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La menthe n'a jamais rendu une cigarette moins dangereuse
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Nuit gravement

Une étude de 60 millions de consommateurs, en partenariat avec le Comité National Contre le Tabagisme, tente d'alerter sur la nocivité du tabac aromatisé. Explications avec Victoire N'Sondé (60 millions de consommateurs) et Emmanuelle Beguinot (CNCT)...

Victoire N'Sondé et Emmanuelle Beguinot

Victoire N'Sondé et Emmanuelle Beguinot

Victoire N'Sondé est journaliste santé pour le magazine 60 millions de consommateurs.

Emmanuelle Beguinot est directrice du Comité national contre le tabagisme.

 

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Atlantico : Que montre exactement l'étude 60 Millions de consommateurs/CNCT que vous avez menée ?

Emmanuelle Beguinot : Ce projet s’inscrit dans le cadre d’une évaluation de nos règlementations et de la mise en œuvre des dispositions fondées sur les meilleures pratiques et l’efficacité.

Victoire N’Sondé : Nous avons testé 20 produits du tabac (cigarettes, cigarillos, tabac à rouler, et même feuilles de papier à rouler). Il existe aujourd’hui un décret d’interdiction des « cigarettes bonbons », à savoir des cigarettes auxquelles on ajoutait des arômes de vanille et des édulcorants (produits sucrés) sur la manchette (le papier entourant le filtre), pour adoucir le goût et faciliter l’entrée dans le tabagisme.

Nous voulions donc voir, d’une part si la règlementation était bien respectée, et d’autre part si d’autres produits du tabac contenaient des ingrédients non concernés par ce décret, et ayant pour but d’adoucir le goût et l’âpreté du tabac.

Notre étude montre que dans les produits testés, et c’est la bonne nouvelle, les fabricants respectent bien la règlementation. Nous avons trouvé très peu d’arôme de vanille, et pas du tout d’édulcorants sur la manchette. Pour autant, on ne peut dire que les cigarettes bonbons n’existent plus. On s’est ainsi rendu compte que certains produits sont encore commercialisés, comme les cigarettes à la vanille. On a aussi des produits qui ne sont pas commercialisés en tant que tels, mais qui existent, chez les buralistes, sous forme de références correspondantes.

Cette étude concerne-t-elle aussi tous les produits aromatisés, comme le menthol, qui rencontre un grand succès ?

Victoire N’Sondé : En ce qui concerne le menthol, il n’y a pas de limite imposée.

Pourquoi une limitation sur certains arômes et pas sur d’autres ?

Victoire N’Sondé : C’est la question que nous nous somme posée. Si l’on considère cet adoucissement du tabac, dû aux arômes, et qui augmente son capital-séduction, on doit alors appliquer la règlementation pour tous les arômes. Aujourd’hui seuls ceux de vanille sont règlementés. La menthe ne l’est pas.

Comment expliquer cette situation ?

Victoire N’Sondé : Je pense que quand ces produits sont arrivés, les cigarettes bonbons, cela a alerté les pouvoirs publics, à juste titre, et on s’est rendu compte que cela plaisait beaucoup aux jeunes et aux femmes. Le ministère de la Santé a donc fait ce décret, qui est une bonne chose, mais est incomplet.

Mais en se plaçant d’un point de vue de consommateur, ne vaut-il pas mieux fumer un produit aromatisé, et par là-même plus doux, qu’une cigarette ou un cigare « brut » ?

Victoire N’Sondé : C’est une erreur d’appréciation assez commune. Mais cette question est centrale. Ces arômes ne rendent pas les cigarettes moins nocives. Elles ne sont pas moins dosées en goudrons,  en nicotine ou en monoxyde de carbone, et même si c’est le cas (les light), elles sont moins dosées mais on tire plus dessus, donc au final cela revient strictement au même ! La « cigarette bonbon n’est pas une confiserie, elle n’est pas moins dangereuse. Elle adoucit le goût mais pas la substance, tout simplement.

Votre étude peut-elle réellement avoir un impact sur la législation ?

Victoire N’Sondé : C’est le but, en tous les cas. Que la législation en vigueur s’applique à tous les arômes et à tous les produits du tabac, tels le narguilé, très en vogue aujourd’hui chez les jeunes.

