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L’État islamique a appris des stratégies des pédophiles pour séduire leurs victimes en ligne
L’État islamique a appris des stratégies des pédophiles pour séduire leurs victimes en ligne
©Reuters

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Rassurer, mentir sur ce à quoi ils sont destinés et sur les intentions réelles... les recruteurs de Daesh en savent long sur les procédés qui permettent de s'attirer la confiance de leurs jeunes victimes, lesquels se retrouvent chez les prédateurs pédophiles en ligne.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Atlantico : En quoi les méthodes d'endoctrinement de l'Etat islamique à destination des jeunes sont-elles similaires à celles employées par les pédophiles ? Quels sont les mécanismes utilisés ?

Alain Rodier : Les méthodes de recrutement sont généralement les mêmes, surtout lorsque les "cibles" sont des jeunes, voire très jeunes adolescents. Il convient dans un premier temps de les séduire et de les rassurer. Comme pour les pédophiles, le but ultime des prédateurs salafistes-jihadistes qui approchent un jeune public via le web est d’amener à eux cette "chair fraîche" pour en faire un usage qui, bien sûr, ne peut leur être dévoilé. Donc séduction et mensonge sont les maîtres mots de la démarche de ces prédateurs. La séduction va passer par la mise en exergue de l’ego de la cible, lui expliquant qu’elle a une valeur personnelle qui n’est pas reconnue par sa famille, par l’école, par la société. L’objectif premier est de faire entrer l’intéressé en sécession avec ses parents et ses proches puis en révolte vis-à-vis du "système". Il s’agit d’écarter le petit mouton du troupeau pour ensuite le dévorer tranquillement. Les qualités -vraies ou supposées- de l’individu ciblé seront louées et son interlocuteur -souvent unique car il faut personnaliser les échanges- lui affirmera que lui seul est capable de le comprendre et de l’aider. Ensuite, en ce qui concerne les salafistes-jihadistes, les souffrances des musulmans en général et du peuple syrien en particulier seront mises en avant en expliquant à la cible qu’il est de son devoir de venir en aide à ses "frères" et "sœurs". Cela donne un sens à la vie de ces adolescents -filles et garçons- en mal de repères. A noter que le public visé a été précisément étudié afin d’adopter un langage qu’il comprend et apprécie. Par exemple, les déguisements de Jihad John et autres bourreaux de Daech ne sont pas sans rappeler ceux des super héros de bandes dessinées. Il est symptomatique de voir que le jeune adolescent français de 13 ans qui a assassiné de sang-froid un "espion israélien" était déguisé et armé exactement comme son mentor qui se tenait à ses côtés. Certes, les filles sont moins sensibles à ce type d’argument qui font surtout fantasmer les aspirants "Mad Max". Pour elles, le respect que peut leur apporter la libre pratique de la foi musulmane avec le port de ses symboles les plus intégristes est un argument qui porte. La notion de venir en aide à ceux qui sont martyrisés par d’"horribles dictateurs" est aussi exploitée en leur montrant des vidéos et des photos d’atrocités commises particulièrement sur des femmes et des enfants.

Comment ont-ils réussi à créer une sorte de "jihadimania" auprès de certains adolescents ?

Le jihad est présenté comme la méthode adéquate pour répondre aux aspirations intimes de l’adolescent qui est en train de se construire. Il va se sentir magnifié par cette "sainte mission" (toujours la manipulation qui se sert de l’ego comme levier). Depuis la mort du communisme marxiste, léniniste puis maoïste, la seule idéologie qui permet pour l’instant (1) de se révolter contre l’ordre établi "oppresseur" et "injuste", que ce soit en Occident ou au Proche et Moyen-Orient, est le jihad guerrier (à distinguer du jihad intérieur). Il y a indubitablement un effet de mode et d’entraînement collectif, preuve en est que les volontaires partent souvent à plusieurs. De plus, la terreur inspirée par les salafistes-jihadistes séduit un certain nombre d’esprits faibles qui souhaitent ardemment passer dans le camp de ceux qui font peur.

Comment parviennent-ils à tromper leur vigilance et celle de leur entourage ?

