Modification génétique d’un embryon humain en Chine : bienvenue dans ce monde où l’Occident a perdu le monopole de la science de pointe (et des choix éthiques...)<!-- --> | Atlantico.fr
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Une équipe de chercheurs chinois a récemment publié les résultats d'une étude sur leur tentative de modification d'embryons humains.
Une équipe de chercheurs chinois a récemment publié les résultats d'une étude sur leur tentative de modification d'embryons humains.
©REUTERS/Ho New

Position de principe

Mi-avril, un groupe de scientifiques chinois a publié une étude dans la revue Protein and Cells dans laquelle ils décrivent leurs recherches visant à modifier génétiquement des embryons humains. Quelques semaines auparavant, les dirigeants d'une entreprise américaine avaient appelé à un moratoire contre la manipulation des cellules humaines.

Pierre Le Coz

Pierre Le Coz

Pierre Le Coz est Professeur des Universités en philosophie, et docteur en sciences de la vie et de la santé. Il a été vice-président du Comité National d'Ethique jusqu'en 2012.

Ses recherches portent, entre autres, sur la biomédecine, la bio-éthique et le principe de précaution.

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Alexandra Henrion-Caude

Alexandra Henrion-Caude

Dr Alexandra Caude est directrice de recherche à l’Inserm à l’Hôpital Necker. Généticienne, elle explore les nouveaux mécanismes de  maladie, en y intégrant l’environnement. Elle enseigne, donne des conférences, est membre de conseils scientifiques.

Créatrice du site internet science-en-conscience.fr, elle est aussi l'auteur de plus de 50 publications scientifiques internationales. Elle préside l’Association des Eisenhower Fellowships en France, et est secrétaire générale adjointe de Familles de France.

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Laurent Alexandre

Laurent Alexandre

Chirurgien de formation, également diplômé de Science Po, d'Hec et de l'Ena, Laurent Alexandre a fondé dans les années 1990 le site d’information Doctissimo. Il le revend en 2008 et développe DNA Vision, entreprise spécialisée dans le séquençage ADN. Auteur de La mort de la mort paru en 2011, Laurent Alexandre est un expert des bouleversements que va connaître l'humanité grâce aux progrès de la biotechnologie. 

Vous pouvez suivre Laurent Alexandre sur son compe Twitter : @dr_l_alexandre

 
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  • Une équipe de chercheurs chinois a récemment publié les résultats d'une étude sur leur tentative de modification d'embryons humains. Si celle-ci n'a pas permis d'aboutir à un résultat probant, ses conclusions apportent des informations importantes pour la recherche et l'édition du génome.
  • Quelques semaines auparavant, les dirigeants de Sangamo Biosciences, une entreprise américaine, avaient appelé dans une tribune publiée dans le journal Nature, à un moratoire contre la manipulation des cellules humaines reproductrices. Selon eux, ce processus serait trop dangereux et contraire à toute éthique.
  • Les réticences portent principalement sur la modification irréversible de l'appareil génétique de l'espèce humaine, une modification embryonnaire étant héréditaire.
  • La Chine, mais aussi d'autres pays, ont un rapport décomplexé à la recheche sur le patrimoine génétique, adhérant davantage à une éthique utilitariste à visée thérapeutique plutôt qu'à une interdiction pure et simple.
  • Si ce décalage dans la disposition à mettre en oeuvre des études ou non n'est pas flagrant aujourd'hui, il devrait logiquement donner une avance tant économique qu'éthique à ceux qui s'y autorisent.

Atlantico : Quel poids peuvent avoir les considérations éthiques occidentales pour des scientifiques chinois qui, culturellement, ne partagent pas le même système de valeurs ?

Laurent Alexandre : Cette tribune n'était pas du tout une coïncidence, il était de notoriété publique que certaines équipes travaillaient dessus. En l'occurrence, cette étude ne permet pas d'apporter une innovation concrète pour les implanter sur des bébés. D'ailleurs, les Chinois ont utilisé des embryons qui n'étaient pas viables. C'est un pas en avant très important, mais il n'y aura pas de bébés avec cette technologie, car elle n'est pas au point : l'étude fait part de nombreuses modifications génétiques non souhaitées, et repérées grâce au séquençage des embryons. Il faut bien comprendre qu'il y a une différence entre le fait de changer par thérapie génique le génome d'un enfant myopathe qui ne le concernera que lui, et les modifications embryonnaires dont il est question ici et qui modifieront durablement l'espèce.

