherchent des femmes belles et gentilles, alors qu'ils souhaitent que leurs filles soient intelligentes et indépendantes.
©Reuters

Evolution de la société

Une étude réalisée auprès de 881 américains montre une différence pour le moins étonnante : si la grande majorité souhaitent que leur fille soit indépendante, 74% ne recherchent pas cette caractéristique chez leurs femmes.

Gérard  Neyrand

Gérard Neyrand

Gérard Neyrand est sociologue, est professeur à l’université de Toulouse), directeur du Centre interdisciplinaire méditerranéen d’études et recherches en sciences sociales (CIMERSS, laboratoire associatif) à Bouc-Bel-Air. 

Il a publié de nombreux ouvrages dont Corps sexué de l’enfant et normes sociales. La normativité corporelle en société néolibérale  (avec  Sahra Mekboul, érès, 2014) et, Père, mère, des fonctions incertaines. Les parents changent, les normes restent ?  (avec Michel Tort et Marie-Dominique Wilpert, érès, 2013).
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Atlantico : Selon le Shriver Report (lire ici), les hommes rechercheraient des femmes belles et gentilles, alors qu'ils souhaiteraient que leurs filles soient intelligentes et indépendantes. Comment l'expliquer ?

Gérard Neyrand. Cela dénote une grande stabilité de démarche sélective. il est clair que les qualités demandées à une partenaire ou une épouse mettent beaucoup plus en avant les qualités physiques qu'une autre. Pour la fille, l'homme ne se place pas du même point de vue. Sa représentation est plus moderne par rapport à ce que doit être sa femme qui est plus traditionnelle avec des standards plus anciens. On peut être étonné par exemple du fait que l'indépendance de sa femme est à un faible niveau. Lorsqu'il souhaite que sa fille soit intelligence, le père projette aussi une réussite sociale pour sa fille et suppose des chances les plus élevées possibles et il a pas besoin de le projeter pour sa femme.

Lorsqu'il souhaite que sa femme soit jolie et ne le demande pas forcément pour sa fille, qu'est-ce que cela dénote chez l'homme ?

La beauté est évidemment l'un des grands critères de sélection du rapport amoureux chez les hommes, ce n'est pas un scoop. En revanche, il ne le demande pas pour sa fille. On voit que l'on a changé de modèle de promotion du féminin puisque le père ne cherche plus à caser sa fille par le mariage, mais, il estime qu'elle va trouver une place sociale grâce à ses études et son intelligence. Il y a cinquante ans, les scores n'auraient pas été les mêmes. Les qualités demandées alors étaient plus la douceur et la séduction pour les futures épouses.

Dans cette étude, il ressort aussi que les hommes souhaitent des femmes peu indépendantes (34%) et des filles plus indépendantes, que faut-il en conclure ?

Là, on est dans le domaine traditionnel de la femme où il ne faut pas qu'elle soit indépendante sinon elle devient moins contrôlable. Il est intéressant de voir l'indépendance qui est attendue pour la femme : il faut qu'elle le soit un peu pour qu'elle soit capable de faire des choses toute seule, mais deux fois mois que pour sa fille. Une manière de projeter pour leur fille une insertion qui passera par la profession et plus par le couple comme autrefois. Alors que pour leur propre couple, les critères ne sont pas les mêmes, il se positionne par rapport à ce qui leur semble important dans la relation de couple. Il y a des conflits de modèle entre celui, antérieur, de la femme soumise et qui ne travaille pas et un modèle plus contemporain d'égalité des sexes et qui promeut donc un certain désir de l'intelligence des femmes.

Ces hommes expliquent aussi qu'il est aujourd'hui plus difficile d'être dans son rôle d'hommes que du temps de leur père, notamment parce que les femmes travaillent plus (60 %), comment l'expliquez-vous ?

Dans la période antérieure, il y a cinquante ans, il n'y avait qu'un modèle promu par la société avec l'homme dominant, il était donc facile pour lui de se positionner. On demande à l'homme à la fois d'être viril, d'être dans un rôle plus traditionnel masculin, et en même temps d'être ouvert, à l'écoute, sentimental, dans une position plus égalitaire. Les hommes peuvent donc avoir plus de mal à se positionner.

Aujourd'hui, les femmes gagnent plus que leurs mères et leurs grands-mères et l'écart se réduit avec les hommes. Cela pourrait-il aussi intervenir dans ce sentiment ?

Bien sûr. Si on prend l'exemple de la France, à partir de la loi Jules Ferry 1882, l'enseignement secondaire est ouvert aux jeunes filles et donc progressivement l'enseignement devient le même pour les filles et les garçons. Aujourd'hui elles réussissent même un peu mieux que les garçons. Donc forcément avec une instruction équivalente et un investissement professionnel aussi important aujourd'hui chez les femmes, ce qui modifie le rapport de forces. Dans une société où de fait les positions sont plus égalitaires et cela ne peut qu'avoir des effets sur les rapports entre les sexes. On est dans cette lutte contre les modèles d'une représentation traditionnelle des sexes qui renvoie à des stéréotypes très ancrés et qui continuent à être transmis par notre culture et une nouvelle représentation des choses qui posent l'égalité des sexes comme une réalité. Il peut ne pas être vécu par tous comme un conflit mais plus sûrement comme une tension entre des logiques divergentes.

En quoi les rôles au sein de la famille auraient-ils pu changer ?

Le rôle du père augmente et notamment à l'égard de la petite enfance qui était autrefois la spécialité de la femme. Un très bon indicateur est le portage de l'enfant dans l'espace public. On voit de plus en plus de pères qui portent leur bébé contre eux, ce qui était impensable autrefois. Et de nombreux pères se promènent avec des poussettes, seuls. Avant ils étaient accompagnés par les mères qui vérifiaient que tout allait bien. C'est révélateur du nouveau positionnement des hommes y compris dans les milieux populaires à l'égard des jeunes enfants. Les hommes ont plus investi les tâches parentales que les tâches domestiques. On est dans un investissement masculin du rapport à l'enfant qui est lié à cette augmentation du travail féminin.

Lu sur Washington Post

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