Et Sarkozy remplaça l’identité nationale par les valeurs de la République : mais d’où vient cette allergie française à nos racines ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Nicolas Sarkozy a déclaré avoir regretté le débat organisé durant son quinquennat sur l'identité nationale.
Nicolas Sarkozy a déclaré avoir regretté le débat organisé durant son quinquennat sur l'identité nationale.
©Reuters

Tabou français

Mardi 7 avril, Nicolas Sarkozy se confessait concernant le débat autour de l'identité nationale sous son quinquennat : "quand j'étais président de la République, je n'aurais pas dû parler d'identité nationale mais dire que je voulais défendre les valeurs de la République". Abandonnant l'aspect émotionnel que revêt la formule "identité nationale" au profit de l'expression plus rationnelle "valeurs de la République", l'ancien chef de l'Etat a toujours dans le viseur la primaire UMP.

Carine Bécard

Carine Bécard

Carine Bécard est journaliste politique à France Inter.

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Gil  Mihaely

Gil Mihaely

Gil Mihaely est historien et journaliste. Il est actuellement éditeur et directeur de Causeur.

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Mardi 7 avril, Nicolas Sarkozy a déclaré regretter avoir lancé le débat sur l'identité nationale lors de son mandat présidentiel : "je n’aurais pas dû parler d’identité nationale, mais dire que je voulais défendre les valeurs de la République". Pour autant, le concept d'identité nationale est-il vraiment équivalent aux valeurs de la République ?

Gil Mihaely : Stricto sensu, non ! Des républiques, il y en a des dizaines dans le monde. Si on utilise l’acceptation romaine de "res publica", il s’agit tout simplement d’un régime qui n’est pas monarchique, c’est tout ! En revanche, en France ce terme a acquis d’autres sens. Quand on dit république, on dit en fait « démocratie à la française » et là on trouve le bout de nez de quelque chose spécifique que l'on ne trouvera pas en Australie, en Argentine ou en Egypte (dont le nom officiel est la « République arabe d'Égypte »). Et quel est ce contenu spécifiquement français ? Tout d’abord la place de la religion, ce qu’on appelle « la laïcité ». Dans d’autres républiques – comme les Etats-Unis par exemple – la cité est croyante et sous la protection de Dieu. En même temps elle est tolérante : chaque citoyen a le droit de choisir sa religion ou de ne pas croire. En revanche, au-dessus de la République française le ciel est vide et culturellement la religion est considérée comme une superstition folklorique qu’on tolère.
Ensuite on peut ajouter l’hostilité instinctive à toute communauté autre que la communauté nationale. Nous appelons cela « le rejet du communautarisme » et c’est considéré comme un pilier nécessaire de l’égalité (une autre valeur universelle servie en France avec une sauce locale). Depuis la Monarchie constitutionnel de 1789-1792, il est acquis qu’en France, rien ne sépare le citoyen de l’Etat. Il a fallu presque un siècle pour permettre le syndicalisme, c'est-à-dire une représentation collective des employés. Finalement, puisque – contrairement au modèle anglo-saxon – la démocratie française n’aime pas les communautés, l’Etat a un rôle prépondérant et tut à fait particulier. Mais la question est de savoir si « la démocratie à la française » est un dénominateur commun suffisamment puissant pour faire nation. A mon avis la réponse est clairement non. La raison est simple : il s’agit essentiellement d’une manière de régler les désaccords pacifiquement, c'est-à-dire des règles de jeu et non pas de contenu. La république nous permet d’être en désaccord total avec presque tout le monde sans que cela ne devienne une guerre civile. Mais il faut aussi être d’accord sur quelque chose qui relève de contenu, ne serait-ce que in minima, et non seulement gérer les désaccords ! C’est justement sur cette question-là, mal posée, où le débat lancé par Sarkozy a échoué.          

N'y a-t-il pas un danger pour les personnalités politiques à préférer aborder les valeurs de la République, qui répondent davantage du registre intellectuel, plutôt que de l'identité nationale, quant à lui plus "émotionnel" ?