Le jour où la technologie de modification génétique des embryons sera performante, dans quelques années, nous n'aurons plus aucun moyen de pression pour empêcher les Chinois de faire des modifications embryonnaires. Je ne pense pas que nous pourrons faire la guerre contre la Chine pour les en empêcher… Et il y aura donc probablement un consensus pour laisser faire.

Alexandra Caude : Le moratoire a effectivement été porté par le laboratoire sur la médecine générative. Les scientifiques mettent en garde sur la dangerosité de réaliser des fécondations avec des cellules qui auraient subi des expérimentations. Finalement, ce moratoire ne contredit pas l'étude que vous évoquez. L'expérience de Huang consistait à prendre des embryons humains non-viables, et à les modifier par des techniques élégantes, et qui ne sont pas dans la droite ligne du moratoire. En revanche, il est vrai que ce moratoire a été contredit dès le lendemain de sa publication par l'annonce d'une recherche en cours à l'Université d'Harvard et portant sur des cellules ovariennes récupérées sur une femme atteinte d'un cancer ovarien héréditaire, où il s'agissait pour le coup d'une modification sur des enfants à naître.

Mais on voit mal comment ces recherches actuellement menée sur la génétique ne seraient pas un jour utilisée pour modifier le patrimoine génétique des générations à venir. Surtout qu'on a déjà une expérience de moratoire qui n'a pas été suivi d'effet : en 1975, Paul Berg (Prix Nobel) et une multitude de scientifiques du monde entier – dont des soviétiques  ont signé le traité d'Asylomar sur le danger d'une dispersion dans la nature de bactéries génétiquement modifiés. Finalement, ces moratoires scientifiques font beaucoup de bruit. A partir du moment où la technique et la technologie sont là, la curiosité prime sur la modération éthique des expériences à mener.

Pierre Le Coz : Je pense que ce sont à peu près les mêmes valeurs. La différence, c'est que l'on privilégiera en Chine la dimension thérapeutique, comme le montre cette étude, alors qu'en Occident, on prend davantage en compte le risque de nuire à plus large échelle l'humanité en ouvrant une brèche que l'on ne pourrait plus colmater. Je ne pense pas que qui que ce soit souhaite nuire à l'espèce humaine. C'est en l'occurrence un humanisme médical. C'est donc plus une position politique que le résultat d'un cadre de valeurs. Mais avec l'ouverture au monde, on peut penser que la contestation telle qu'on peut l'entendre de la part des chercheurs européens ait un écho plus important à venir en Chine. Ce moratoire peut donc avoir un impact, d'autant qu'il est publié dans une revue prestigieuse, et signé par des entrepreneurs dont on pourrait imaginer qu'ils ne sont a priori pas motivés par des considérations éthiques.

Même si on ne pourra jamais endiguer l'intégralité des voies de recherche sur les manipulations génétiques, on pourra faire en sorte qu'elle soit confinée à une proportion réservée.

Quels sont aujourd'hui les pays scientifiquement capables de mener des recherches sur les manipulations génétiques ? Quelle est leur approche et leur degré de décomplexion face aux enjeux éthiques ?

Laurent Alexandre : Tout le monde. Les Chinois l'ont fait en premier non pas parce qu'ils sont très avancés sur les nucléases, mais parce qu'ils ont osé le faire. Un étudiant en 4ème année de biologie est capable de procéder à ce type de manipulation (CRISP-Cas9). Ils l'ont fait sur une centaine d'embryons, mais le caractère sensationnel de l'annonce n'est pas lié à la complexité technique, plutôt à la transgression.  

Globalement, la Chine est très utilitariste. Les Chinois en attendent une puissance industrielle, un moyen d'améliorer les générations à venir, de faire avancer la médecine, de gagner des brevets, des parts de marché, et in fine de l'argent… En somme, ils ont l'approche éthique de Stuart Mill : tout ce qui est utile est éthique.

L'approche occidentale quant à elle est plus timorée et prudente. La critique chrétienne consiste à dire qu'il ne faut pas toucher à un don de Dieu, et pour les non-chrétiens c'est une approche transhumaniste choquante sur le plan bioéthique. Et une très importante partie des généticiens européens sont contre. Ils avancent le principe de précaution, la peur de transgresser et de modifier l'espèce humaine, et tout ce qui fait que l'Europe sort petit à petit du paysage industriel et technologique.