Comme pour les pédophiles, les jihadistes mettent en garde leurs proies des investigations possibles de leurs proches. Ils leur demandent de rester très discrets jusqu’au moment où il pourront enfin atteindre leurs buts, généralement l’obtention d’un billet aller vers l’enfer.

Quelles sont leurs cibles potentielles ? Quel est le profil des jeunes susceptibles d'être séduits par le discours de Daesh ?

Daech a besoin d’approvisionner son "Etat" en nouveaux "citoyens". Les plus jeunes constituent un investissement sur l’avenir car Al-Baghdadi place son combat dans la durée de plusieurs générations. Les mâles fourniront les combattants mais aussi les travailleurs nécessaires à la survie économique de l’EI, les jeunes filles serviront de "repos du guerrier" et de procréatrices des générations suivantes de jihadistes. Inutile de préciser que l’égalité des sexes n’est pas le souci des dirigeants de Daech. Les adolescents vivant en Occident sont particulièrement visés car ils sont naturellement fragiles psychologiquement et peuvent être manipulés relativement facilement. Une fois parvenus à destination, ils sont "éduqués" par des jihadistes plus anciens parlant leur langue. En fait, ils entrent dans un processus qui est destiné à les décérébrer complètement avec des méthodes aussi employées par les sicarios (les tueurs des bandes criminelles sud-américaines). Ils sont amenés à effectuer des choses humiliantes, voire horribles comme de torturer et d’assassiner des prisonniers. Comme leurs papiers d’identité leur sont confisqués à leur arrivée, tout espoir de retour leur est interdit. La plupart deviennent alors de véritables zombies qui n’ont même plus conscience de ce que l’on leur fait faire (d’où de nombreux étrangers transformés en kamikazes).

Comment contrer cette stratégie ?

Il est très difficile de faire entendre raison à des jeunes qui sont en état de révolte vis-à-vis de leurs proches et de la société. Ce n’est pas un fait nouveau, le conflit des générations étant une constante de la nature humaine. Mais il ne faut pas se décourager en démontrant en permanence les mensonges du discours des propagandistes. Mais il importe aussi aux responsables politiques occidentaux qui se livrent à des déclarations tonitruantes sur la situation internationale, d’être conscients des répercussions que peuvent avoir les exagérations de leurs discours simplistes et réducteurs. Ces derniers servent inconsciemment d’alibi aux volontaires jihadistes. Enfin, il faut convaincre ces jeunes que ce qui se déroule aujourd’hui est une guerre interne à l’Islam (2) et qu’il va leur être demandé de nuire, voire de tuer, d’autres musulmans au premier rang desquels sont les chiites suivis des apostats (les sunnites qui ne se reconnaissent pas dans le salafisme-jihadiste). Il est beaucoup fait état de stages de déradicalisation. Cette piste est certainement à explorer tout en sachant que ce n’est pas la panacée. Les camps de rééducation communistes très en vogue dans un passé pas si lointain n’ont pas convaincu grand monde. Plus proches, les périodes de déradicalisation organisées à grands frais par l’Arabie saoudite pour des anciens prisonniers de Guantanamo renvoyés dans le Royaume ont connu de nombreux échecs, nombre de repentis rejoignant ensuite les salafistes-jihadistes. Mais ce n’est pas parce que c’est difficile qu’il ne faut rien tenter.

(1) Si le salafisme-jihadiste disparaît, le relais sera pris par les courants anarcho-écologico-libertaires violents. Les services de renseignement sentent bien qu’actuellement, cela "démange" les activistes de ces groupuscules de passer à l’action. Mais ils sont freinés par l’impopularité des attentats perpétrés par les salafistes jihadistes.

(2) Ce que les idéologues salafistes-jihadistes qualifient d’"ennemi proche". Bien sûr, après avoir uni par la violence l’ensemble du monde musulman sous leur bannière, ils appellent ensuite à établir le "califat" sur la terre entière, les membres des autres religions et même ceux qui n’en n’ont pas (les ennemis lointains) n’ayant alors que le choix de se convertir ou de mourir.

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