Pourquoi ne pas interdire le voile à l'université est aussi logique que de l'interdire à l'école<!-- --> | Atlantico.fr
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L'interdiction du voile à l'école ne relève pas de la même logique que son interdiction à l'université.
L'interdiction du voile à l'école ne relève pas de la même logique que son interdiction à l'université.
©Reuters

Le contre

L’université accueille de jeunes adultes, qui ont leur liberté de jugement, des adultes qui sont issus d’horizons, de pays, de cultures différents. De jeunes adultes qui ont reçu une éducation, et font donc leur choix en conscience.

Jean Spiri

Jean Spiri

Jean Spiri est Conseiller régional d’Île-de-France. A ce titre, il est président du CRIPS, le centre régional d’information et de prévention en matière de santé, de lutte contre le VIH, les IST et les addictions.

Il est également élu à Courbevoie, adjoint au Maire délégué à l’éducation, à la jeunesse et aux relations avec l’enseignement supérieur.

Ancien collaborateur auprès de plusieurs cabinets ministériels, il poursuit aujourd'hui une carrière dans le secteur privé, comme directeur du développement stratégique d’une entreprise du secteur du numérique.

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La vidéo a beaucoup tourné il y a quelques mois : on y voit Nasser, dans les années 1950, se moquer de la volonté des Frères musulmans d’obliger les femmes à se voiler à l’université. Une manière de rappeler que la laïcité a connu des mouvements d’avancées et de reculs y compris dans des pays où le religieux a pris beaucoup de place dans le débat public ces dernières années. Un hommage aussi à la liberté des étudiant(e)s, puisque Nasser ajoutait malicieusement que le leader des Frères musulmans aurait déjà bien du mal à convaincre sa propre fille… Certains voient dans cette vidéo la preuve qu’il faut interdire le voile à l’université. Sans comprendre que son message fondamental est celui de la liberté de ne pas imposer. Une valeur particulièrement forte à l’université.

>>> A lire également : Pourquoi il faut interdire le voile islamique à l’université (adultes ou pas)

Je fais partie de la très grande majorité des Français qui trouvent que la loi de 2004 interdisant le port des signes ostentatoires religieux à l’école était nécessaire. L’école de la République, laïque et obligatoire, est un sanctuaire où seule compte l’égalité des élèves, sans appartenance communautaire ou religieuse. Un lieu de formation, où ils n’ont pas encore complètement acquis l’esprit critique, et où ils doivent voir en pratique l’application des valeurs de la République, les apprendre et les comprendre. Mais la loi de 2004 excluait l’université, ce qui semblait normal à l’époque étant donné sa spécificité.

>>> A lire également :Port du voile à l'université : ce que perd la République à combattre obstinément tous les signes religieux extérieurs

N’en déplaise à ceux qui aiment les raccourcis faciles, interdire le voile à l’école est aussi logique que de ne pas l’interdire à l’université. L’université accueille de jeunes adultes, qui ont leur liberté de jugement, des adultes qui sont issus d’horizons, de pays, de cultures différents. De jeunes adultes qui ont reçu une éducation, et font donc leur choix en conscience. Et ils fréquentent librement des établissements qui disposent d’une autonomie et de règlements intérieurs propres – certains interdisant d’ailleurs le port du voile, notamment pour des TP de sciences. Comme le souligne Jean-Loup Salzmann président de la Conférence des Présidents d’université, il y a bien d’autres manières plus constructives de lutter contre les communautarismes, le prosélytisme, de travailler sur la laïcité au sein de l’université, que cette interdiction qui serait vécue comme une exclusion pure et simple. Croyons-nous sincèrement faire reculer le fondamentalisme en excluant de l’université ceux qui, tout en ayant la volonté d’affirmer leur foi, souhaitent apprendre, débattre, et confronter leurs visions du monde à d’autres ?

L’objectif de l’université n’est-elle pas d’accueillir librement et largement des étudiants désireux d’apprendre ? De se confronter ? D’évoluer ? Commencer par en exclure des jeunes femmes qui en viennent souvent de milieux défavorisés, qui appartiennent à une communauté en particulier, est à rebours de la vocation universelle de nos universités, de leur mission justement d’ouverture et d’ascension sociale, d’intégration même. J’entends déjà ceux qui répondent que leur choix serait alors de quitter leur voile pour fréquenter l’université. Certaines le feraient sans doute, d’autres quitteraient l’université. Autant de chances gâchées justement de renforcer leur libre arbitre.

Cette décision ne ferait que renforcer le risque de repli identitaire pour une pratique minoritaire. Sans compter les étudiantes étrangères qui s’en sentiraient de facto exclues, au moment même où nos universités cherchent à s’internationaliser, et où aucun pays européen n’applique cette interdiction. Oui, Nasser avait raison, il est ridicule de chercher à imposer à des adultes libres !

La laïcité doit redevenir un principe auxquels adhèrent tous les Français. Parce qu’il est protecteur de chacun. C’est un principe positif, dont chacun de nos concitoyens doit comprendre l’intérêt pour lui-même comme pour l’ensemble de la société. Un principe de coexistence, qui repose certes sur des règles strictes, mais n’est en aucune façon un principe d’exclusion. Je crois à la fermeté républicaine dans beaucoup de domaines, à l’école, dans les services publics, à l’hôpital par exemple. Mais je crois que la fermeté n’a de sens que quand elle ne s’applique pas aveuglément, qu’elle sait faire des différences entre les situations. A crisper le débat sur le voile, on en fait non plus une marque culturelle ou religieuse, mais une revendication de différence et de défiance. A tout vouloir traiter par la loi, on s’empêche tout débat. Et quand la loi n’interdit pas, tout devient donc possible ? Si nous pensons traiter le problème du communautarisme à l’université par la seule interdiction du voile, nous faisons ce que nous avons de plus en plus l’habitude de faire : décréter qu’un problème n’existe plus en en supprimant une manifestation visible. Aurons-nous fait progresser la cohésion, la tolérance, la laïcité dans notre société d’un iota au sein comme en dehors de l’université ? Il est permis d’en douter… 

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