Suppression du délai de réflexion : un déni de réalité sur l'avortement <!-- --> | Atlantico.fr
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La suppression du délai de réflexion pour les interruptions volontaires de grossesse sera votée prochainement.
La suppression du délai de réflexion pour les interruptions volontaires de grossesse sera votée prochainement.
©Reuters

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La suppression du délai de réflexion pour les interruptions volontaires de grossesse sera votée prochainement par les députés dans le cadre de la loi santé.

Caroline Roux

Caroline Roux

Caroline Roux est déléguée générale adjointe et coordinatrice des services d'écoute d'Alliance VITA.

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Dans le projet de loi relatif à la santé, plusieurs dispositions concernent l’interruption volontaire de grossesse. Le délai de réflexion d’une semaine entre les deux consultations médicales préalables a été supprimé à la sauvette en commission des affaires sociales, malgré l’avis défavorable du gouvernement.

L’acharnement à banaliser l’avortement comme un acte sans portée intime, sociale et éthique constitue un grave déni de la réalité.

Depuis 15 ans, j’accompagne des femmes confrontées à cette question difficile ; je suis témoin des débats intérieurs profonds que provoque l’IVG. Les femmes le savent bien : c’est la vie d’un être humain et aussi leur propre destin qui est en jeu. Enfermer les femmes dans une décision précipitée, c’est méconnaître ce qu’elles vivent lors de grossesses imprévues.

Les questions se bousculent dans la panique, et souvent la solitude. Bien des femmes, jeunes ou moins jeunes, se sentent jugées et rejetées quand elles révèlent être enceintes sans l’avoir planifié. Beaucoup confient penser à l’IVG à contrecœur sous la pression de leur compagnon, ou encore par peur pour leur emploi.

La loi exige aujourd’hui aussi un délai pour d’autres actes médicaux sensibles : délai de deux semaines pour la chirurgie esthétique, et même un mois pour l’assistance médicale à la procréation. Supprimer ce délai, c’est cautionner une forme de maltraitance faite aux femmes, par l’injonction légale de décider sans état d’âme alors que c’est la vie même qui est en jeu.   

Que l’avortement soit considéré comme une liberté ou non – et  même si les oppositions sur ce sujet demeurent irréductibles – notre société peut-elle laisser croire que les femmes pourraient le ressentir comme un acte anodin ?

Selon un sondage OpinionWay en mars 2013, 85% des femmes déclarent avoir ressenti une souffrance au moment de l’IVG médicamenteuse, y compris une souffrance morale pour 82% d’entre elles, ou physique pour 67%. Il confirme un précèdent sondage effectué par l’IFOP en 2010: 83% des femmes pensent que l’IVG laisse des traces psychologiques difficiles à vivre.

Pour la Haute Autorité de la Santé : "L’IVG demeure un évènement souvent difficile à vivre sur le plan psychologique. Cette dimension manque d’éclairage objectif et scientifique". Pourtant depuis ce constat, aucune étude n’a été conduite par les pouvoirs publics.

Avec 220 000 IVG pratiquées en France chaque année, notre pays se situe, par son taux d’IVG de 14,9 IVG pour 1000 femmes en âge de procréer, dans une moyenne élevée en Europe (l’Allemagne a par exemple un taux de 7,2) tout en ayant un taux de recours à la contraception les plus élevés au monde. "Une maîtrise totale de la fécondité est illusoire" reconnait l’Inspection générale des affaires sociales : 72% des femmes qui recourent à l’IVG utilisaient une méthode de contraception quand elles ont découvert leur grossesse.

Or une véritable prévention de l’IVG pour faire face aux grossesses imprévues est aujourd’hui de plus en plus abandonnée par les services publics. La loi du 4 juillet 2001 a supprimé du dossier-guide remis aux personnes qui viennent s’informer pour une éventuelle IVG, la présentation des aides et protections assurées aux femmes enceintes. De même, aucune information concernant ces droits et aides ne figure sur le site du Ministère de la santé, dans l’espace consacré à l’IVG. Cette situation est d’autant plus alarmante pour les femmes et les couples concernés dans un contexte de crise économique et sociale profonde. 

Le projet de loi prévoit également l’extension aux sages-femmes de la pratique de l’IVG médicamenteuse ; cela revient à dénaturer l’essence même de ce métier qui est de prendre soin de la femme enceinte et de son enfant avant et après la naissance. Un amendement, finalement retiré, proposait de supprimer leur clause de conscience. Au contraire, il est indispensable de préserver la clause de conscience qui existe aujourd’hui pour les praticiens, et de l’étendre aux étudiants de ces professions.

Les législateurs ont une grave responsabilité et doivent s’opposer à ces mesures qui portent une grave atteinte aux droits des femmes : elles dédouanent la collectivité de leur apporter une réelle aide pour prévenir l’IVG et déresponsabilisent les hommes. Réintroduire dans la loi une disposition garantissant une information équilibrée sur les droits, aides et démarches pour les femmes enceintes, seules ou en couple, ainsi que le descriptif de leur protection sociale est plus que jamais une urgence. Cela pourrait contribuer à résoudre un grand nombre de drames personnels, en présentant aux femmes des perspectives autres que l’avortement, qui ne devrait pas être une fatalité.

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