Les pays qui ont ce degré de décomplexion sont les pays asiatiques. Cela dit, aux Etats-Unis, si le gouvernement fédéral y est plutôt opposé, l'Etat de Californie et la Silicon Valley, est par exemple très favorable au transhumanisme. Mais il ne faut pas oublier que ces recherches ne seront pas opérationnelles avant 2020-2025.   

Alexandra Caude : Peu de pays ont un cadre juridique. Les pays qui ne permettent pas la recherche sur l'embryon humain sont le Japon et l'Allemagne (mais aussi d'autres moins importants sur la scène scientifique). La France n'est pas parfaitement protégée contre ces expériences. Le seul cadre que l'on a est issu de la loi de bioéthique de 2004, mais qui peut être très facilement détournée à condition que ce soit pour la recherche. Autrement dit, l'étude chinoise à laquelle vous faites référence aurait pu avoir lieu en France, tout comme elles ont probablement lieu en Angleterre ou aux Etats-Unis.

Dans ce contexte, que risquent les pays occidentaux à freiner leurs recherches sur ces questions si le reste du monde ne les suit pas ? Risquent-ils de perdre à la fois leur avance et leur capacité à défendre la définition d'un cadre éthique commun ?

Laurent Alexandre : Pour l'instant pas grand-chose, car la technologie n'est pas opérationnelle. Mais si la Chine se décidait à utiliser ces technologies avec des visées transhumanistes, d'améliorer le quotient intellectuel des générations futures, on peut s'attendre à un déclassement de l'Europe face à des pays qui produiraient des Bill Gates à la chaîne. Cela n'arrivera probablement pas l'an prochain, mais dans quelques décennies, oui. Plus l'Europe est absente de ces sujets-là, moins elle a de poids pour imposer sa vision éthique. Se désintéresser de ces sujets la conduit tautologiquement à ne pas avoir voix au chapitre.

Alexandra Caude : Cela pose tout le problème de la justification éthique qu'il y a à mener une recherche. En parlant d'avancées scientifiques, j'ai tendance à penser que manipuler le patrimoine génétique d'un individu en construction n'en est pas une. Cela s'appelle jouer aux apprentis sorciers, car ces manipulations demeurent d'une très grande complexité. Il est important tout d'abord de se poser la question de savoir ce qu'est un être humain.

Le Japon, après avoir été défait à l'issue de la Seconde Guerre mondiale, a considéré que le patrimoine génétique humain n'était pas un matériel de laboratoire. En travaillant des hypothèses de reprogrammation de cellules indifférenciées pour les rendre pluripotentes, le Japon a récolté un prix Nobel. L'obstacle éthique a au contraire joué comme une formidable source de créativité, et pour faire des progrès phénoménaux tout en n'étant pas dans la transgression.

Les comités d'éthique occidentaux ainsi que ceux des grandes revues scientifiques mettent principalement en avant le respect de l'humain tel qu'il est compris actuellement. S'agit-il d'une vision foncièrement occidentale ? Ne mériterait-on pas d'élargir le cadre moral actuel via une véritable réflexion anthropologique sur l'avenir de l'être humain ?

Alexandra Caude : Je ne crois pas que ce soit purement occidental. J'ai à plusieurs reprises réagi sur Atlantico à propos des manipulations embryonnaires pratiquées en Grande-Bretagne sur des fécondations à trois génomes. Cette transgression n'est pas propre à la Chine.

Mais je souhaite effectivement qu'il y ait une réflexion profonde sur l'avenir de l'être humain. Vu l'inefficacité des moratoires, mais également celui que j'ai défendu il y a quelques années, les commissions éthiques ne semblent pas très aptes à donner un cadre suffisant. Il faut alors mener une réflexion pluridisciplinaire avec une réflexion à long terme sur ce que l'on considère comme étant l'humanité et l'homme. J'ai du mal à considérer que sans cette réflexion, on ne continue pas à franchir la ligne jaune. On est dans une période où la recherche sur l'homme augmenté est particulièrement riche et productive.

Laurent Alexandre : C'est une vision largement développée mais effectivement plus développée en Occident. Selon cette vision il faut réfléchir énormément avant de changer l'espèce.

Il est urgent de commencer à réfléchir à ce qu'est l'humanité. Souhaite-t-on qu'elle soit intangible, ou un homme 2.0, c’est-à-dire plus fort, moins malade, notamment grâce à des modifications génétique ? Un cadre éthique sera difficile, forcément conflictuel, mais c'est aussi ça, la démocratie.

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