Emmanuelle Beguinot : Le but est d’adopter des mesures, que la France est l’une des seules, au niveau international, à refuser, qui consistent en ce que toute adjonction d’arôme attractif devrait être rigoureusement interdite. Et a contrario, il faudrait définir une liste de tout ce qui est autorisé, et tout ce qui ne figurerait pas sur cette liste serait interdit. La "liste positive" serait ainsi une solution.

Une meilleure information quant à ces substances, ne serait-ce pas déjà un grand pas pour protéger le consommateur ?

Victoire N’Sondé : Elle existe déjà, de la part des pouvoirs publics. Mais le tabagisme augmente néanmoins : le dernier baromètre santé le montre. Il est donc nécessaire d’informer encore plus, dire ce qu’il y a exactement dans une cigarette. La mention « agents de saveur », par exemple, est floue et n’évoque rien ou presque chez le consommateur. Toutefois l’information n’est pas suffisante : il faut encadrer plus strictement.

Ces agents sont mauvais en ce qu’ils induisent une consommation plus agréable, et donc plus accessible, de tabac sous toutes ses formes. Cela signifie-t-il que votre combat, aujourd’hui, n’est plus contre le tabac lui-même mais sur tout ce qui rend aisée sa consommation ?

Victoire N’Sondé : On se rend compte que l’on essaie de banaliser ce produit. Le tabac n’est pas un produit banal : il génère des cancers, de graves problèmes cardio-vasculaires… on n’a pas le droit de faire croire qu’une cigarette est comme une confiserie ou un chewing-gum !

Notre combat porte sur tous les moyens utilisés pour banaliser l’acte de fumer. Le menthol, très utilisé chez les femmes, est d’autant plus apprécié que le goût est frais, agréable… mais ce n’est pas un bonbon ! Une cigarette à la menthe est aussi nocive qu’une cigarette normale.

Il y a du travail à tous les niveaux, même au niveau du marketing et du packaging : certains paquets sont très jolis, décorés, ludiques… Le paquet de cigarettes n’est pas cela ! Ce n’est pas un jouet, ce n’est pas glamour, ce n’est ni un parfum ni un dessert…

C’est une dédiabolisation de la cigarette ?

Emmanuelle Beguinot : Oui, c’est la bonne expression. On veut faire oublier que c’est un produit aussi dangereux. Cela la rend agréable. Ces arômes (chocolat, vanille, réglisse…) rappellent la confiserie. Il y a même des arômes qui renvoient vers d’autres univers, comme celui de la parfumerie, un domaine qui attire particulièrement les femmes, ou encore d’autres vers l’alcool.

Notre enjeu est de montrer, par des propositions concrètes, que la législation actuelle, si elle a le mérite d’exister, est insuffisante : elle ne concerne que les cigarettes (négligeant les autres produits du tabac, ce qui n’a aucun sens) ; avoir une règlementation sur les arômes de vanille en fixant un seuil non sanitaire n’empêche pas d’en mettre, permet une communication plaisante par le biais des packagings, et autre élément : cela n’empêche pas d’utiliser d’autres arômes.

Pensez-vous que l’objectif de ces adjonctions d’arômes est uniquement « forcer » la consommation et la faciliter pour des publics ciblés (jeunes, femmes…) ?

Emmanuelle Beguinot : C’est le but, avoué, de l’industrie du tabac, consigné dans leurs documents internes. C’est un axe de recherche qu’ils ont depuis des années : la douceur, les arômes, leur permettent de développer des niches d’initiation. Descendre l’âge d’entrée dans le tabagisme, et transférer, éventuellement, après, vers d’autres produits moins doux.

Cet adoucissement par les arômes incite-t-il à fumer parce que le goût est agréable, ou parce que la cigarette est considérée comme moins nocive dans l’esprit du consommateur ?

Emmanuelle Beguinot : Les deux. Ce qui est sûr c’est que cela dépend des cibles. Dans la consommation première, un adolescent n’aime pas ses premières cigarettes. Dans ce cas, mais aussi dans les autres, l’arôme joue un rôle primordial.

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