Gil Mihaely : C’est typiquement français – vu le rôle particulier de l’Etat dans notre culture politique – que le gouvernement, une sorte de maîtresse d’école, lance un débat et invite les citoyens-enfants à s’exprimer. Mais au-delà de cet aspect, je ne suis pas sûr que la démarche de Sarkozy soit intellectuelle. A mon avis, c’était un manœuvre politique tout à fait légitime visant à occuper un espace politique entre l’UMP et le FN. Il ne faut pas oublier qu’un débat avec 65 millions de participants c’est un gigantesque n’importe quoi… On utilise les mêmes mots mais on n’a pas la même définition des mots. En plus, certains mots sont étiquetés et envoient automatiquement des messages subliminaux : on dit « immigration » et on est à droite, on souhaite parler d’identité nationale, on est sympathisant du FN. Et je crois que Sarkozy le savait et l’exploitait. Peu importe le contenu du soit disant débat, son existence et son titre font le travail politique nécessaire en envoyant le message suivant : je suis un homme de droite dure et je ne laisse pas le FN manger la laine sur le dos de l’UMP. C’est aussi simple que cela.           

Quelle direction une société prend-elle à ne pas pouvoir se fédérer de manière instinctive derrière une identité identifiée ?

Gil Mihaely : Il suffit de lire le premier journal qui nous tombe sous la main pour voir ce qui se passe dans des états sans nation. De la Syrie au Mali en passant l’Irak, le Yémen et même la Grèce : quand une société ne fait pas nation, l’Etat ne peut pas fonctionner.    

Par ailleurs, évoquer les principes républicains ne renvoie-t-il pas plutôt l'image d'un discours entre élites ? Quel en est le risque ?

Gil Mihaely : Je ne pense pas que le terme « République » appartienne à un discours élitiste. Quand on crie « vive la république, vive la France ! » on sent à quel point ces deux-là (la République et la France) sont proches. En même temps je suis d’accord sur une chose : la spécificité de la France ne peut pas être réduite à la République, même si celle-ci en est aujourd’hui un composant essentiel. 

A quelle intérêt politique cette déclaration peut-elle répondre pour l'ancien Président, en quoi n'est-elle pas anodine stratégiquement ?

Carine Bécard : Je distingue deux points sur ce sujet. D'abord, on a un Nicolas Sarkozy aujourd'hui qui veut incarner le rassemblement pour couper l'herbe sous le pied à Alain Juppé son grand rival. Il veut évidemment récupérer les voix centristes à la primaire de 2016, voix centristes qui iraient plutôt du côté de Juppé que de Nicolas Sarkozy. De la part de Nicolas Sarkozy il faut réussir à donner quelques gages aux centristes. Donc reconnaître qu'il a fait une erreur avec son débat sur l'identité nationale fait partie des gages qu'il peut donner. Cela n'empêchera pas Nicolas Sarkozy de faire sûrement ce que j'appelle des petites sorties qu'attendent ses militants, ceux de l'UMP. Regardez ce qu'il s'est passé pendant la campagne des départementales, c'est assez intéressant. On a un discours modéré de Nicolas Sarkozy en début de campagne et changement de références à la fin de la campagne lorsqu'il a commencé à nous parler des menus de substitution. Les centristes n'ont rien dit à ce moment-là.

Sarkozy avait réussi à instaurer une dynamique de victoire. L'UDI finalement n'a pas voulu rompre avec lui et perdre les voix récupérées. Donc l'UDI a laissé filé. Il nous fait là vraiment sa stratégie de 2007 lui ayant permis d'accéder à l'Elysée. Nicolas Sarkozy sait jouer parfaitement avec les deux bords. D'un côté il dit qu'il a fait une erreur avec l'identité nationale, les centristes ont donc leurs gages et sont contents. Il saura quand il le faudra refaire un clin d'œil nécessaire à ses militants UMP pour qu'ils aient eux aussi leur comptant de gages dont ils ont besoin pour voter pour lui.

Deuxième chose, quand Nicolas Sarkozy fait ce mea culpa, cela lui permet aussi de faire une espèce d'acte de contrition pour se démarquer de Patrick Buisson. L'identité nationale est vraiment une idée soufflée par Patrick Buisson que Nicolas Sarkozy reprend à son compte. C'est donc une manière de dire "j'ai les idées claires, je ne suis plus avec ce Patrick Buisson. Vous pouvez croire à nouveau en moi, je ne ferai plus les mêmes erreurs."

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